Bruno Delhaye, le PDG de Holy–Dis, éditeur de logiciels de planification optimisée des RH et de gestion des temps, partage sa vision sur l’évolution de la place du salarié dans les organisations.
>> Cet article est extrait du hors-série « Le Numérique en Pratique », l’Humain, téléchargez-le !
Quelle sera la place des salariés dans l’entreprise de demain ?
Bruno Delhaye. Déjà, sur ce sujet, de nouveaux termes apparaissent. On parle maintenant de « l’expérience salarié », comme de « l’expérience client ». D’ailleurs, cela me rappelle une célèbre citation de Richard Branson, fondateur de Virgin, qui était : « Si vous prenez soin de vos employés, ils prendront soin de votre entreprise ». C’est vraiment une tendance que l’on observe globalement au niveau mondial. Le bien-être de vos salariés garantit en quelque sorte le bon fonctionnement de votre business. Si vos collaborateurs sont satisfaits de la relation qu’ils entretiennent avec leur entreprise, vos clients le seront aussi… En clair, mettre un babyfoot à disposition de ses collaborateurs ne suffit plus.
C’est-à-dire ?
Bruno Delhaye. Nous assistons à une réelle et profonde mutation dans le monde du travail. Selon une étude récente, d’ici à 2025 – c’est-à-dire demain –, dans les pays anglo-saxons, plus de la moitié des travailleurs seront freelance*. Cela aura un impact énorme sur les relations employeur/employé. Les deux parties vont demain jouer d’égal à égal et les règles qui régissent aujourd’hui ces relations évolueront forcément.
Une autre statistique majeure de cette étude est également à relever : un tiers des organisations, d’ici à 2025, auront plus de 50 % de leurs ressources qui travailleront à distance.
Avec ces deux données, on voit que le concept même du salarié évolue. Le statut du freelance va se généraliser et, d’autre part, on travaillera et on communiquera ensemble très différemment. La distance ne sera bientôt plus un frein. D’ailleurs, la digitalisation de l’espace de travail abolira ces distances et nos lieux de travail se transformeront pour devenir d’abord des lieux de collaboration. On ne viendra plus au travail pour travailler, mais surtout pour échanger, profiter des espaces spécialement étudiés pour.
How working less could solve (nearly) all our problems —> excerpt of my book on https://t.co/ZNuAdUhHUv https://t.co/41f2tcfkDK
— Rutger Bregman (@rcbregman) 12 avril 2017
Sur ce thème, je vous renvoie aussi au livre « Utopies réalistes » (Seuil) de Rutger Bregman, journaliste et essayiste néerlandais, qui estime que l’être humain ne peut être créatif que six heures par jour… Tout ceci en dit long sur l’évolution de nos organisations.
Quels impacts voyez-vous à de telles évolutions ?
Bruno Delhaye. Selon Rutger Bregman, ils seraient colossaux sur l’organisation des entreprises, mais également sur l’environnement car si on travaille moins, ou ailleurs qu’au bureau, on utilisera moins sa voiture ou les transports en commun, on consommera moins d’énergie, donc la pollution diminuera… Pour l’individu, cela aura un impact sur son stress et le nombre d’accidents baissera, etc. Mais, pour en revenir à notre métier, on en conclut que l’organisation 9h00/18h00, a vécu. Cette journée de travail ne correspond plus à l’équilibre vie personnelle/vie professionnelle qui est attendu par les nouvelles générations.
A TELECHARGER !
Cet article est extrait du hors-série « Le Numérique en Pratique », l’Humain, téléchargez-le !
Pour autant, on est à peine en phase de transition vers un tel monde…
Bruno Delhaye. C’est vrai, mais tout cela va nous conduire à divers modes de flexibilité, mais qui ne seront pas subis. Aujourd’hui, la flexibilité est souvent perçue comme une contrainte et exigée par l’entreprise, mais à terme, cet équilibre changera du fait des changements sociétaux et de l’adoption des nouvelles technologiques. Les entreprises devront répondre aux attentes et à la demande de leurs salariés, comme de leurs clients, de façon très différente et, pour y parvenir, il leur faudra former leurs salariés et attirer de nouveaux talents. Elles ne pourront le faire qu’avec une proposition de valeur qui sera partagée et qui correspond à ce que les employés attendent. Cette flexibilité va devenir concertée, il n’y aura pas d’autre choix.
Tous les salariés sont-ils égaux face à ces changements ?
Bruno Delhaye. Autant les cadres, les freelances ou les métiers « créatifs » vont pouvoir être dans ces modèles, autant les opérateurs seront dans une approche différente. Le télétravail pour certains postes pourra être exclu de ce mécanisme. Pour autant, j’ai vu quelques expériences très innovantes, notamment chez Etam. Le groupe de lingerie et de prêt-à-porter en France avec ses enseignes Etam, 1.2.3 et Undiz a lancé par exemple l’an dernier l’application SquadSHIFT. Elle permet à ses hôtesses de vente à temps partiel et qui le désirent de trouver d’autres opportunités dans les multiples magasins du groupe… C’est une façon notamment de dynamiser les parcours professionnels.
