Au cours d’un évènement festif (quand il y en avait encore), un DSI d’ETI m’annoncait fièrement : « Nous allons déployer Salesforce ! ». Et pour lui, tout était dit…
Il était un temps fort fort lointain où l’on pouvait rencontrer des gens, même en grand nombre, leur parler en face à face, voire leur serrer la main.
A cette époque au cours de ce que l’on appelait une « soirée Réseau », événement fort sympathique, nous pouvions discuter entre DSI autour des petits et grands sujets de l’actualité.
Bref, ce que l’on pouvait appeler « une bonne fin de journée ».
C’est donc au cours d’un de ces événements festifs, que le DSI d’une ETI m’annonce fièrement : « Nous allons déployer Salesforce ! ».
Fin de l’argumentaire. Tout était dit…
Il est de plus en plus fréquent, de la part de DSI, de dirigeants ou de managers opérationnels, d’entendre cette phrase lorsque l’on parle de stratégie du SI « je vais déployer tel ERP ou tel CRM, je vais aller dans le cloud public ».
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Quand un logiciel échappe à ses créateurs
J’ai une mauvaise nouvelle : la solution technologique, aussi pertinente et performante soit-elle, ne fera rien seule. C’est ce que vous en ferez qui conduira au succès ou à l’échec.
Choisir une solution technologique structurante, tel un ERP, est un événement crucial dans la vie d’une entreprise. Non pour ce qu’il peut faire, mais pour ce que vous allez en faire.
Il faut donc maitriser ce que va réellement produire le logiciel, non pas le lendemain du déploiement, mais sur la durée. Et le résultat se mesurera par la valeur créée.
Pour cela, il va falloir maitriser l’usage, le mesurer, le piloter, l’accompagner.
L’usage du système d’information est l’aboutissement de l’appropriation par les utilisateurs des logiciels après déploiement. C’est la passerelle entre les possibilités technologiques d’une application et sa concrétisation pour l’utilisateur, la différence entre la conception et sa résultante opérationnelle.
Non maitrisé, il peut dériver négativement dans le temps jusqu’à l’abandon de la solution qui n’a pas « rencontrée son public » conduisant, dans le meilleur des cas, à un décommissionnement voir, plus insidieusement et plus fréquemment, une sous-utilisation invisible générant une moins-value récurrente. Mais il peut échapper positivement à ses « créateurs » par un grand succès de la solution où les utilisateurs se l’approprient rapidement et pleinement, le font progresser en totale autonomie vis-à-vis de l’organisation qui l’a mis en place, et génère ainsi une forte plus-value bien au-delà des prévisions.
« Celui-ci est mieux, il peut tout faire ! »
Le management de l’usage dépend de très nombreux facteurs, lié, entre autres, à la stratégie de déploiement et à la gestion du changement.
Mais, parmi tous ces facteurs, je voudrais en cibler un en particulier : la gestion de la maturité des utilisateurs.
Aujourd’hui les logiciels sont de plus en plus riches en couverture fonctionnelle et en complexité opérationnelle. Lorsqu’un projet va aborder un nouveau périmètre fonctionnel (e-commerce, CRM, BI, Gestion de portefeuille projets…), les utilisateurs et la DSI se laissent souvent griser par la palette de fonctionnalités offertes. « Celui-ci est mieux, il peut tout faire », « On veut tout, on en a absolument besoin !». Et la réponse est très souvent dans la seule capacité financière d’acheter ou non l’ensemble des modules proposés.
Le problème est que l’on ne passe pas en une seule étape de la gestion de ses clients sous Excel au déploiement complet d’un CRM.
Pourquoi ? Ce n’est pas une question de moyens financiers, c’est une question de montée en maturité des utilisateurs.
Piloter sous Excel le mardi et tout révolutionner le mercredi, vraiment ?
En effet, une organisation ne peut pas la veille ignorer un processus opérationnel complexe et novateur pour l’entreprise, et le lendemain vouloir le maîtriser parfaitement.
On ne peut pas ne planifier aucun de ses projets R&D le mercredi et, le jeudi, sous prétexte d’avoir acheté un progiciel performant, planifier les délais, les tâches sur 5-6 niveaux, l’organisation, les ressources génériques et nominatives, la priorisation des demandes, les coûts directs et indirects…
On ne peut pas piloter sa force commerciale sous Excel le mardi, et le mercredi vouloir gérer ses contacts, planifier ses prospections, prévoir ses ventes, piloter sa force de vente, cibler ses clients, analyser ses marges… Et ce, sur l’ensemble du périmètre géographique ou organisationnel de l’entreprise.
Il faut pour cela définir des paliers fonctionnels et organisationnels qu’il conviendra de gravir au fur et à mesure du temps. Chaque palier constituera un apport fonctionnel majeur pour les opérationnels. Le savoir-faire opérationnel du collaborateur croit de fait au fur et à mesure de ces étapes, ce qui le valorise, le motive, le fidélise.
Une vision à 3 ans avec des paliers tous les 6-9 mois est généralement un bon timing. Ceci permet de maitriser le déploiement des fonctions, leurs bonnes utilisations, leurs appropriations par les utilisateurs. Ainsi le logiciel devient petit à petit la pleine propriété des métiers, et la valeur ajoutée créée ne cesse de croitre au cours du temps.
Une étape importante est à maitriser : la 1ère version.
Face à des utilisateurs qui veulent tout et tout de suite, une capacité finie de déploiement, une gestion du changement à maitriser, un usage à optimiser, il va falloir choisir avec soin le périmètre fonctionnel de cette version initiale. Cette étape est d’une importance cruciale : une version qui ne donne pas satisfaction (périmètre fonctionnel jugé sans plus-value ou trop complexe, gestion du changement non satisfaisante, non appropriation du sujet par la direction, non maitrise technologique par la DSI…) conduira au rejet du produit.
Il faut viser le mix de l’effet Waouh et du Minimum Viable Product (MVP). Définir le périmètre qui va apporter de la valeur rapidement avec un effort raisonnable pour les utilisateurs. Il convient également de mettre en place une bonne communication pour que les utilisateurs, non seulement adhèrent à cette version fonctionnelle, mais également au plan à 3 ans au travers des lots fonctionnels qui seront déployés. Tant que tout le monde n’adhère pas à la cible et à la démarche de progrès, le risque de rejet est non négligeable.
Et le rôle de la DSI dans tout cela ?
A mon sens, de par sa maitrise du SI en place, sa connaissance des processus fonctionnels de l’entreprise, sa vision transverse, son écoute des utilisateurs et de la direction, sa plus-value est d’être le catalyseur de l’innovation numérique et digitale de l’entreprise. Du fait de sa veille technologique permanente, elle doit transformer les besoins opérationnels et stratégiques émergents en idées puis en projets.
Elle doit porter l’enfance du nouveau progiciel (la 1ère version), accompagner son adolescence en ajoutant des fonctionnalités au cours des paliers de maturité, et le laisser devenir autonome entre les mains du Métier à l’âge adulte. Pour ainsi préparer le prochain saut fonctionnel, organisationnel et technologique..
Ainsi elle sera reconnue comme une organisation créatrice de valeur au service du Métier.
Quand je parle de ma fonction, je dis « que je déploie des usages numériques ».
Avec une finalité : Faire en sorte que ce qui est déployé soit bien utilisé dans une démarche opérationnelle continue de progrès.
Et pour vous ?