Interview – Jean-Claude Viala, RTE : L’influence de la DSI sur l’entreprise

Jean-Claude Viala, DSI de RTE

Jean-Claude Viala, DSI de RTE

Interview de Jean-Claude Viala, 
Directeur des Systèmes d’Information de RTE
Propos recueillis par Alliancy, le mag.

Quelle est la principale évolution qu’a connue votre entreprise ces dernières années ?
Jean-Claude Viala
 : Chez RTE, le numérique nous a permis d’améliorer considérablement la sécurité du système électrique. Celui-ci a évolué autant ces 10 dernières années que depuis son invention ! Cependant, je crois que l’évolution qui nous impacte le plus est, de manière générale, l’accélération des rythmes d’innovation, plutôt qu’une technologie en particulier. L’offre de services de RTE reste la même, l’accès à l’électricité pour tous, sans discrimination… mais nous sommes aujourd’hui capable de fournir de l’information en temps réel, à nos agents comme aux consommateurs finaux, qui ne sont pourtant pas nos clients directs.

Quelles formes peuvent prendre ces nouvelles possibilités ?
J-C. Viala : RTE, le gestionnaire du réseau français de lignes à haute tension, a lancé jeudi une nouvelle version de son application éCO2mix, qui permet de suivre la consommation électrique en France quasiment en temps réel, et désormais aussi dans les régions.

Accessible gratuitement sur internet et sur smartphone, éCO2mix permet de connaître quart d’heure par quart d’heure la consommation et la production nationale d’électricité, la composition de cette production par filières (nucléaire, gaz, fioul, énergies renouvelables, etc.), les émissions de CO2 et les échanges d’électricité avec les pays voisins.

Grande nouveauté: ces informations sont désormais disponibles pour les 21 régions de la France métropolitaine (hors Corse, dont le réseau ne dépend pas de RTE), mais avec un mois de décalage.

Le site, qui permet également de consulter un historique remontant au 1er janvier 2012, est visible à l’adresse : www.rte-france.com/fr/developpement-durable/eco2mix.

D’un point de vue technique, cette application est très simple, mais elle s’appuie dans son fonctionnement sur l’ensemble de notre système d’information. La DSI doit être porteuse d’innovation, auprès du grand public comme en interne.

Quels sont les usages nouveaux dont vous avez dû absolument tenir compte ?
J-C. Viala : Dans notre cas, il s’agit certainement de la mobilité. Plus précisément, l’accès à l’information, à tout moment, en tout lieu. C’est bien souvent au fond d’une vallée difficile d’accès qu’un de nos techniciens va avoir besoin d’informations pour intervenir sur une ligne à haute tension, sans être obligé de retourner à sa base. Nous investissons donc en termes d’infrastructures, mais également sur des usages complètement nouveaux, telle que la vidéo-assistance qui permet à des experts de prodiguer des conseils à distance lors d’une intervention. Quand ces nouvelles fonctionnalités, que nous n’imaginions même pas par le passé, seront déployées à grande échelle, cela va révolutionner notre quotidien et notre réactivité en cas d’incident.

Quel impact ont ces transformations, en interne pour la DSI ?
J-C. Viala : Je pense que la DSI est beaucoup plus sollicitée par les métiers, mais également que les exigences des utilisateurs sont plus fortes vis-à-vis de son action. Il y a de plus en plus d’attentes parce que le numérique est partout. Les usages professionnels peuvent être comparés à de nombreuses autres situations, qui ne sont pas celles de l’entreprise. Le DSI a toujours eu un rôle de préparation aux nouvelles pratiques… mais je pense que le périmètre où nous exerçons ce rôle à présent ne cesse de grandir.  

Quels points positifs une DSI peut-elle retirer de ces changements, au final ?
J-C. Viala : L’accélération technologique est telle que la DSI est obligée de se positionner et d’être force de proposition sur ces nouveaux usages qui naissent grâce aux technologies. Cela permet de beaucoup mieux valoriser son rôle dans l’entreprise. Chez RTE, la DSI est devenue un métier comme un autre, plus seulement de back-office… Je pense que l’industrie en général a maintenant compris que l’on a absolument besoin de coopérer, à tous les étages : du marketing à la production, en passant par les commerciaux, tout le monde doit dialoguer… et dialoguer avec la DSI. Ces nouvelles coopérations permettent une meilleure prise en compte de la valeur du numérique dans l’ensemble de l’entreprise.

