Les nouvelles en continu sur l’intelligence artificielle générative vous ont fait perdre de vue le mouvement transhumaniste ? Lui ne vous a pas oublié. L’annonce de l’implantation réussie de la première puce de Neuralink dans un cerveau humain, fin janvier, a rapidement fait le tour de la Terre. Elon Musk, toujours lui, n’a ainsi pas perdu de temps depuis l’accord de la FDA (l’agence américaine de régulation des médicaments et appareils médicaux) en mai 2023 et après avoir levé dans la foulée 323 millions de dollars pour réaliser son projet. À ce stade, le « patient se porte bien » et l’implant cérébral, de la taille d’une pièce de monnaie, a montré « une détection prometteuse de pics neuronaux », a affirmé le milliardaire.
Neuralink n’est pas la seule entreprise dans la course à la connexion des cerveaux. Fin 2022, Synchron avait séduit Jeff Bezos et Bill Gates pour son propre tour de table et son travail sur l’interface cerveau-machine. Parmi les usages imaginés : rédiger ses emails sans taper au clavier… Aux Pays-Bas, Onward teste de son côté une combinaison d’implants dans le cerveau et la moelle épinière pour rendre leur mobilité aux patients tétraplégiques. En France, le CEA poursuit le même objectif et a dernièrement présenté ses travaux au CES.
Au-delà de l’exploit technologique, c’est d’ailleurs la question à laquelle notre société va devoir répondre : connecter le cerveau, pour quoi faire ? Les déclarations de ceux qui portent et soutiennent ces projets montrent à quel point le sujet est ouvert… surtout quand la Chine s’en mêle.
Un communiqué de presse du ministère chinois de l’industrie et des technologies de l’information, publié lui aussi fin janvier, a fixé un calendrier pour développer un « interface cerveau-ordinateur » national, avec l’objectif d’avoir des produits disponibles sur le marché dès 2025. La Chine fait de tels implants un produit « emblématique » de ses objectifs d’innovation à court terme. L’ouverture d’un laboratoire de 60 chercheurs entièrement consacrés au sujet avait déjà précédemment attiré l’attention. Si l’État chinois cite lui aussi des usages médicaux, il fait également miroiter d’autres utilisations comme le pilotage des véhicules ou la réalité virtuelle. Cela se fera, bien entendu, « guidés par la pensée de Xi Jinping sur le socialisme aux caractéristiques chinoises pour une nouvelle ère, mettant pleinement en œuvre l’esprit du XXe Congrès national du Parti Communiste Chinois ». À l’heure où les processeurs sont au cœur de la lutte géopolitique entre les deux puissances mondiales américaine et chinoise, difficile d’imaginer qu’il n’en sera pas de même pour les implants cérébraux à venir et leurs usages.
Le débat éthique ne va de toute façon pas manquer de s’intensifier. Si les applications médicales permettant de révolutionner le soin à des patients pour lesquels la médecine traditionnelle n’a plus de réponse, seront généralement bien reçues, le gouffre semble énorme avec la promesse beaucoup plus superficielle de contrôler son smartphone par la pensée, comme l’a affirmé Elon Musk. Le tout dans un contexte tendu : Neuralink est déjà visé par plusieurs enquêtes pour maltraitance animale, notamment du fait du décès de la majorité des singes utilisés pour ses expérimentations entre 2017 et 2020.
De plus, alors que l’économie mondiale de la tech repose encore sur l’appropriation et l’analyse des données personnelles des individus, notamment à des fins publicitaires ou d’influence des usages, l’idée de laisser les big techs accéder au « datacenter » le plus intime que nous ayons, notre cerveau, a de quoi laisser circonspect. Mais comme le rappelle avec une ironie mordante le journaliste Maxwell Zeff de Gizmodo : « Il est bon de savoir que certains des noms les plus fiables du secteur de la technologie, Elon Musk et la Chine, sont les pionniers de cette dernière vague technologique ».