La situation difficile que connaissent les petits commerces du fait de la crise sanitaire provoque une mobilisation sans précédent des acteurs publics comme privés. Avec un enjeu : ne pas se tromper de combat pour ces TPE qui découvrent souvent le digital.
« Pendant longtemps les commerçants avaient pris l’habitude de se dire « le digital, c’est une option un peu compliquée. On s’y mettra quand on pourra ». La situation fait qu’aujourd’hui il est clair pour tout le monde qu’on ne peut plus passer à côté, quelle que soit la taille de son commerce ». Lionel Saugues, vice-président de la Fédération française des associations de commerçants (FFAC), résume ainsi la situation délicate qui se joue depuis le début de la crise sanitaire. La question de la transformation des commerces de proximité est revenue en force avec le deuxième confinement provoqué par la remontée des cas de Covid-19 en France à l’automne.
300 000 commerces concernés ?
Bien sûr, médias et commentateurs politiques se sont emparés de la question de définition de ce qu’était un « commerce essentiel » et un autre « non-essentiel » dans le cadre des autorisations d’ouverture. Mais dernière les arbitrages de l’exécutif, le contexte de crise a surtout fait apparaître à nouveau le défaut flagrant de digitalisation des TPE. Celles-ci étaient tout simplement habituées à pouvoir compter sur un vrai degré de proximité avec leurs clients, mis à mal par le besoin de distanciation physique. L’Insee évalue à 300 000 le nombre de « points de vente » de proximité dans le commerce de détail avec un chiffre d’affaires moyen d’1,2 millions d’euros*. Mais l’institut souligne que 1% d’entre eux, supermarché et hypermarché, captent un tiers du chiffre d’affaires global. La pression est donc surtout sur les 99% restants, aux résultats et effectif bien plus réduit.
Tout le monde s’est donc porté au chevet de ce commerce de proximité, à grand renfort de campagne de communication et en mettant souvent l’accent sur la situation de « l’ogre Amazon » à la croissance spectaculaire, encore renforcée par les confinements successifs. Des discours par nature très politiques pour Pierre Bonis, directeur général de l’Afnic, l’association française pour le nommage internet en coopération, qui suit de près le lien que les commerçant ont avec le monde d’internet : « Je suis assez frappé par les déclarations que l’on entend dans les médias, notamment sur le cas Amazon… On a l’impression que l’on a d’un côté du « brick and mortar » à la française et de l’autre que le numérique se limiterait à Amazon. »
Le chèque numérique de 500 euros en question
Reste qu’une variété d’acteurs est montée au créneau, qu’ils soient privés, par exemple Intermarché en lançant une marketplace dédiée aux petits commerces (assorties d’une publicité « Désolé Amazon » provocatrice), ou publics. Les initiatives soutenues par les collectivités et les organismes institutionnels se sont multipliés entre octobre et novembre 2020, s’ajoutant aux aides économiques maintenues ou ajoutées depuis le printemps 2020. Celle qui a fait le plus parler d’elle reste sans doute le « chèque numérique de 500 euros » dédié aux petits commerçants. Souvent décrite comme modique, la somme n’a pas manqué d’attirer l’attention sur le « coût de la transformation numérique ». Une idée que relativise Lionel Saugues de la FFAC : « Le chèque de 500 euros annoncé par le gouvernement est symbolique. C’est une aide appréciable qui est cohérente avec l’idée qu’il est surtout important d’amorcer une démarche un peu plus professionnelle autour de sa visibilité en ligne et d’un site marchand. C’est un montant qu’il faut remettre en perspective des nombreux autres types d’aides qui existent. Nous avons d’ailleurs demandé aux collectivités locales de se mobiliser à tous les niveaux pour les rendre plus visibles »
A lire aussi : Neuf écoles parisiennes mobilisées pour digitaliser les petits commerces
« Avec 500 euros, il est déjà possible de travailler sa visibilité en ligne et de promouvoir son activité. Au-delà du montant investit, l’enjeu est surtout de commencer à faire un diagnostic de ce qui sera vraiment utile à son entreprise : plus de visibilité ? Des moyens de paiement en ligne ? De l’aide pour exporter ? » commente pour sa part Anne-Sophie Le Bras, directrice France de Grow with Google. Cette initiative du géant américain à destination des commerçants est à l’origine de « Ma Vitrine en ligne » en partenariat avec la FFAC, pour permettre aux petits commerçants de mettre le pied à l’étrier du numérique plus facilement. La fédération, qui regroupe 6000 associations de commerçants en France, est en effet un moyen privilégié de toucher les TPE, dont la fragmentation sur le territoire est l’un des défis de la transformation.
