C’est avec sa communauté de chauffeurs que l’enseigne traditionnelle de taxis, leader sur son marché, a mené sa révolution culturelle ces dernières années. Une transformation qui s’est capitalisée sur trois aspects : la premiumisation des services pour les clients, une digitalisation raisonnée et l’humain.
Ces dix dernières années, le paysage du transport parisien a été totalement transformé. A la fois par la diversification de l’offre (auto-partage de voitures électriques, vélos, trottinettes et scooters en libre-service, location entre particuliers…), mais surtout, par l’arrivée massive des VTC (ou voitures de transport avec chauffeur) et sa longue liste de compétiteurs. Ce fut un véritable tsunami sur un secteur réglementé (loi de juillet 2009), jusque-là protégé par un numerus clausus instauré en 1937… Résultat : une crise sans précédent, en France et à l’international, qui aura duré environ cinq ans pour G7. Ce choc d’offres s’est accompagné d’une guerre des prix, en parallèle d’une demande accrue de la clientèle en termes de services. Le groupe familial a dû réagir vite dans de nombreux domaines. Yann Ricordel, directeur général délégué de G7, revient pour Alliancy sur les principaux chantiers menés.
Alliancy. Face à cette crise de l’offre, sur quels piliers vous êtes-vous appuyés pour rebondir ?
Yann Ricordel. Notre modèle économique a toujours été basé sur celui d’une plateforme avec deux types de clients, les passagers (dont les abonnés) et les chauffeurs. Nous animons donc cette double communauté avec une mission qui est, d’un côté, d’améliorer la mobilité d’une population urbaine et, de l’autre, de faciliter la vie de nos chauffeurs. La première étape de notre transformation, vitale pour G7, a reposé sur trois piliers. La digitalisation évidemment, la montée en gamme de nos services et l’humain pour accompagner ces changements.
Rapidement, le centre de gravité de l’entreprise s’est déplacé vers nos équipes IT… On a considéré l’expérience numérique de nos clients comme un élément différenciateur majeur sur le marché. C’est pourquoi nous avons entièrement repris la main sur la transformation digitale de G7. Depuis 2015, nous investissons chaque année plus de 10 millions d’euros pour adresser l’ensemble des enjeux numériques de l’entreprise.
Dans cette approche de la transformation numérique, quels ont été vos partis-pris ?
Yann Ricordel. En étant un acteur traditionnel qui se transforme, nous aurions pu envisager de nous convertir radicalement en une plateforme pure player… Mais, à la différence de nos concurrents, nous avons choisi d’enrichir l’expérience humaine avec le numérique, plutôt que de la remplacer purement et simplement. Par exemple, nous avons maintenu nos centres de relations clients téléphoniques et avons formé les téléconseillers à la relation multicanale avec nos clients… Autre exemple, la fonctionnalité G7Connect permet de payer un taxi hélé dans la rue ou en station à partir de son smartphone, avec la carte bancaire enregistrée dans l’application G7, et de noter la prestation par le passager. Avant la crise sanitaire, la moitié des commandes passait par l’application mobile, aujourd’hui ce taux est monté à 62 % du fait de la pandémie.
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Le digital permet donc de répondre aux attentes des clients qui vont de la simplicité de la commande au suivi de la course… Et, systématiquement, nous avons adressé chaque problématique en ne sacrifiant pas nos valeurs avec l’arrivée du numérique, tout en essayant de prendre le meilleur des nouveaux codes du digital. Pour l’évaluation des prestations des chauffeurs par exemple, nous avons embarqué la notation de la course par le passager, mais aussi conservé nos enquêteurs sur le terrain comme notre charte de qualité interne et ça marche puisque… l’évaluation des prestations par les passagers atteint 4,8 points sur 5 aujourd’hui (contre 3,2 il y a cinq ans).
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Un point également sur l’appli dédiée aux chauffeurs…
Yann Ricordel. Là aussi, nous avons fait un choix différent de nos concurrents ! Nous n’avons pas choisi de développer une application publique téléchargeable sur les stores par les chauffeurs… Notre appli Android propriétaire est embarquée sur des tablettes dédiées et connectées au taximètre du véhicule pour disposer de la donnée réelle de disponibilité des chauffeurs, ce qui nous permet d’informer au mieux les clients. Auparavant, un fabricant canadien nous fournissait les équipements embarqués… Il a fallu passer dans le monde de l’internet mobile, avec une application que nous déployons en continu avec notre communauté de chauffeurs qui participent aussi aux tests et à l’approbation des nouvelles versions…
Qu’est-ce qui a évolué ces dernières années dans votre relation avec cette communauté de chauffeurs ?
Yann Ricordel. Notre communauté de chauffeurs est un des facteurs clés de succès de notre transformation. Nous n’aurions rien pu faire sans eux, sans leur mobilisation, sans leur prise de conscience de l’évolution du marché vers la premiumisation, d’un nouveau paradigme qu’est le digital…
En 2016, nous avions déjà des relations étroites avec nos chauffeurs, mais depuis, nous avons multiplié par deux les points de contacts avec eux. La culture de l’entreprise G7, c’est l’intelligence collective, autant pour faire émerger les idées que les projets ; et nous croyons beaucoup au test-and-learn. Des commissions de chauffeurs se réunissent régulièrement, pour co-construire autour de la charte de qualité renforcée, l’accueil du client, les attributs de la marque, etc. Et nous avons aussi doublé les formations au rythme d’une formation en moyenne pour chaque chauffeur tous les deux ans, qui vient de s’élargir en 2020 au lancement d’une nouvelle plateforme d’e-learning.
