Derrière un terme fait pour être « marketé » efficacement au côté du cloud computing, se trouve une vision de l’évolution des infrastructures intimement liés à des objectifs métiers terre à terre. Raphaël Villechaise, président de l’intégrateur français Pica, détaille les exemples d’entreprises qui s’appuient sur du edge computing dans leur transformation.
Quoique l’on pense du cloud computing, il faut lui reconnaître de s’être rendu indissociable des vision d’avenir concernant les infrastructures informatiques des entreprises – au risque cependant d’être vu comme une réponse globale et indifférenciée à toutes les problématiques des systèmes d’information des organisations.
« Le contexte est à un mouvement généralisé d’éloignement de l’IT des sites de production. Pour beaucoup d’activité, ce mouvement lié à la cloudification a beaucoup de sens. Mais pour de nombreuses autres, ce n’est pas aussi simple. Les unités de production ont souvent besoin d’un relai local. Quand on regarde la variété des usages de nos activités économiques, tous n’ont évidemment pas vocation à être full cloud. Le edge computing répond à ce questionnement » explique Raphaël Villechaise, président de Pica, un intégrateur français créé en 1995, spécialisé dans les datacenters et expert de la continuité d’activité.
Il reconnait volontiers que le terme « edge computing » en lui-même a été créé pour fédérer ces dernières années un concept assez large d’informatique locale et décentralisée. De quoi faire coexister des usages hétérogènes, au côté du mastodonte marketing qu’est devenu le cloud computing. « La nouveauté du terme n’empêche pas d’avoir une vraie profondeur d’usages et d’expériences sur lesquelles les entreprises peuvent s’appuyer. La multiplication des approches hybrides permettent d’ailleurs de faire coexister ces choix efficacement. Le edge ne met pas fin au cloud, ni l’inverse » détaille Raphaël Villechaise.
De la scierie jusqu’aux usines de luxe
Quels sont alors ces exemples qui permettent d’illustrer la pertinence de ces choix d’infrastructures ? « Rappelons que le succès de la transformation vient d’abord des choix métiers et organisationnels d’une entreprise, et seulement à la marge d’aspects technologiques. En ce sens, elles doivent privilégier les choix de bon sens plutôt que les bonnes idées marketing, alors que nous vivons au cœur d’un « phénomène de mode permanent » des technologies numériques », souligne Raphaël Villechaise. « De l’iPhone au Cloud nous avons accès à des outils fantastiques, quand ils sont pris en tant que tel. Mais ce qui compte ce sont ce que l’on en fait réellement en les inscrivant dans la réalité quotidienne de l’entreprise » poursuit-il.
Le groupe Monnet-Seve, spécialiste français de la filière bois, a par exemple des besoins très spécifiques. Après tout, une scierie de résineux n’est pas vraiment une activité comme les autres. Il n’empêche que comme de nombreux groupes familiaux dans l’Hexagone, la dépendance de l’activité au numérique et de l’entreprise au système d’information, est bien une réalité. Elles ont non seulement un impératif de performance IT, sans latence dans un environnement souvent fortement contraint, mais aussi un enjeu de fiabilité et de sécurité – physique comme informatique. « C’est une industrie de première transformation pour laquelle l’informatique n’est certes pas omniprésente, mais où les aspects concernés sont critiques. La priorité est donc de ne pas avoir d’interruption, de coupure de réseau, de pannes. Et tout repose sur la conception d’une IT local dans un environnement bien pensé. L’edge computing permet un degré d’adaptation et de personnalisation supérieur, qui n’est pas du tout le cheval de bataille des infrastructures cloud » reconnait Raphaël Villechaise.
Mais l’avantage des approches edge n’est pas l’apanage des structures de taille intermédiaire. Il suffit pour s’en convaincre d’identifier les enjeux des acteurs industriels, qui se tournent massivement vers « l’industrie 4.0 » et dont les usines ne peuvent pas fonctionner sans un lien très fort entre la chaine de production et la couche IT. « La modularité de l’une et de l’autre doit être assurée et en la matière, le cloud n’apporte pas vraiment de réponse satisfaisante. C’est ce qui explique par exemple le succès de mini-datacenters « smart bunker » comme le propose notre partenaire Schneider Electric, qui sont suffisamment résistant pour permettre aux composants IT d’être au cœur de l’usine et d’évoluer avec la transformation perpétuelle de celle-ci » décrit le dirigeant de Pica.
Les arguments du cloud sont souvent ceux de la facilité de déploiement, de la rapidité de mise en service et de la réactivité face aux nouveaux usages. Mais pour l’expert, le edge est soumis exactement aux mêmes obligations : « Dans le domaine du luxe, nous avons dû équiper ainsi plusieurs usines d’un acteur majeur, qui modernise un nouveau site chaque année. Ce genre de configuration est réalisé en quelques jours, pas en plusieurs mois, car l’activité ne peut pas être gênée » expose Raphaël Villechaise.
Transformation du lieu de travail
Les exemples retenus pourraient laisser à penser que les activités qui ont intérêt à voir leur avenir dans une informatique locale et décentralisée sont avant tout issues de secteurs très traditionnels. Le président de Pica prend cependant le contre-pied de cet argument : « Les nouveaux espaces de travail bougent en permanence. En la matière, le cloud parait évidemment très pratique. Sauf quand il n’est pas envisageable du fait de besoin très pointus en termes de connectivité, de confidentialité ou de puissance de calcul. Ainsi de nombreuses agences de création, média ou de publicité, à la pointe de la modernité et des nouveaux modes de travails, ont besoin de faire fonctionner des applications critiques à leur activité en local. Il en va de même pour les usages de CAO-DAO. En la matière, un micro-datacenter positionné directement sous un bureau de travail a donc beaucoup plus de sens pour elles ».
L’autre point qui ancre profondément l’edge computing dans une vision d’avenir des infrastructures informatiques tient en trois lettres : IoT. « La dernière raffinerie de pétrole construite dans le monde héberge plus de 600 000 objets connectés. Il est illusoire de penser que le cloud est la réponse unique à la réalité complexe de l’internet des objets sur le terrain ». Véritables ponts entre le monde physique et le monde numérique, les objets connectés pourraient donc bien être un catalyseur pour lier les stratégies d’avenir cloud et edge dans les organisations.
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