[Interview] Bruker France a opté pour la semaine de 4 jours, sur la foi des données RH

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Dans le cadre de la nouvelle édition de notre programme Le Numérique en Pratique, dont le thème est « Nouveau monde du travail : quelles priorités pour les DRH champions de la transformation ? », Fabien Meier, DRH France de Bruker depuis 4 ans revient sur le rôle clé de la profession dans la transformation globale d’une entreprise aujourd’hui. Alors qu’il s’apprête à prendre le poste de DRH Europe et Asie pour la société Leach (Aéronautique), il détaille certains des projets importants qu’il a mené ces dernières années.

Fabien Meier, DRH France de Bruker

Fabien Meier, DRH France de Bruker

Alliancy. Avant d’œuvrer à la transformation de l’entreprise tout entière, la fonction RH doit-elle se pencher sur son propre sort – et notamment se digitaliser ?

Fabien Meier. Dans la plupart des entreprises française, la fonction RH est digitalisée depuis longtemps. En revanche, cela s’est fait en ordre dispersé. Gestion de paie, congés, notes de frais… : on a beau avoir quitté les tableurs Excel, si nos logiciels ne communiquent pas entre eux, il reste impossible de croiser les données, d’en extraire des informations pertinentes et donc de modifier profondément le rôle des RH.

En optant pour un système central, chez Bruker nous avons gagné en productivité, mais nous avons surtout changé de statut. Nous étions des « administratifs », nous sommes devenus des analystes. C’est là que c’est intéressant – et pas seulement pour notre ego ! Nous avons rassemblé suffisamment de données pour pouvoir modifier en connaissance de cause la manière de travailler de toute l’entreprise.

[bctt tweet= »« Nous étions des « administratifs », nous sommes devenus des analystes. » » username= »Alliancy_lemag »]

Sur les lignes de production, les données nous ont ainsi permis de basculer définitivement vers la semaine de 4 jours. Nous avons regroupé les 35 heures du lundi au jeudi, ce qui permet aux ouvriers de profiter de longs week-ends tout en étant beaucoup plus efficaces lorsqu’ils font des heures supplémentaires. Autrement dit, ils travaillent mieux en venant un vendredi, qu’en restant une heure ou deux chaque soir. Tout le monde est gagnant. Et bien sûr pour l’entreprise, c’est un atout en termes de recrutement.

Autre exemple, les données permettent d’identifier les problèmes de management ou des conditions de travail pénibles, à travers un absentéisme plus marqué.

Attention, avoir des interfaces qui fonctionnent bien, ça ne va pas de soi. Cela veut dire que vous allez passer des heures avec le service après-vente du logiciel, qui vous dira que ce n’est pas possible. Mais c’est vraiment important. Parce que si ça dérape, l’outil devient tout puissant : c’est vous qui vous mettez à parler son langage, pour que ça entre dans les cases. A éviter absolument.

Cela signifie-t-il que le/la DRH doit « monter sur la table », pour se faire entendre et jouer un rôle plus stratégique dans l’entreprise ?

Fabien Meier. Je le crois, oui. Historiquement, nous étions des gestionnaires de personnel. Or, tout ce pan-là n’a plus aucun intérêt à l’heure du digital. On peut l’automatiser, on peut l’externaliser. Demain, l’entreprise se passera très bien de ce type de DRH. Un bon cabinet comptable peut déjà faire la même chose.

Mais elle ne se passera pas – et de moins en moins – d’un(e) DRH capable de piloter finement les ressources de ses collaborateurs, en tenant compte à la fois de l’environnement et de la culture de l’entreprise. Mieux retenir les salariés. Mieux les choisir. Faire baisser l’absentéisme. Améliorer la productivité. Faire entendre la parole de chacun. J’ai toujours pensé qu’un(e) DRH était avant tout un traducteur. Je traduis les impératifs stratégiques et économiques de la direction dans un langage clair et motivant pour les salariés. Et à l’inverse je traduis les demandes, les besoins, les volonté et les agacements des salariés dans un langage compréhensible par le management et la direction générale. Avec tous les sujets de digitalisation, on pourrait dire qu’on a un troisième interlocuteur.

Le digital rapproche et éloigne. Il nous permet de nous voir, même en étant loin. Mais il se substitue aussi au contact humain et peut donner l’impression de participer à une perte du collectif – ce dont les salariés se plaignent.

C’est encore plus le cas quand vous n’expliquez pas et ne pensez pas au préalable les conditions d’utilisation de ces outils. Chez Bruker, j’ai choisi de conserver l’entretien annuel en face à face. Certes, on entre le compte-rendu dans l’outil digital, mais on se voit d’abord. De la même façon, je n’imaginerais pas un licenciement par Teams. On ne rompt pas par SMS ! J’encourage les managers à ne pas céder à la facilité : le digital peut constituer une stratégie d’évitement pour annoncer les mauvaises nouvelles.

Le/la DRH est le moteur de nouveaux modes de travail, mais aussi celui qui en fixe les limites. Il ne faut pas oublier que dans l’industrie, on fabrique un produit qui existe, que l’on peut toucher.  Pour cela, la moitié de l’effectif est là tous les jours : c’est important que les 50% restants se montrent capables de s’impliquer physiquement pour les réunions d’équipe et les évènements structurants.

[bctt tweet= »« Avoir des interfaces qui fonctionnent bien, ça ne va pas de soi. Cela veut dire que vous allez passer des heures avec le service après-vente du logiciel, qui vous dira que ce n’est pas possible. Mais c’est vraiment important. Parce que si ça dérape, l’outil devient tout puissant. » » username= »Alliancy_lemag »]

Bruker a cette particularité d’avoir la moitié de ses collaborateurs sur les lignes de production… et l’autre moitié derrière un ordinateur.

Qu’en est-il de la digitalisation de l’atelier ? La digitalisation des RH fait-elle des ricochets ?

Fabien Meier. Mécaniquement, oui, ne serait-ce que parce qu’elle amène nos collaborateurs à entrer leurs temps de travail, leurs demande de congés et de formation, ou encore à signer en ligne leurs entretiens annuels, dans les ordinateurs mis à disposition dans l’entreprise.

Mais plus largement, on voit apparaître de plus en plus d’outils numériques et notamment de grands écrans où s’affichent en temps réel les indicateurs et les plans d’action. Ce type de management visuel devient fréquent. Ce n’est pas le cas en revanche des formations en réalité virtuelle que leur coût réserve à des entreprises de pointe comme Safran, où j’ai travaillé également.

En dépit des idées reçues, ces outils digitaux ne suscitent aucune levée de boucliers dans les ateliers. Par contre ils peuvent se heurter à cet obstacle très simple et très fort  : le défaut d’alphabétisation. Pour utiliser un écran, quel qu’il soit, il faut savoir lire et écrire.

Bruker

Bruker est un groupe industriel spécialisé dans l’instrumentation scientifique. En France (Bas-Rhin), l’entreprise fabrique des spectromètres de masse à résonance magnétique, dont l’objet est de déterminer la qualité et la quantité d’un échantillon inconnu. Elle travaille pour une clientèle BtoB, dans le secteur médical et l’alimentaire : laboratoires de recherche, universités, hôpitaux…

Bruker France compte 360 salariés, avec cette singularité : 50% d’emplois direct – en production – et 50% d’emplois indirects, dans les bureaux : vente, R&D, RH…

Chiffre d’affaires 2020 : 113 millions d’euros.