Pour piloter sa production au plus près de la demande, Louis Vuitton s’appuie sur des prédictions des ventes basées sur l’intelligence artificielle. Mais si la greffe IA prend, c’est aussi grâce à une bonne cohabitation avec le métier.
La crise a profondément bouleversé le secteur du retail, et pas seulement en raison de la fermeture des magasins. L’incertitude qu’elle occasionne constitue un véritable casse-tête pour cette industrie en raison de son impact sur les ventes et donc aussi sur la production.
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Tout l’enjeu pour ces entreprises consiste, pour des raisons de coûts notamment, à prévoir au mieux la demande afin d’ajuster les capacités de production. L’industrie du luxe ne fait pas exception. Pour la directrice de la supply chain de Louis Vuitton, la crise accentue ainsi les besoins en termes de planification et d’agilité.
La prévision des ventes critique à l’ère de l’incertitude
« Nous cherchons toujours à planifier au plus juste. Mais dans un monde VUCA [Ndlr : Volatility, Uncertainty, Complexity, Ambiguity], il faut surtout être agile pour parvenir au lead time le plus court », soulignait Anne Borde lors du Hubday Data 2021.
Ce « lead time » recouvre en particulier la capacité de mettre à jour et de transmettre les informations le plus rapidement possible, comme les prévisions de ventes pour les responsables de production. Ces prévisions sont en effet capitales pour l’entreprise. Elles permettent de produire la juste quantité de produits.
Dans le business model de Louis Vuitton, reposant exclusivement sur de la vente directe et l’absence de soldes, la gestion des stocks occupe une place importante. « Mes enjeux sont de disposer du stock le plus qualitatif possible, tout en réduisant notre impact sur l’environnement », commente l’experte supply.
Jusqu’à présent, le pilotage de la production s’appuyait sur des prévisions établies par des sales planners, des prévisionnistes de ventes, et selon des méthodes traditionnelles. Le travail repose à présent sur du Machine Learning, et donc du prédictif.
Louis Vuitton a développé en interne un algorithme permettant ainsi de prédire les ventes pour ses nouveaux modèles. Contrairement à la prévision classique, l’IA a pour avantage de prendre en compte un plus grand nombre de critères, plus d’une centaine ici.
Une centaine de critères mobilisés pour la prédiction
Il s’agit par exemple de l’historique de ventes de produits similaires, de données comportementales sur les sites Web de la marque ou encore de caractéristiques des articles. Ces informations figurent dans le catalogue produits, mais pas seulement.
« Au-delà du catalogue, nous intégrons l’image du produit, qui contient des informations qui ne sont pas forcément structurées dans le catalogue, comme par exemple les motifs », détaille Bruno Guilbot, responsable Data et IA au sein de Louis Vuitton.
Au total, ce sont donc une centaine de critères qui interviennent dans le modèle de prédiction des ventes. Pour son optimisation, la marque s’est donc appuyée sur ses compétences internes en IA, mais aussi sur celles de chercheurs de l’ENS et de l’INRIA – avec lesquels a d’ailleurs été montée une chaire sur l’intelligence artificielle.
Ces développements autour du Machine Learning, puis leur optimisation, ont permis de gagner « significativement » en précision sur les prévisions et d’atteindre un horizon plus lointain de 3 et jusqu’à 6 mois pour certains produits. Le métier bénéficie quant à lui, grâce à l’automatisation et à l’intégration dans ses outils du quotidien, de prévisions actualisées très fréquemment.
Ce n’est cependant pas le seul bénéfice métier. L’extrapolation des ventes est ainsi disponible après seulement trois jours de ventes, contre 17 jours auparavant. « Nous avons gagné 15 jours dans la prise de nos décisions », se félicite la directrice de la supply chain.
Ce gain est particulièrement significatif pour le lancement de nouveaux produits. Ces derniers se caractérisent en effet par des aléas plus importants en termes de prévision. Au bout de 3 jours, les équipes supply peuvent donc à présent informer la production d’accélérer ou au contraire de ralentir, voire arrêter la fabrication.
Un ROI « important » et de nouveaux cas d’usage
« En termes de ROI, le gain est important », note Anne Borde. Les résultats sont en outre « en ligne avec notre objectif de produire les justes quantités » ajoute-t-elle. Les prédictions sont donc désormais intégrées au processus du métier de sales planner. C’est une des clés de la réussite d’un projet d’IA. Il y en a d’autres cependant.
« Le succès réside dans le fait de lier IA et expertise humaine. Le métier de sale planner ne disparaît pas avec l’IA. Nous lui fournissons des prévisions plus fiables, qu’il va pouvoir combiner avec sa connaissance produit, du marché et du contexte », déclare Bruno Guilbot. Et pour soigner l’appropriation de l’algorithme, les équipes IA ont également travaillé étroitement avec le métier sur les notions d’explicabilité.
Ainsi, chaque décision de l’algorithme peut être expliquée de manière unitaire. « Cela permet de mieux s’approprier les résultats », souligne le responsable Data & IA de Louis Vuitton. Le métier participe aussi à l’amélioration du modèle. En fonction de ses retours, les paramètres du modèle sont ajustés, tout comme les bases d’apprentissage.
Ce premier cas d’usage réussi de l’IA vient en outre nourrir la confiance, essentielle pour développer d’autres applications. De nombreux projets sont en cours, confie la directrice supply chain. Il s’agira notamment d’étendre la prédiction à l’ensemble des catégories de produits. Une étude est prévue aussi pour explorer les bénéfices de l’IA en matière de distribution, mais également dans le domaine de la supply chain circulaire.
A noter enfin que les usages de l’intelligence artificielle se développent parallèlement dans d’autres métiers de l’entreprise. L’IA intervient déjà dans la personnalisation de la relation client. Elle est aussi au service du client final au travers d’un moteur de recherche de produits par image. Des cas d’usage sont de plus en préparation avec les fonctions support, dont la finance et les ressources humaines.