Cet article a été publié originellement sur mydatacompany.fr
C’est l’échec d’un projet de classification des emails qui a conduit la Maif à développer son propre outil de traitement du langage naturel pour ses cas d’usage du NLP dans l’assurance. Melusine est aujourd’hui accessible à tous. Et Maif compte sur l’open source pour fédérer et l’enrichir.
Le positionnement de la Maif est clair. L’assureur se revendique responsable et militant. Et l’entreprise entend bien porter ces valeurs également dans le domaine de la data et de l’intelligence artificielle. Cela n’exclut pas cependant la création de valeur économique.
Les projets du datalab de la Maif, dont la création remonte à 3 ans, ne négligent donc pas des aspects comme le ROI, tout en tenant compte de ce qui fait l’ADN de l’assureur, au travers par exemple de travaux autour de l’éthique de l’IA et de l’explicabilité des algorithmes.
Melusine rassemble la communauté des data scientists et les métiers
Composé d’un cœur de 5 à 10 personnes et fédérant la « guilde » ou communauté des data scientists, le datalab revendique également un certain militantisme en matière d’open source. Les équipes techniques de la Maif sont en effet producteur d’open source grâce à Melusine. Ce rôle n’était cependant pas une évidence au départ.
C’est en effet suite à l’échec d’un projet mené en partenariat avec une startup que l’assureur en est venu à développer sa propre solution en interne, ce dans le domaine considéré comme stratégique du conversationnel.
Il s’agissait ainsi au départ de procéder à de la classification automatique des emails. Mais voilà, la déception pointe rapidement. « Les promesses étaient énormes, mais le résultat n’était pas au rendez-vous » relate le responsable du datalab de la Maif, Oliver Baes. En mode R&D, quelques développeurs commencent donc à plancher en interne sur une alternative.
Les développements, sur la base de briques open source, se sont finalement étoffés et ces réalisations rejoignaient une ambition stratégique autour de la maîtrise du traitement du langage (NLP). Par ailleurs, les cas d’application ne manquent pas dans une compagnie d’assurance.
Des délais de réponse aux assurés réduits de 40%
« La Maif a une zone open source assez fournie avec une identité propre et de nombreux projets IT. Dans le domaine de la data, c’était en revanche notre première » témoigne un de ses acteurs. Du statut de producteur d’open source, l’assureur essaie à présent d’endosser le rôle de fédérateur autour de Melusine, sa librairie Python.
Ses équipes souhaitent en effet accompagner l’adoption de la solution de NLP et ainsi favoriser les contributions, au bénéfice de tous. Et le potentiel est au rendez-vous, assure Frédéric De Javel, manager data science et IA au sein de la Data Factory du groupe. Le premier cas d’usage de Melusine, c’est ainsi le routage des emails sociétaires vers la bonne compétence, en production depuis 2019.
Ce traitement automatisé des messages permet de réduire le délai de réponse aux sociétaires de la Maif d’environ 40%. D’autres cas d’usage sont venus enrichir cette application. Il s’agit par exemple des réponses automatiques aux emails. « C’est une des grandes orientations de 2021, c’est-à-dire d’accroître la part des réponses automatisées sur certaines typologies de demandes » détaille-t-il.
Cela concerne en particulier les demandes « mono-intention », comme des demandes d’attestation. L’automatisation permet d’éviter la création de tâches à faible valeur ajoutée dans les systèmes pour les conseillers-gestionnaires. En effet, chaque email est, dans le SI, transformé en tâches.
Des cas d’usage multiples du NLP définis avec les métiers
Or, Melusine va intervenir pour prendre en charge une part croissante de ces opérations ou simplifier les actions des conseillers. La solution de traitement du langage résumera ainsi la nature d’une demande transmise par courriel. De même, elle intervient pour la « priorisation et dépriorisation » grâce à la détection des intentions. Si l’analyse du message révèle une urgence, celui-ci rejoindra le haut de la pile.
« Au final, c’est un ensemble de petits cas d’usage avec des volumes qui ne sont pas considérables. Cependant, le fait de multiplier ces usages permet de traiter, optimiser le traitement des flux de façon intéressante » souligne Frédéric De Javel.
Et le développement en interne favorise une plus grande personnalisation par rapport à des technologies sur étagère. Cette personnalisation constitue d’ailleurs également un argument en faveur de l’adoption par d’autres entreprises de Melusine, et pas uniquement pour des considérations techniques.
Les cas d’usage à la Maif sont en effet le fruit d’une co-construction avec les métiers, notamment afin de définir le niveau d’automatisation en intégrant un « score de confiance ». L’IA traite l’ensemble des emails, mais elle délivre dans le même temps un score, traduisant sa compréhension de la demande. Les prédictions de l’IA ne sont donc prises en compte que lorsque le score dépasse un certain seuil paramétrable par les métiers. A défaut, le processus historique s’exécute.
De l’automatisation, mais avec des règles et de la transparence
Mais la technologie tient également compte des demandes des sociétaires. Ceux-ci peuvent s’opposer au traitement par l’IA de leurs messages électroniques afin qu’ils soient traités directement par un humain. La Maif se montre vigilant dans la sélection des cas d’usage donnant lieu à une automatisation.
Autre atout susceptible d’intéresser des entreprises à Melusine : son évolutivité. La solution s’attaque aujourd’hui au texte des emails. Une des grandes orientations porte sur la qualification des pièces jointes. L’analyse de document permettra de les classifier et même d’extraire de l’information pour certains afin de déclencher réponses ou traitements automatiques.
Le datalab imagine aussi appliquer un jour du traitement à certains flux audio, c’est-à-dire les appels téléphoniques, sous consentement d’enregistrement et dans un objectif d’amélioration de la relation sociétaire. Mais grâce à l’open source, la Maif espère aussi « une démultiplication en interne » des usages et fonctions.
Des contributions pourraient ainsi venir de la Société Générale, qui examine Melusine depuis quelques mois à présent. Ce n’est cependant pas le seul grand compte à conduire des expérimentations, même si l’identité de tous les utilisateurs n’est pas connue. Les collaborateurs mobilisés sur Melusine mènent des actions de communication externes pour fédérer et développer cette implication.
L’open source pour favoriser les contributions croisées
L’assureur espère bien sûr « récupérer des contributions. Et c’est le cas aujourd’hui quand d’autres acteurs, notamment des banques, s’en emparent. Ils sont prêts à l’enrichir avec des briques complémentaires, également réutilisables chez nous. C’est tout l’intérêt de la stratégie gagnant-gagnant de l’open source » note Frédéric De Javel.
L’expert insiste aussi sur les bénéfices du logiciel libre en matière de transparence à l’égard des assurés en ce qui concerne l’usage des données personnelles et des traitements IA appliqués sur celles-ci.
« Ce qui est véritablement important pour nous, c’est l’émulation et les contributions croisées. Mélusine est aussi un véhicule pour être en contact avec nos pairs et d’autres grands groupes. Cela nous ouvre déjà très facilement les portes de l’échange croisé entre sociétés » conclut Olivier Baes.