Idem dans le domaine médical avec Whoog, un service développé en collaboration avec des établissements de santé publics et privés et des utilisateurs finaux. La plate-forme est associée à la mise en place d’une « Bourse aux remplacements » avec les salariés et vacataires volontaires. On voit même certaines entreprises adopter les congés illimités comme chez Popchef, une start-up qui cuisine et livre des repas. Dans ce cas précis, contre la liberté des horaires et des vacances, l’entreprise compte sur la responsabilité de chacun par rapport à sa mission… Reste ensuite à voir la position du législateur dans l’accompagnement de ces évolutions sociétales (travail à distance, négociations en entreprise…), qui peuvent parfois sortir du cadre légal et ne pas respecter le principe de l’équité.
Au-delà de ces expériences atypiques, qu’est-ce qui irait dans ce sens et que vous voyez se déployer plus concrètement aujourd’hui ?
Bruno Delhaye. Les entreprises, dans de nombreux domaines, ont pris conscience de ces évolutions et multiplient les expériences, notamment autour de l’équité. On ne peut pas vouloir la flexibilité chez les cadres et ne rien faire pour des populations internes moins mobiles. Ce curseur bougera, inévitablement. Dans le retail, plusieurs enseignes souhaitent que leurs collaborateurs échangent et s’organisent entre eux sur leurs horaires pour couvrir la charge de travail qui va arriver dans les semaines à venir. Les plannings ne sont plus décidés par un manager en premier lieu : les salariés émettent leurs préférences, se concertent et créent ainsi leur propre équité. Ensuite, il reste les arbitrages.
Finalement, cette flexibilité n’apporte-t-elle pas davantage de complexité ?
Bruno Delhaye. Télétravail, covoiturage, RTT, congés payés, horaires souples, freelance, intérimaires, travail de nuit, du week-end… Clairement, ce « catalogue » des possibles est l’une des causes de l’informatisation des ressources humaines. Aujourd’hui, il s’élargit encore car des outils numériques permettent de mettre en place ces différents dispositifs avec efficacité. Ils facilitent des changements d’organisation qui seraient impossible sans.
Pendant trop longtemps, nombre d’entreprises se sont contentées de s’assurer que le cadre administratif et réglementaire de la gestion des horaires et des temps était respecté, mais ce n’est plus suffisant. Il y a une saisonnalité, une fluctuation de l’activité certes auxquelles il faut répondre, mais il y a en face un monde et des attentes qui changent et un besoin de séduction employeur/employé qui s’impose. Les ressources doivent coller à l’activité de l’entreprise et couvrir ses pics d’activité, mais cela va se faire en respectant les souhaits et contraintes personnelles de ses collaborateurs.
Qu’en est-il des compétences des personnes dans cette gestion du temps ?
Bruno Delhaye. C’est un enjeu primordial. Il y a une attente importante du salarié sur ce sujet dans l’entreprise de demain et on le voit déjà. Car la poly-activité ou la polyvalence impose de former les collaborateurs et d’adapter l’organisation. Cela revient à la notion de bien-être que l’on évoquait au début.
« Si vous prenez soin de vos employés, ils prendront soin de votre entreprise » (Richard Branson, Virgin)
Cette entreprise « libérée » va-t-elle supprimer le management intermédiaire ?
Bruno Delhaye. Certainement pas ! Cette souplesse dans les horaires ne va pas faire que les salariés vont devenir « maîtres » de l’entreprise. Ils vont se voir déléguer une large autonomie sur leur mission qui va rester, quant à elle, toujours dictée par l’entreprise. Par exemple, dans le retail, ce serait répondre aux demandes des clients, quels que soit les canaux utilisés, 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24… Cet objectif une fois défini et partagé, c’est aux salariés de s’organiser pour y répondre.
Que devient le manager dans ces conditions ?
Bruno Delhaye. D’une part, il va pouvoir mettre tout cela en musique et l’outil va venir en support. Surtout, il va faire son vrai métier, qui est de mieux connaître le quotidien de ses équipes, les animer, les aider, les faire monter en compétences… C’est un réel changement à opérer pour le manager. Souvent, trop éloigné de la gestion opérationnelle, il n’est plus en mesure d’identifier les dysfonctionnements et même les progrès… Là, on lui redonne du temps pour faire son métier d’accompagnement.
Quels conseils donneriez-vous aux entreprises qui s’interrogent sur ces questions ?
Bruno Delhaye. Il faut sensibiliser sur les atouts d’une organisation de la vie quotidienne plus flexible pour l’entreprise, les salariés et les consommateurs/clients. Rien ne peut évoluer sans cette première phase. Aujourd’hui, ces outils d’optimisation permettent au manager de calculer, de simuler des organisations en tenant compte d’un maximum de contraintes ; mais l’idée est bien d’aboutir au planning « légal » le plus efficace pour tous et le plus économique. Et ce le plus rapidement possible.
* Workplace 2025: Take a glimpse into the Future Workplace
>> Cet article est extrait du hors-série « Le Numérique en Pratique », l’Humain, téléchargez-le !
Pour aller plus loin :