Seulement 12% des projets de transformation des entreprises sont des succès… et à peine 5% lorsqu’il s’agit de transformation digitale[1].Gaël Sandrin du cabinet Cognitive Companions, revient sur l’importance de la transformation (notamment digitale) au sein des entreprises et des fonctions dites « supports » pour mener à bien ces projets. Des chiffres qui font frémir à l’heure où la pandémie n’a fait qu’accélérer les besoins et le rythme des transformations digitales. S’appuyer sur la technologie pour réduire ses coûts et booster sa compétitivité est évidemment une bonne idée, mais pas n’importe comment. Pour une entreprise, digitalisation ne doit en aucun cas rimer avec perte d’autonomie et de contrôle de ses activités à forte valeur ajoutée. Il est temps de revaloriser le rôle des « fonctions support » pour des transformations réussies !
En finir avec le fantasme full-tech
Parce qu’elle permet de faire baisser les coûts de transaction, et d’automatiser un certain nombre de tâches, la technologie fait rêver. Les algorithmes d’intelligence artificielle, reposant sur les principes de machine learning, peuvent à eux-seuls accomplir le travail de plusieurs collaborateurs. En outre, plus la technologie est déployée à grande échelle au sein d’une entreprise et de son écosystème, plus elle s’auto-alimente et permet d’obtenir de meilleurs résultats, le tout en s’appuyant sur la collecte et l’analyse de données.
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Après avoir largement délocalisé leurs productions au début des années 2000, les industriels français ont aujourd’hui tendance à miser sur l’automatisation et la technologie. Pour cela, ils doivent pour la plupart s’appuyer sur des outils digitaux existants : des éditeurs de solutions qui les intègrent dans les systèmes d’information des entreprises, des solutions logicielles de PLM (product life management), ou des géants du numérique, comme Google qui met à disposition ses données. C’est là que le pari devient risqué : en externalisant des pans stratégiques de leurs activités, les entreprises peuvent perdre leur autonomie au profit des prestataires de technologies.
Prenons l’exemple d’un GPS dans une voiture. Le constructeur automobile peut choisir de confier cette fonctionnalité à une entreprise spécialisée, chargée de mettre à jour les cartes et de s’assurer qu’il délivre au conducteur des informations fiables. Dans le cas contraire, les conséquences peuvent être importantes : une mauvaise direction pourrait causer un accident ou endommager le véhicule par exemple. Le constructeur automobile est donc dépendant de l’éditeur de GPS. Et cela peut s’accumuler sur plusieurs fonctionnalités d’un véhicule.
La vraie perte d’autonomie intervient lorsqu’un concepteur ne maîtrise plus la chaîne de valeur et ce qui constitue du point de vue client le cœur de valeur ajoutée de ses produits et services. Avec le développement de l’IoT et ses conséquences stratégiques sur l’évolution des modèles d’affaires et des modèles opérationnels, force est de constater que ces questions deviennent critiques… Face à ce changement de paradigme industriel, comment conserver et développer son autonomie ?
Entre autres en utilisant à bon escient les collaborateurs que le jargon nomme les « fonctions support ».
Les fonctions « support » : pilier de l’entreprise étendue
Les fonctions « support » correspondent à celles qui ne travaillent pas directement sur le produit et ne sont pas en contact direct avec les clients. Il s’agit du back-office et de toute la coordination au service du développement des produits et de la relation client d’une part et du développement des capabilités de l’organisation d’autre part (RH, finance, juridique, etc.).
Au sein des entreprises industrielles, cela concerne notamment les collaborateurs en charge des processus, des méthodes, de l’appropriation et de la formation des ingénieurs aux outils… Dans une logique centrée sur le produit, souvent peu valorisante pour ces missions de gestion et de coordination, ce sont les premiers postes qui disparaissent en temps de crise. Or, ces collaborateurs sont souvent les seuls au sein des entreprises qui connaissent à la fois les produits, les métiers et les outils et processus de travail.
Croire qu’une technologie autonome viendrait complètement remplacer le rôle humain est illusoire. Là où les humains sont flexibles mais non duplicables, les machines sont duplicables mais loin d’être aussi flexibles. Leur complémentarité reste une évidence. La réussite des projets en entreprise dépend donc surtout de la fluidité des échanges entre les différents acteurs et de la coordination globale des équipes, en lien avec l’émergence des nouvelles technologies. Dans un monde aussi mouvant et interdépendant que le nôtre, il est extrêmement difficile de posséder toutes les expertises en interne et d’être 100% indépendant. S’appuyer sur des solutions technologiques intégrées pour déléguer une partie des tâches et de la circulation de l’information est très pertinent, mais tout transférer à la technologie, aussi performante soit-elle, peut s’avérer dangereux.
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Les collaborateurs « support » permettent de faire le lien entre les acteurs, de conserver une trace « historique » de la culture de l’entreprise et de garder la main sur le produit. Dit autrement, il est inconscient de laisser le prestataire GPS en autonomie complète s’il existe des interconnexions et des interdépendances avec le reste du véhicule (ce qui est désormais presque toujours le cas). Il faut conserver un superviseur qui connaît les spécificités de la voiture, fait le lien avec les ingénieurs… Des missions qui reposent essentiellement sur les fonctions « support », car la conduite du changement – perpétuel en entreprise – implique d’abord une transformation humaine et organisationnelle.
La collaboration avec d’autres, le recours à leurs savoir-faire et la co-création sont de réels accélérateurs d’innovation, sous réserve qu’ils soient coordonnés dans une démarche d’entreprise étendue et qu’ils permettent à chaque structure de garder la main sur son activité créatrice de valeur ajoutée.
Les missions du back-office des entreprises sont rarement mises en lumière et les fonctions « support » ont tendance à être dévalorisées… Elles jouent pourtant un rôle majeur au sein des entreprises. Les fonctions « support » sont la clef de l’autonomie de l’activité stratégique des entreprises industrielles, et donc de leur pérennité. N’est-il pas temps de redorer leur appellation, et ainsi de ré-enchanter cette fonction essentielle ?