Par Christophe Guillemin
Depuis près de deux ans, les drones à usage civil sont autorisés en France. Quelque 400 entreprises se sont positionnées sur ce secteur à fort potentiel. Elles réalisent déjà des missions dans le domaine agricole, l’énergie ou l’audiovisuel. Mais le vrai décollage commercial de la filière est attendu pour cette année.
Un drone survolant des parcelles agricoles pour surveiller la croissance des végétaux… voilà la solution commercialisée en février par Delta Drone, l’un des principaux acteurs français de cette nouvelle filière des drones civils. Deux engins sont nécessaires pour fournir le service : l’un de type « avion », qui établit la cartographie générale de l’exploitation ; l’autre de type « hélicoptère », qui vole à proximité des végétaux pour les observer au millimètre. Cette solution devrait permettre à un exploitant agricole de suivre avec précision l’évolution de ses cultures et d’agir en conséquence au niveau de l’épandage des engrais et des pesticides, ou de l’irrigation. Le drone sera-t-il bientôt un équipement courant de l’agriculteur français, au même titre que la moissonneuse-batteuse ou le tracteur ? « Au Japon, les drones ont remplacé les hélicoptères à 95 % pour l’épandage des pesticides », souligne Emmanuel de Maistre, président de la toute récente Fédération professionnelle du drone civil (FPDC) et également dirigeant de Redbird. Cet opérateur de drones propose aussi des solutions dédiées au monde agricole, basées sur des aéronefs capables de déterminer l’état de vigueur du couvert végétal sur des parcelles allant jusqu’à 500 hectares.
Photos aériennes, topographie, surveillance d’installations…
Même s’il est porteur, le secteur agricole n’est pas encore le premier domaine d’activité des drones civils en France. En 2013, 83 % des missions de drones civils étaient réalisées pour des clients issus du secteur audiovisuel, c’est-à-dire des médias, de la communication ou du cinéma (source FPDC). France Télévisions a ainsi eu recours à ces aéronefs téléguidés pour filmer des sites touristiques lors du dernier Tour de France. BFM TV a régulièrement recours aux drones pour ses reportages, tout comme l’émission « Des racines et des ailes », diffusée sur France 3. Les 17 % restants sont réalisés dans le domaine industriel. « Nous travaillons pour les principaux exploitants de carrières. Nos drones réalisent des relevés de la volumétrie des granulats. Ce qui facilite le travail des géomètres », explique Frédéric Serre, cofondateur et président du directoire de Delta Drone. Dans le domaine du BTP, « nous réalisons, pour le groupe Monnoyeur, la topographie de chantiers, comme celui de la nouvelle ligne de trains à grande vitesse en construction entre Rennes et Brest », poursuit Emmanuel de Maistre, de Redbird.
Dernier grand domaine d’activité des drones civils : la surveillance des grands réseaux d’infrastructures, notamment électriques. Delta Drone a ainsi décroché son premier contrat commercial significatif en 2013 avec ERDF. Il couvre l’inspection de lignes à moyenne tension, jusqu’alors surveillées en hélicoptères ou simplement à pieds. Concrètement, le drone s’approche de la ligne pour déceler, par exemple, si un câble se dénude. Parmi les autres installations déjà contrôlées par des drones figurent également les gazoducs de GRTgaz, ainsi que des ponts et viaducs empruntés par les trains de la SNCF… Dans un futur proche, les professionnels du secteur voient même déjà le contrôle ou la topographie de réseaux routiers ou ferrés, barrages ou encore voies navigables. D’autres usages sont à l’étude, comme la livraison de colis par drones. Amazon a ainsi récemment annoncé qu’il proposerait ce type de livraison d’ici quatre à cinq ans. Fedex et Deutche Post étudient également la question. Des expérimentations sont également menées autour de l’usage de drones pour assister des pompiers lors d’incendies de forêts. Le Service départemental d’incendie et de secours des Landes (SDIS 40) dispose, depuis 2012, de drones fournis par la société Fly-n-Sense, qui peuvent survoler des zones d’incendies et retransmettre un flux vidéo en temps réel.
La filière du drone civil en France ne compte pas moins de 400 entreprises et emploie un peu plus d’un millier de personnes, en ce début 2014 (source FPDC). L’écrasante majorité de ces acteurs sont des opérateurs de drones qui ne fabriquent pas les aéronefs, mais proposent des services associés. Les constructeurs de drones sont, quant à eux, un peu plus d’une vingtaine. Ce sont principalement des petites structures. Des TPE-PME dont l’effectif moyen est de trois à quatre personnes. Et un opérateur possède en moyenne 2,8 drones. Concernant les revenus, aucun chiffre n’est disponible, car ils sont encore loin d’être significatifs. Un acteur comme Delta Drone, coté en Bourse, a par exemple réalisé 65 000 euros de chiffre d’affaires sur le premier semestre 2013. Cette société, comme ses concurrents, a jusqu’alors surtout réalisé des tests non-commerciaux. Ses premiers contrats viennent d’être signés. Ce sera donc l’année 2014 qui marquera le début de l’activité commerciale de la filière. « Nous espérons décrocher des contrats qui pourraient représenter plusieurs millions d’euros », estime Frédéric Serre de Delta Drone.
Allégement du cadre réglementaire
En mai 2012, la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) définissait un premier cadre réglementaire à l’exploitation de drones pour un usage civil. Cela a permis le démarrage de la filière. Cette réglementation reste cependant très limitative : pas de vol de nuit, un drone ne peut voler au-dessus de 150 mètres d’altitude, les drones volant de manière autonome (sans pilotage en temps réel) ne peuvent pas peser plus de 2 kilos… Mais la DGAC pourrait prochainement assouplir son texte, notamment en ce qui concerne les vols de nuit. C’est ce qu’attend, par exemple, la SNCF qui envisage une surveillance nocturne de ses voies ferrées, via des drones équipés de caméras à infrarouge. Parmi les autres évolutions attendues, un véritable brevet de pilote de drones. C’est ce que préparent la FPDC et la DGAC. Aujourd’hui, il suffit de posséder le brevet théorique de pilotage d’avion et de suivre une formation pratique chez un constructeur ou un opérateur de drones pour devenir « télépilote ». Cela reste insuffisant aux yeux de bon nombre d’acteurs de la filière. Un brevet officiel de pilote de drones pourrait rassurer bon nombre de clients potentiels. Il devrait être mis en place d’ici à cet été.
Photo – J-M Urlacher / Redbird – D.R.
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Cet article est extrait du n°7 d’Alliancy, le mag