Enfin, tous les deux ans également, G7 réunit l’ensemble des chauffeurs au Zénith de Paris, où notre PDG Nicolas Rousselet présente les résultats et les perspectives de l’entreprise. Nous avons besoin de nous rencontrer pour échanger sur l’avenir et avoir leur retour sur les changements opérés… En février 2020, le grand sujet a été la transformation écologique avec le verdissement de la flotte notamment (objectif de 50 % de véhicules hybrides et électriques fin 2021).
G7, c’est…
– Une entreprise de 115 ans, filiale du groupe familial Rousselet (G7, voitures de location ADA et centres de stockage Homebox, mais aussi un centre relations client, une foncière et une ESN d’une cinquantaine d’ingénieurs-développeurs qui portent l’IT interne et externe pour l’ensemble des activités).
– 250 collaborateurs qui permettent, chaque année, la réalisation de plus de 12 millions de trajets grâce à une flotte de 9 000 chauffeurs de taxis parisiens affiliés (sur 18 000 au total à Paris).
– Une présence dans près de 180 villes, réunissant 4 500 chauffeurs partenaires en France (hors Paris).
– Un engagement éco-citoyen depuis 2007 avec « G7 Green » (40 % de la flotte est hybride ou électrique, soit 3 700 véhicules. « On vise les 50 % fin 2021 ) et « G7 Access », une flotte pour personnes à mobilité réduite de 150 véhicules.
– Un chiffre d’affaires d’environ 80 millions d’euros en 2020, pour un volume d’affaires proche de 500 millions d’euros (montant des courses encaissé par les chauffeurs).
– Nicolas Rousselet, diplômé d’HEC, est le PDG du Groupe Rousselet depuis 2001. Il a succédé à son père, André Rousselet, qui en avait pris les commandes après l’avoir rachetée à Simca au début des années 1960.
Les chauffeurs sont-ils demandeurs d’une telle évolution ?
Yann Ricordel. Nous avons toujours eu une relation constructive avec eux, qui ne doit pas être pyramidale. Notre préoccupation aujourd’hui est de continuer d’être mieux entendu et compris… Va-t-on réussir à mobiliser autour des sujets qui nous préoccupent ? Et ce avec l’aide des chauffeurs qui sont de véritables ambassadeurs de la marque. Tout est question de confiance ! Nous sommes revenus dans la course puisque 96 % de nos clients abonnés recommandent les services G7.
Côté clients, comment avez-vous analysé les besoins ?
Yann Ricordel. Avec le digital, nous avons aujourd’hui beaucoup de remontées de la clientèle, notamment sur les irritants… Ce qui nous permet d’améliorer en continu notre expérience client (programme fidélité abonnés). Nous analysons aussi leurs verbatims sur de gros volumes… et on a perfectionné notre baromètre de satisfaction client. Nous avons mis en place une direction de l’Expérience Client pour mieux capter justement cette voix et la porter en interne pour y répondre.
Face à la crise sanitaire, quelle a été votre réaction ?
Yann Ricordel. Nous avons très vite compris que cette crise pouvait être potentiellement vitale pour nous… Il fallait surtout que nos clients – passagers et chauffeurs – gardent confiance dans leurs trajets en taxi. Nous avons dû réagir très vite à la sortie du premier confinement pour trouver, y compris avec les pouvoirs publics, de nouvelles solutions…
En moins d’un mois, nous avons co-construit avec Bureau Veritas et un groupe de chauffeurs, un protocole sanitaire renforcé, « G7 Protection + » et l’avons déployé à toute la flotte. Ce sont des vidéos et tutoriels pour les chauffeurs, des fiches métiers sur différentes actions (bagages, désinfection véhicules…)… Concernant les parois de séparation dans le taxi, nous avons eu un débat sur cette protection : certains clients et chauffeurs la réclamaient, d’autres y étaient moins favorables, notamment au regard de son entretien. Nous avons donc décidé de laisser le choix et d’en faire une option autant pour les chauffeurs* que pour les passagers, via l’application.
Depuis la crise, nous avons également organisé des rendez-vous en ligne avec nos chauffeurs pour échanger en direct avec notre communauté… et mieux les accompagner pour sortir ensemble de la crise. Nous avons mis en place une ligne téléphonique dédiée, des informations spécifiques sur notre intranet en plus des communications habituelles, tout comme des aides financières et administratives exceptionnelles pour soutenir notre communauté envers qui nous sommes plus que jamais engagés.
Plus largement, quelle est votre place dans l’écosystème de la mobilité urbaine ?
Yann Ricordel. Depuis toujours, nous sommes partenaires de toutes les réflexions sur ce sujet. Mais c’est clairement un écosystème beaucoup plus dynamique aujourd’hui, avec des acteurs très différents. Ce qui permet de faire émerger de nouvelles idées et initiatives, surtout dans un secteur aussi contraint par l’usage de l’espace public… Les Pouvoirs publics ont un rôle très important à jouer pour aller vers une ville apaisée et propre, dans un climat de complémentarité entre tous les modes de transport. Et, pour y aboutir, nous pensons que c’est une forme de co-construction à mener ensemble à l’échelle de la métropole, et non au niveau d’une régulation internationale que réclameraient certains acteurs du secteur.
* Près de 5 000 véhicules sont équipés aujourd’hui d’une paroi de séparation, sachant qu’en parallèle, une autre filiale du groupe, Taxirama, a été capable d’innover dans l’écosystème en trouvant une PME française de la plasturgie capable de fournir aux taxis rapidement ce nouveau matériel.