« Pour augmenter massivement la culture numérique de milliers de commerçants, nous avons besoin de réseaux comme la FFAC qui ont l’expertise, la proximité et la légitimité pour échanger avec eux sur tout le territoire » reconnait Anne-Sophie Le Bras avant de préciser : « Nous avons créé la plateforme « Ma vitrine en ligne » pour regrouper l’ensemble des ressources qui existent pour les aider. C’est un outil qui s’associe naturellement au dispositif plus large et préexistant de nos ateliers numériques, qui ont permis depuis 2012 de former 50 000 français aux usages numériques »
Pouvoir créer son site internet après 19h
Du côté de la FFAC, on se réjouit d’une telle coopération face à l’urgence. « Google a répondu très vite à notre sollicitation et nous avons trouvé dans ce partenariat un acteur qui partage la même ambition que nous de soutenir les commerçants dans un contexte d’urgence. Ceux-ci sont en grandes difficultés et la période de fin d’année est stratégique, il faut faire vite bouger les lignes » explique Lionel Saugues.
Et les choix retenus par les partenaires donnent un ordre d’idées des actions à mener pour aider des commerçants souvent très loin du monde digital. « Un commerçant qui s’intéresse à la création de son site internet un soir après 19h, doit pouvoir trouver facilement un interlocuteur. C’est avant tout un enjeu d’accompagnement humain plus qu’une question de complexité technique. C’est pour cela que nous avons mis en place une équipe d’experts Google dédiés, disponibles par téléphone ou en ligne, 6 jours sur 7 avec une grande amplitude horaire » détaille Anne-Sophie Le Bras.
Commencer par le B-A-BA
Le plan de numérisation des petits commerçants, lancé par le ministre de l’Economie et des Finances, Bruno Le Maire, début novembre, est vu comme une base nécessaire. Outre le chèque numérique et un soutien financier aux collectivités qui souhaitent proposer des plateformes d’e-commerce mutualisées, Bercy a mis en place Clique-mon-commerce.gouv.fr pour labéliser les acteurs capables d’accompagner la transformation numérique du commerce de proximité. « Cela permet de faire passer le message que la transformation digitale d’un commerce ne coûte pas forcément cher » résume Pierre Bonis. Lionel Saugues complète : « Le message prioritaire que l’on fait passer, c’est de commencer par le B-A-BA. Evidemment que l’on ne peut pas tout transformer du jour au lendemain. Mais il y a des essentiels comme la présence sur les moteurs de recherche, avec les bons horaires d’ouverture, les bonnes informations pratiques à disposition, la mise en avant des avis clients ou encore de la disponibilité du click and collect. Ce sont des informations abondamment utilisées par les consommateurs et très mal par les chefs d’entreprise. Il en va de même pour les réseaux sociaux »
Les chiffres de Google tendent d’ailleurs à lui donner raison, alors que la simple mise à jour d’une fiche de présentation d’entreprise sur le moteur de recherche génère en moyenne 7 fois plus de clic sur le site internet ou le numéro de téléphone du commerçant. On ne peut qu’espérer que ce premier niveau de transformation pousse les commerçants à franchir ensuite les marches suivantes jusqu’à une capacité e-commerce de plein droit. « L’appétit vient en mangeant » est convaincu Pierre Bonis. Souhaitons-le.
*Les derniers chiffres disponibles sont pour l’année 2017