« Être force de proposition » : c’est-à-dire être plus proactif vis-à-vis des métiers ?
J-C. Viala : C’est un enjeu permanent. La DSI peut facilement être perçue comme un frein par les utilisateurs, car son tempo est souvent différent. Les collaborateurs se demandent en effet souvent pourquoi ils n’ont pas encore dans leur environnement professionnel des fonctionnalités utiles auxquelles mêmes leurs enfants peuvent bénéficier sur leurs consoles de jeu par exemple. Il faut donc être lucide, toutes les situations existent : si la DSI peut parfois proposer des fonctionnalités nouvelles de façon très proactive, il lui arrive aussi d’être à la traine. Et ces situations ne sont pas fixes : sur un même projet, la DSI peut partir avec un coup d’avance en termes d’idée mais se faire rattraper par les attentes des métiers… ou au contraire avoir eu du mal à percevoir ses attentes, pour proposer au final bien mieux.

Comment gérez-vous ces enchainements chez RTE ?
J-C. Viala : Pour prendre un exemple concret… nous avions mené, au sein de RTE, une réflexion sur la gestion de la végétation qui entoure les lignes hautes-tensions, notamment pour affiner les élagages et la préservation environnementale. Nous avons cartographié la végétation sous nos lignes et défini les niveaux de croissance des plantes, pour mettre en place des modèles prédictifs. Nous avions alors l’envie de pousser l’idée jusqu’à proposer un service d’identification de la végétation par un contrôle visuel par exemple avec des caméra embarqués dans des avions ou hélicoptères., mais le projet n’a finalement pas émergé. Aujourd’hui, cette idée est revenu en force à l’initiative des métiers… et nous allons devoir paradoxalement faire en sorte de ne pas être en retard sur ce sujet.

Cette « vie des idées » dans l’entreprise est nouvelle ?
J-C. Viala : Ce n’est pas une révolution, mais ce qui m’impressionne vraiment, c’est que toutes ces phases, ces échanges, s’enchainent maintenant beaucoup plus vite. Quand un nouveau produit grand public apparait dans le commerce, les nouvelles fonctionnalités qui vont nous être demandées d’un point de vue professionnel vont l’être de façon presque immédiate. C’est un état de fait et il faut apprendre à vivre avec au quotidien et à s’adapter à la DSI.

Vous citez la porosité entre usages privés et environnements professionnels : où se place la question de la sécurité dans ce cadre, pour vous ?
J-C. Viala : Dans cette dynamique, la sécurité est toujours un sujet. Mais au final, les logiques actuelles ne sont pas si différentes de celles qui animaient l’entreprise et la DSI il y a quelques années. Il n’y a pas si longtemps de cela, l’accès à Internet n’allait pas de soi dans le milieu professionnel. Puis, entre nouveaux usages et préoccupations de sécurité, les accès web ont été ouverts. Aujourd’hui, les questions de sécurité sont un enjeu d’image fort pour la DSI, car elles sont typiquement celles qui la font passer pour un frein. L’effort de communication à fournir est très important.

Comment conjuguer aujourd’hui nouveaux usages et sécurité ?
J-C. Viala : De manière générale, l’une des pistes que nous suivons de près sur le sujet, c’est la capacité à envoyer à l’utilisateur, à travers des petites applications et une interface intuitive, les fonctionnalités et les informations précises qu’il lui faut pour réaliser une tâche particulière. Pour l’utilisateur ce sera un avantage en termes d’ergonomie, d’usages, de gain de temps… et pour la DSI un vrai plus en termes de sécurité, grâce à la maitrise de l’information qui minimise proportionnellement les risques. Aujourd’hui, le moindre collaborateur croule sous l’information… l’enjeu de la technologie est aussi de résoudre cela. Y répondre est un excellent moyen pour la DSI d’apporter de la valeur aux métiers.

Est-ce que vous avez formalisé ces nouveaux rapports entre la DSI et les autres métiers dans votre entreprise ?
J-C. Viala : Depuis quelques temps, nous avons mis en place une organisation du SI en fonction de 7 grands programmes, chacun étant sous la responsabilité d’une direction métier. Ils regroupent des équipes mixtes, dirigées tantôt par un responsable projet métier, tantôt DSI. L’ensemble de ces programmes donne lieu au Plan de Gestion des Programmes du SI, validé chaque année par le COMEX. C’est une force d’avoir à la fois cette présence opérationnelle et cette vision à long terme à mon niveau, car au final, il n’y a d’innovation technologique réussie que quand c’est le métier qui en a l’idée. Plus que jamais, la mission de la DSI est donc de développer la maturité des métiers pour que le tempo soit le meilleur possible.

 

Cet article est extrait du n°6 d’Alliancy, le mag – Découvrir l’intégralité du magazine