Redspher, ETI française du transport logistique, spécialiste du « on-demand delivery » a mené en quelques années un important plan de transformation, qui n’a rien à envier aux géants du transport. Dans sa stratégie de plateformisation, un élément a bénéficié d’un soin tout particulier : la transformation du rôle de son IT vis-à-vis du business. Explications du chief operating officer de Redspher, Ignacio Tirado.
Alliancy. A quel point la stratégie de Redspher s’appuie sur un mouvement de plateformisation ?
Ignacio Tirado. Notre stratégie comporte trois étages : digitaliser notre cœur métier, créer nos start-up et industrialiser pour être rentable à partir des services ainsi créés. L’idée est effectivement de réunir toutes les solutions de « on-demand delivery » sur une seule plateforme, référente, ouverte à nos concurrents et sur lesquels nos clients peuvent composer l’ensemble des services dont ils ont besoin. L’ambition est bien qu’ils puissent à accéder à un véritable « Amazon » de la logistique non régulière. Le défi est que le sujet est plus complexe dans notre secteur que pour le grand public: en effet nous proposons des services sur mesure pour les différents secteurs de l’économie. Cette vision stratégique est pour nous un levier d’accélération majeur pour transformer l’ensemble de notre organisation.
Quelles sont les conséquences sur l’organisation ?
Ignacio Tirado. La conséquence la plus évidente est que le numérique est le cœur de cette stratégie et donc que notre capacité IT est le cœur de notre produit plateforme. Cet état de fait change fondamentalement la place qu’un service informatique doit avoir dans une entreprise. Il ne s’agit plus seulement de fournir de la bureautique ! En l’occurrence, notre direction des systèmes d’information s’est déchargée de la gestion des commodités bureautiques grâce au cloud, et s’est concentré très fortement sur son rôle de développement et d’innovation. Elle pilote dorénavant une véritable usine de développement.
Qu’est-ce que cela implique ?
Ignacio Tirado. Il a fallu mettre en place de nouvelles méthodologies de travail, notamment l’agile, mais aussi revoir l’organisation. Quand on parle d’usine de développement, le terme n’est pas choisi au hasard : c’est une véritable usine, nous avons donc créé un département de produit, dirigé par un product manager, qui fait le lien avec le business. Et aujourd’hui, le product manager rapporte directement au CEO !
Nous avons aussi pu attirer de nombreux jeunes talents, que la démarche a séduit et qui ont apprécié la responsabilisation de A à Z que cela impliquait pour les équipes. Le product manager et les équipes de développeurs ne sont plus de simples exécutants mais force de proposition. Ce département produit est au cœur de l’entreprise : ses équipes sont vus comme des coéquipiers à la fois par nos spécialistes IT et métiers… et ils sont invités aux fêtes organisées des deux côtés !
Qui sont les nouveaux talents qui permettent à une telle organisation de fonctionner ?
Ignacio Tirado. Au service de notre stratégie, il est nécessaire d’avoir une très forte entente entre les équipes métiers et les équipes IT. Dans les faits, la qualité de cette liaison repose sur le poste de product owner (PO). Si on l’enlève de l’équation, tout se casse la figure dans le cadre d’une méthodologie agile. C’est lui qui regarde l’impact business, il en est l’ambassadeur et en même temps, il comprend finement les enjeux IT. Le partage d’information est évidemment basé sur des rituels, comme dans toute démarche agile, mais ceux-ci ne suffisent pas en eux-mêmes. Ce genre de transformation repose beaucoup sur les hommes. Être product owner est donc une carrière prenante. Nous avons commencé l’année avec 6 PO et nous allons la finir avec 10 personnes, pour une effectif total de 650 salariés. Cette fonction propose un vrai challenge, cela attire. Cela permet aussi à des acteurs très techniques de se muscler fortement sur la partie métier: comprendre les enjeux business et les traduire en développement IT. Comme tout chef de projet, le Product Owner traduit ensuite les demandes en «cartes» : un mini cahier des charges qui intègre la demande dans l’écosystème IT. Ce qui est beau, c’est qu’après être passé à un tel poste, ces collaborateurs sont de véritables « machines de guerre » : ils vont infuser tout le reste de l’organisation avec leurs méthodes et leurs excellents réflexes.
Comment les recrutez-vous concrètement ?
Ignacio Tirado. Quand nous avons commencé notre transformation, j’ai dû montrer l’exemple. J’ai formé une équipe avec une personne avec un rôle commercial produit, mais qui avait une grande sensibilité IT, et un développeur qui connaissait pour sa part très bien le métier. Nous avons pu nous concentrer ensuite sur l’embauche. Nous recrutons plutôt au Luxembourg, où il y a beaucoup de talents bien formés à ces méthodes. Pour ne pas nous tromper, nous avons standardisé nos façons de mener l’entretien d’embauche, en nous inspirant du modèle Google. Le candidat doit créer un exemple de « carte » à partir d’un cas client concret. Environ une personne sur quinze réussit ce test. Ensuite, nous cherchons à comprendre la façon de penser du candidat, car nous avons besoin de personnes qui n’ont pas peur de l’imprévu et les situations de crise. Nous détectons les profils qui savent reconnaître quand ils ont été confronté à une crise dans leur vie et qui surtout savent l’analyser point par point, et en tirer les conséquences. Cela permet de détecter les talents, bien mieux que tous les CV que l’on peut nous envoyer !