Dans le cadre de notre nouveau guide Numérique en Pratique, Bruno Buffenoir, directeur général pour la France de notre partenaire ServiceNow, partage son analyse de la dynamique de reprise des entreprises et du rôle clé de la relation DSI-Comex dans celle-ci.
Quel regard portez-vous sur les réactions des entreprises face au choc de la crise sanitaire et économique ?
Bruno Buffenoir. Les réactions ont pu bien sûr être différentes selon les secteurs et les tailles des organisations, mais de manière générale, on voit une sorte de « courbe de maturité » des réactions face à la crise. Les entreprises progressent plus ou moins vite pour avancer sur cette courbe. La première phase est assez simple à analyser avec une seule préoccupation des dirigeants face à la sidération initiale : protéger les collaborateurs et préserver autant que faire se peut le fonctionnement de l’entreprise dans ces conditions. Pendant deux semaines environ, il y a eu un accompagnement inédit de toutes les parties prenantes, et en particulier des DSI, pour passer ce cap. Mais on est rapidement entrés dans une deuxième phase, avec le ralentissement global de l’économie qui a conduit à faire un focus sur la continuité d’activité, la gestion de la sécurité et sur des modes de travail agiles. Comment sécuriser les opérations IT ou métiers ? Et comment opérer à distance l’entreprise avec une vraie flexibilité ? Beaucoup de dirigeants nous ont alors remonté des difficultés sur les processus de décision ou de validation internes, qui étaient beaucoup trop lourds. Et au même moment, fin avril, tout le monde a pris conscience, je crois, que la situation allait durer d’une façon ou d’une autre, bien au-delà du seul déconfinement.
Et à partir de là, qu’est-ce qui a changé ?
Bruno Buffenoir. Il a fallu commencer à redéfinir ses priorités dans une optique de plus long terme. Que fait-on si la situation ne revient jamais vraiment « comme avant » ? Notre société a connu un choc de transformation à de nombreux niveaux ces derniers mois : acculturation massive à des nouveaux usages numériques, nouveau boom de l’e-commerce, difficultés de mener de grands projets… Les entreprises ont été mises devant le fait accompli. Depuis l’été 2020, les retours sont donc variables entre ceux qui ont commencé à penser un retour à la croissance, en redéfinissant leurs activités et en cherchant à créer un effet de levier de la crise pour mieux se transformer, et ceux qui sont toujours dans une logique de résilience business et pour qui le sujet reste l’optimisation des coûts.
[bctt tweet= »Bruno Buffenoir (ServiceNow) « Si le #DSI n’est pas proactif dans ces moments précieux, il est mécaniquement relégué à la simple exécution… Il n’y a vraiment plus le droit à l’erreur en termes de posture et d’argumentation. » » username= »Alliancy_lemag »]Au-delà du secteur, qu’est-ce qui fait qu’une entreprise est dans l’un ou l’autre de ces états d’esprit ?
Bruno Buffenoir. Les entreprises qui, avant la crise, avaient une stratégie claire de transformation ont été moins prises au dépourvu. Celles qui avaient réalisé des investissements en ce sens avant la fin 2019 ont également subi moins de contraintes. Ensuite, c’est l’ADN de l’entreprise, les convictions de transformation des dirigeants… et le fait d’avoir fait ou non évoluer sa gouvernance vers plus d’agilité ces dernières années, qui jouent le plus. Ce n’est pas nouveau : voilà une décennie au moins que tous les grands cabinets de stratégie préviennent de l’importance des changements radicaux qui doivent être réalisés dans tous les secteurs.
Mais beaucoup d’entreprises n’ont pas voulu prendre de risques tant que l’horizon n’était pas encore trop sombre, pour ne pas risquer de se faire mal. La crise a changé radicalement cet horizon. Pour certains DSI et CDO, il est donc aujourd’hui possible de débloquer trois ou quatre ans de transformation en quelques semaines. À condition de faire attention au dialogue noué avec le Comex.
Pourquoi ?
Bruno Buffenoir. Presque tous les Comex ont pris les commandes en mode direct et opérationnel en cette période de crise. Ils se réunissent et arbitrent à fréquence très régulière, tant d’un point de vue financier et RH que métier. Si le DSI n’est pas proactif dans ces moments précieux, il est mécaniquement relégué à la simple exécution et plus du tout dans le rôle proactif de transformateur « bottom up » qu’il a pu patiemment construire ces dernières années. Cependant, dans le même temps, la bande passante du Comex s’est encore plus réduite. Il n’y a donc vraiment plus le droit à l’erreur en termes de posture et d’argumentation : c’est ce qui va faire la différence entre la capacité à apporter la valeur et le fait d’être contraint d’appliquer uniquement des baisses de budget en cascade. Et bien entendu, entre l’un et l’autre, la répercussion sur la perception des équipes et leur engagement est extrêmement sensible. De plus, les cadences changent et il n’est plus l’heure de discuter des grands projets à base d’appel d’offres : en quelques semaines vont souvent se jouer des mises en œuvre très rapides avec quelques partenaires de confiance. Le changement est brutal et un DSI ne doit pas rater cette opportunité.
[bctt tweet= »Bruno Buffenoir (ServiceNow) « Comme le digital a été mis au centre du jeu ces dernières semaines, les #DSI ont clairement une carte à jouer avec le #Comex, bénéficiant d’une écoute sans précédent. » » username= »Alliancy_lemag »]Quelles sont les thématiques clés sur lesquelles un DSI peut peser et être entendu ?
Bruno Buffenoir. Certains sujets sont particulièrement évidents, comme la sécurité. La pression accrue et les menaces auxquelles les entreprises ont dû faire face en situation de faiblesse pendant la crise ont aiguisé encore plus l’attention des Comex. Ensuite, il y a sans doute le sujet de l’automatisation, que ce soit sur les sujets IT ou métiers, car il touche à la fois les impératifs d’économie, de résilience et d’agilité des organisations. Le dernier élément qui s’impose est tout ce qui est relatif à la gestion de l’engagement, que ce soit au niveau des collaborateurs, des clients ou de la chaîne de valeur de l’entreprise dans son ensemble. Ce dernier aspect renvoie à la dynamique de « plateformisation » pour orchestrer la gestion opérationnelle de l’écosystème de l’entreprise de bout en bout. Beaucoup d’entreprises se sont rendu compte avec la crise à quel point elles ne maîtrisaient pas du tout leur écosystème et à quel point cela les fragilisait en cas de coup dur. En la matière, des projets de gestion des données en mode plateforme visent à assurer la résilience de l’organisation tout en permettant de tirer parti des opportunités qui vont se présenter, par exemple autour des parcours client multicanal ou de la supply chain. Au final, le moment est clé pour aborder l’ensemble de ces dimensions de transformation. Au-delà de l’urgence, il est possible de redessiner aujourd’hui l’avenir de l’entreprise. Et comme le digital a été mis au centre du jeu ces dernières semaines, les DSI ont clairement une carte à jouer avec le Comex, bénéficiant d’une écoute sans précédent. Malgré les contraintes, nous sommes dans un moment unique, qui permet d’être ambitieux.