Les impacts économiques de la crise du coronavirus se font inévitablement sentir, notamment pour les entreprises qui n’ont pas beaucoup de marges de manœuvre pour s’adapter aux mesures de confinement. Florian Bercault, président et co-fondateur d’Estimeo, une plateforme de notation et valorisation de start-up, a constaté les effets néfastes de cette crise sur les start-up et nous partage les conseils qu’il leurs prodigue. Pour lui, cette crise est bien plus profonde : elle remet en cause le fonctionnement de notre économie et des systèmes de valorisation financière.
Alliancy. D’après vos échanges avec des entreprises et start-up, comment mesurez-vous l’impact de cette crise ?
Florian Bercault. Cette crise économique fruit de la crise sanitaire est compliquée, des budgets vont être coupés et certaines entreprises ne survivront pas. Et, comme dans toute crise économique, ce sont les petits acteurs qui seront les plus touchés, et notamment les petites entreprises, les commerçants et artisans. Pendant ce temps, il y a des modèles économiques qui se réajustent. Je pense aux start-up tech que nous évaluons, mais aussi aux services de streaming, de vente en ligne, de jeux vidéo, aux fournisseurs de cartouches d’imprimante ou encore aux opérateurs téléphoniques qui eux tirent profit de la situation exceptionnelle.
Nous oublions souvent que les entreprises doivent sans cesse se réinventer et réadapter leur stratégie pour survivre. Si la première semaine de confinement, les entreprises étaient animées par l’effroi ; la deuxième, elles ont commencé à s’organiser – notamment par le biais du télétravail – et elles ont pris connaissance des mesures gouvernementales – notamment celle concernant le chômage partiel et le soutien à la trésorerie. Et enfin, la troisième semaine est placée sous le signe de la reprise d’activité réorganisée avec les moyens du bord.
Je ne serais pas alarmiste, mais certaines entreprises ont vu des impacts conséquents sur leur modèle économique. Par exemple, les secteurs évidents comme le tourisme, l’événementiel ou celui des mobilités sont très touchés. La relance économique pour ces secteurs risque d’être lente et lourde de conséquences sociales. Cette crise doit permettre de questionner ce qu’est la valeur – notamment immatérielle – mais aussi de mieux évaluer les risques à partir de retours d’expérience sur la situation. Le retex, c’est important : nous pouvons nous inspirer de la sortie de la crise de 2008 et prendre des notes sur celle d’aujourd’hui.
Cette crise remet-elle en cause le fonctionnement de notre économie ?
Florian Bercault. Nous assistons à une chute boursière sans précédent et les cryptomonnaies ne sont pas non plus épargnées. Et c’est en partie à cause d’une non prise en compte de certaines externalités négatives ou à de mauvaises anticipations à créer de la valeur financière à plus long terme. Nous devons nous poser la question de ce qui crée réellement et durablement de la valeur aujourd’hui, avec une vision à 360 degrés, prenant en compte notamment des critères dits immatériels ou ESG (Environnement, Social et Gouvernance).
Dans le même temps, la question de la souveraineté des Etats se pose face à une crise mondiale comme celle-ci. La majorité du monde vit confinée. Si pour la crise de 1929 nous étions encore dans des économies très « nationales » tout comme en 1945, là nous avons besoin de mesures qui prennent en compte les phénomènes de la mondialisation, avec des plans d’action coordonnés à l’échelle européenne et mondiale.
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Lors de son discours à la Nation du 12 mars, le Président Emmanuel Macron a insisté sur les failles du modèle de développement dans lequel le monde s’est engagé. La globalisation pose question : la finitude du monde et des ressources, la souveraineté numérique, économique et financière, la résilience de nos modes d’organisation du travail ou encore la répartition de la valeur. Il faut donc collectivement établir des règles et des critères pour définir ce qu’est la valeur. Il faut aussi tirer les leçons de nos perceptions de l’économie. C’est aujourd’hui l’opportunité de se reposer ces questions sur la valeur, comment on la finance, la qualifie, la mesure et la répartit. Si les dirigeants politiques et grands entrepreneurs veulent s’en emparer, c’est le moment.
Quels conseils prodiguez-vous aux entrepreneurs ?
Florian Bercault. Cette crise permet de redonner de l’importance à certains acteurs aux yeux des entrepreneurs. C’est le cas par exemple des banquiers, à qui nous pouvons demander d’échelonner les échéances et des prêts de trésorerie. La banque publique d’investissement, Bpifrance, qui garantit les prêts et offre des solutions de financement. Puis, l’expert-comptable qui peut aiguiller sur les démarches administratives à suivre, notamment en termes d’activité partielle. Enfin, il y a aussi les médiateurs du crédit et des entreprises en cas de conflits et de doutes. Dans ce contexte particulier, tous ces organismes prennent du sens.
Pour les entrepreneurs, il convient de favoriser les échanges transparents avec les actionnaires notamment sur les difficultés rencontrées et les soutiens futurs à la croissance. Pour les entreprises en cours de levées de fonds, il faut continuer de penser à son « equity story » : autrement dit, pouvoir expliquer les décisions prises, ne pas négliger la communication avec les salariés et rappeler les valeurs partagées pour les embarquer dans une histoire qui les fera sortir de cette crise.
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Car il ne faut pas oublier qu’il y aura une sortie de crise. C’est donc important de savoir s’entourer d’une cellule de crise pour prendre les bonnes décisions et analyser les scénarios de risques. A court terme, cela concerne la gestion des ressources humaines, de la trésorerie et des clients. A moyen terme, l’anticipation des difficultés si la crise perdure. Et à long terme, une préparation de la sortie de la crise à l’aide de scénarios pour réajuster son business plan et saisir les nouvelles opportunités.
Quelles opportunités peut-on déceler ?
Florian Bercault. La crise remet sur le devant de la scène des valeurs sociales et environnementales. Par exemple, nous nous rendons compte que le monde hospitalier est essentiel pour la gestion épidémique. Cela permet de questionner les ajustements budgétaires de ces dernières années. Ces enjeux climatiques, environnementaux et sociaux étaient déjà mis en avant par le biais des politiques RSE et la raison d’être inscrite dans la loi Pacte. Mais selon moi, cela reste du cosmétique et n’engage pas de réels changements structurels. La crise peut donc accélérer ces changements.
Même constat du côté de la transformation numérique qui va être accentuée. Cette crise sanitaire montre les prémisses d’un changement sociétal comme le démontre la démocratisation de certaines pratiques comme la télé-médecine, le télé-travail, les commerces en ligne mais aussi les circuits-courts grâce à des plateformes de désintermédiation.
Et les décisions économiques qui se multiplient semblent à contre-courant de la doxa d’avant-crise. Je fais notamment référence au ministre de l’Economie Bruno Le Maire, qui, vendredi dernier, a annoncé que les entreprises qui bénéficient des aides de l’Etat ont interdiction de verser des dividendes. Ce contexte va donner plus de pouvoir aux politiques pour appuyer sur le bouton du « changement ».