Christophe Huerre est Group CIO de Thales. Le groupe réunit des métiers variés, de la Défense à l’aérospatial, en passant par le transport, dont certains sont par nature sous forte contrainte réglementaire. Mais à travers les activités d’ingénieries civiles et les travaux de la Digital Factory, dédiée à l’innovation, la stratégie cloud de l’entreprise devient un élément clés de transformation de la DSI.
Alliancy. Quelle est la position d’un acteur comme Thales sur le cloud ?
Christophe Huerre. Pour comprendre nos choix, il est nécessaire de rappeler le positionnement de Thales, assez unique. Une partie de notre activité répond à des enjeux civils, alors que tout une autre partie est consacrée à des enjeux de Défense. Il va sans dire que les mêmes usages ne sont pas du tout en vigueur de l’une à l’autre. De plus, nous sommes rattachés à des domaines de défense souverains auprès de différents pays et chacun d’entre eux a sa propre doctrine, notamment en matière de cloud. Ainsi, beaucoup de pays anglo-saxons sont beaucoup plus souples sur la question de ces environnements puisque les grands opérateurs sont américains, par exemple. Au total, au niveau du groupe, il y a donc une véritable coexistence de nombreuses approches différentes. De manière générale, si l’on exclut les sujets relevant de la souveraineté nationale, il est toutefois clair qu’il n’y a plus du tout de questionnements autour de l’élargissement des usages cloud au sens large, du SaaS au IaaS.
Quelles sont les formes que prend cette montée en puissance des usages ?
Christophe Huerre. Elle se matérialise chez Thales au niveau d’un nombre grandissant d’applications transverses et « corporate » qui sont dorénavant en SaaS, ainsi que des applications fonctionnelles de type CRM que nous faisons migrer également avec toutefois une analyse et un prise en compte permanente des éléments de données confidentielles ou règlementées qui requièrent un traitement particulier. Cela se fait par ailleurs dans des optiques d’innovation, les ressources cloud sont utilisées à des fins d’analyse de data.
Au rang de ses nombreuses activités, Thales fait valoir sa propre expertise sur le cloud : en tant que DSI groupe vous êtes pourtant utilisateur de cloud public ?
Christophe Huerre. Nous sommes en effet offreur de cloud tout en étant un très grand consommateur. En ce sens, il peut apparaitre paradoxal qu’en tant que DSI groupe, je me retrouve à consommer aussi des services cloud extérieurs. Thales est très bien placés sur des offres cloud privés pour activités réglementées (Défense, service de l’Etat…). Pour nos activités civiles grosses consommatrices de stockage et puissance de calcul nous sommes preneur d’offre à l’échelle telles que proposées par les grands opérateurs de cloud. L’évidence est que le cloud est un business de masse critique : l’efficacité économique vient de l’industrialisation à l’échelle que l’on retrouve sur le cloud public.
« Ma mission principale est d’accélérer la transformation pour que la DSI devienne un continuum naturel de la Digital Factory »
A quel point liez-vous aujourd’hui le principe du cloud avec de l’innovation ?
Christophe Huerre. Pour de nombreuses activités, l’innovation ne va pas dépendre spécifiquement des technologies cloud, mais plutôt d’expertises métiers par exemple. Cependant, pour certains usages notamment liés à l’intelligence artificielle et à l’analyse de la donnée, il est clair que le cloud a beaucoup à faire valoir. A titre d’exemple, la Digital Factory de Thales incarne notre approche de l’innovation et elle s’appuie presque en totalité sur le cloud, comme moyen de stockage, de calcul, d’analyse… Elle va chercher les briques IA/Big Data sur lesquels le cloud fait la différence. Le cloud, c’est dans ce cadre l’agilité technique, le moyen d’avoir des marges de manœuvre.
A quel point les choix de la Digital Factory impacte-t-il la DSI et par extension, le reste du groupe ?
Christophe Huerre. Ma mission principale est d’accélérer la transformation pour que la DSI devienne un continuum naturel de la Digital Factory qui travaille en mode agile, mais qui n’a pas la capacité d’intégration de ses innovations à usage interne à l’échelle d’une grande entreprise internationale. Au sein de la DSI, nous allons en ce sens vers du DevSecOps, en termes de méthode, en écho à l’agilité de la Digital Factory. En termes d’infrastructure, cette dernière montre aussi l’exemple et la DSI suit progressivement. La bascule se fait sur du IaaS, du PaaS, du SaaS : la croissance de la demande est très forte sur ces environnements en interne. Si ce que l’on recherche c’est de la capacité fiable, sans limite et avec une progression cohérente et maîtrisée, comme ce que l’on peut déjà faire pour nos plateformes d’ingénierie civile, alors il n’y a pas de question à se poser avec le cloud. Le point de vigilance est de faire cela à son propre rythme. Une entreprise doit définir sa trajectoire, maitriser son rythme, définir des règles d’éligibilité pour chacun de ses business et mettre en place des mécanismes solides en matière de data gouvernance.