Depuis cet été, l’enseignement de l’informatique et des sciences du numérique est inscrit dans la loi. En juin, le ministère de l’Éducation nationale lançait un premier appel à projets pour développer les usages, services et contenus numériques innovants dans le champ éducatif.
Il aura fallu attendre 2013 et – comme trop souvent en France – en passer par la loi. Désormais, le numérique fait officiellement partie des priorités de l’éducation nationale. Le 8 juillet dernier, le ministère de Vincent Peillon a gravé sur ses tables relatives à la refondation de l’école, « la mise en place d’un service public du numérique éducatif ». Concrètement, il s’agit, grâce au numérique, « de faciliter la mise en œuvre d’une aide personnalisée aux élèves », prévue pour la rentrée 2014 après une expérimentation d’un an dans l’académie de Montpellier (Hérault) ainsi que de « généraliser l’enseignement de l’informatique et des sciences du numérique à toutes les options de classe de terminale de l’enseignement général et technologique ».
Par ailleurs, dans le cadre des Investissements d’avenir, dix millions d’euros* seront consacrés « à la recherche et l’innovation pour mettre le numérique au service de l’acquisition des fondamentaux à l’école », a annoncé le ministre qui soutiendra une quinzaine de projets. « Ce sont des projets longs, à trois ans. Nous sommes ravis de voir qu’il y a une vraie impulsion sur ces fondamentaux, se félicite Alexandre Titin-Snaider, directeur de la division Sud Europe du fabricant de calculatrices Texas Instrument. Pour notre part, nous allons travailler sur la création de jeux éducatifs pour s’entraîner au calcul mental. »
Initiatives imposées
La France, à l’instar d’autres pays européens, tarde à généraliser le numérique dans ses contenus pédagogiques. Le véritable coup d’envoi était donné à la rentrée… 2001. Cette année-là, les collégiens landais ont fait office de cobayes. Finies les disparités entre établissements, équipés ou non d’ordinateurs, en fonction des moyens des collèges. Le conseil général – qui les gère – décidait de fournir à chacun des 51 000 élèves du département un ordinateur portable. Un « prêt » accordé pour leur usage éducatif et personnel, le tout pour un budget global de 52 millions d’euros.
Cette initiative, reproduite depuis – sans que le ministère en connaisse l’ampleur exacte – dans d’autres départements et régions (en charge des lycées) n’a pas rencontré le succès escompté. Certains enseignants, dans les matières littéraires notamment, se sont montrés réfractaires ; les autres n’avaient pas choisi les logiciels ou n’avaient pas été formés… Imposée au corps enseignant, « l’initiative n’a pas pris partout de manière uniforme », explique Didier Jouault, inspecteur général de l’éducation nationale [lire l’interview : « Différencier les niveaux »].
Dans d’autres contrées, comme en Languedoc-Roussillon, des PC ont été offerts. Mais certains lycéens, déjà équipés d’ordinateurs, ont tout simplement décidé de revendre le « cadeau » sur eBay ! « Les choses ne vont de toute façon pas assez vite », déplorent des professionnels du secteur, qui pointent les décalages entre l’évolution des besoins des entreprises et l’enseignement du numérique à l’école.
Le numérique a des vertus. En équipant ses élèves et professeurs d’ordinateurs, le district québécois d’Eastern Townships a divisé par deux en dix ans le décrochage scolaire. Dans cette région, 22 % des écoliers et collégiens quittent l’école sans obtenir un diplôme, contre 42 % en 2002. La performance est d’autant plus exceptionnelle qu’ailleurs, dans la Belle Province, le décrochage scolaire s’aggrave. Seulement 4 % des professeurs se disent insatisfaits de « l’usage important des technologies en classes », selon une étude du centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante.
En France, les éditeurs s’adaptent à la nouvelle donne. Chez Cegid, éditeur de progiciels spécialisés dans la gestion, une division éducation a été créée en 2005. Elle est reconnue d’intérêt pédagogique depuis 2007 par le ministère. En 2013, un Club Edu, réunissant des enseignants de différents niveaux à partir du lycée, a été mis en place par l’éditeur lyonnais dont le passage dans les écoles est surtout le moyen de familiariser les futurs professionnels à l’outil. En espérant qu’ils le sélectionneront ensuite dans les entreprises pour lesquelles ils travailleront.
Le numérique, usage ou discipline ?
« Dans les lycées, nous sommes face à une intégration où les clients subissent plus qu’ils n’accompagnent les évolutions, explique Pascal Guillemin, directeur des ressources humaines du groupe. Pour bien faire, il faudrait que l’école anticipe les besoins des entreprises. Ce qui est contre nature, certes, mais nécessaire pour éviter les décalages entre la sortie de l’école et l’entrée sur le marché du travail. C’est à cela que sert le Club Edu. »
Chez Texas Instrument, il a fallu adapter un produit existant aux méthodes d’aujourd’hui. Certaines de ses calculatrices graphiques peuvent ainsi être raccordées, tels des périphériques, à un iPad, un PC, ou un tableau numérique. Par exemple, « le raccordement à un réseau local avec des modules Wi-Fi permet à l’enseignant d’envoyer des activités à distance sur les calculatrices, voir tous les écrans des élèves sur son ordinateur ou une image projetée et observer leur progression, lancer des QCM pour tester les connaissances des élèves en transformant la calculatrice en « boîtier de vote », explique Alexandre Titin-Snaider. Et les professeurs de science, qui participent régulièrement à des formations organisées par la marque (mais dispensées par des confrères enseignants), adhèrent. Après six années d’investissement R&D, de tests utilisateurs, et de finalisation du produit en France, « les ventes de la solution multiplateforme TI-Nspire ont été multipliées par six depuis son lancement, en 2011. »
Au-delà de l’éducation à l’aide du numérique, certains acteurs insistent pour une éducation au numérique, et ce dès le plus jeune âge. Président de la Fondation Internet nouvelle génération (Fing), un think tank regroupant quelque trois cents membres (grandes entreprises, start-up, laboratoires de recherche, universités, etc.), Daniel Kaplan est sans doute l’un des plus radicaux. « Utiliser Facebook, ce n’est pas pareil que de savoir comment ça marche, plaide-t-il. Il faudrait vraiment envisager d’apprendre au plus tôt la fabrication d’un site Internet, l’économie numérique et la programmation, de manière adaptée à tous les niveaux. Le numérique ne doit pas seulement être envisagé comme un support ! » Le président de la Fing invite donc l’éducation nationale à considérer l’intervention de professionnels dans les classes. « Ce n’est pas gagné, surtout que des jeunes qui sont aujourd’hui à Bac+5 n’auront pas forcément envie d’aller enseigner en zone d’éducation prioritaire (ZEP). Il faudrait se montrer beaucoup plus imaginatif dans les formes pédagogiques. »
* investissement-avenir.gouvernement.fr
Cet article est extrait du n°5 d’Alliancy, le mag – Découvrir l’intégralité du magazine