Accessibilité des sites web : le laborieux chemin pour rattraper un long retard

C’est lent, très lent, trop lent sans doute, mais cela avance. L’accessibilité des sites web est un sujet dont les organisations s’emparent peu à peu. L’impulsion est là, fortement encouragée par la pression réglementaire qui s’intensifie. De là, à ce que de premières sanctions enclenchent un mouvement de masse, il n’y a qu’un pas.

Le Référentiel Général d’Amélioration de l’Accessibilité (RGAA) a été inscrit dans la loi dès 2005. Aujourd’hui pourtant, seule une infime partie des sites internet répond aux critères d’accessibilité. Depuis une récente réforme (2023) visant à durcir les sanctions contre les sites ne respectant pas la loi et à en élargir le périmètre, les organisations, avant tout les institutions publiques, ont accéléré le rythme pour se mettre en conformité avec le RGAA. Un chemin parfois semé d’embûches tant sur la difficulté à convaincre de l’utilité de passer à l’action que pour les défis techniques que le respect strict du RGAA pose.

L’heure n’est cependant plus à rechigner pour les organisations concernées par la loi, à savoir en premier lieu les organisations publiques et les entreprises dont le chiffre d’affaires dépasse 250 millions d’euros. Selon Mathieu Delemme, président de Ctrl-a, groupe spécialisé sur les enjeux d’écoconception et d’accessibilité, « un certain nombre de ces acteurs ont reçu courant 2023 une lettre d’information de la part des pouvoirs publics pour leur rappeler qu’ils ne sont pas en conformité. Il n’y a cependant pas encore eu d’amendes. » 

Mathieu Delemme arpente les enjeux de l’accessibilité depuis très longtemps. C’est en 2001 qu’il bascule dans le sujet pour ne plus jamais le quitter. Alors qu’il prospecte pour vendre un site internet à une association qui aide les personnes en situation de malvoyance ou de non-voyance, il prend conscience de toutes les difficultés que posent alors le web à ces populations. Avec Ctrl-a, il a contribué à l’élaboration du RGAA en 2005 et plus récemment du RGESN : Référentiel Général d’Écoconception des Services Numériques publié par l’Arcep. 

La prise de conscience grandit 

Pour Mathieu Delemme, ce qui arrive en matière de réglementation est une chance. Depuis 2023, plusieurs entités publiques ont été nommées pour mener les contrôles des sites internet. La DGCCRF, l’Arcep ou encore l’Arcom sont désormais mandatées pour contrôler, constater les infractions et sanctionner. « On sent qu’il y a une inquiétude, qui amène à plus de démarches. La plupart des entreprises au-dessus de 250 millions d’euros de chiffre d’affaires sont à l’écoute même si certaines restent encore peu conscientes de l’enjeu ».

Cette inquiétude grandit d’autant plus que la loi révisée en 2023 prévoit un élargissement encore plus important des typologies de sites et services web concernés. « L’e-commerce par exemple pourrait être impacté sur son ensemble très rapidement » confirme Mathieu Delemme suite à l’évolution réglementaire. Anne-Sophie Tranchet, spécialiste de l’accessibilité web et lead design pour Beta.gouv, l’incubateur des startup d’État, renchérit : « L’e-commerce, mais ce n’est pas la seule typologie de site, est encore très loin du compte en matière d’accessibilité. »

Le travail d’Anne-Sophie Tranchet se concentre sur les services aux institutions publiques. 2023 est aussi pour elle une année charnière. « Le montant révisé de l’amende fait son effet » ajoute-t-elle, « chez Beta.gouv, l’accessibilité a été intégrée dans nos objectifs et la demande vient d’en haut désormais ; cela impulse une dynamique bien plus importante. » 

L’un des freins les plus importants est pour elle la méconnaissance du sujet. « Il faut savoir s’adresser autant aux personnes qui font (développeurs, équipe design, etc.) que ceux qui dirigent ». L’acculturation doit se faire partout pour persuader de l’intérêt de la démarche et favoriser la mise en place des bonnes pratiques.

L’audit de conformité à 100%, le challenge

Beta.gouv est constitué d’une vingtaine d’incubateurs de startup d’État. Autant de réseaux où il y a toujours des nouveaux projets. Anne-Sophie Tranchet travaille sur les parcours de formation et accompagne les projets pour la mise en place des règles d’accessibilité : « Quand les projets sont suffisamment mûrs, on passe à la phase d’audit, mais on attend au maximum pour que les services soient les plus stabilisés possibles. »

Car c’est une des difficultés de la loi : « il y a une forme de non souplesse de la loi à demander 100% de conformité au RGAA ; ce n’est pas simple à appliquer pour des services web qui bougent en permanence, qui avancent, testent, mettent à jour » décrit-elle. « Avant, il y avait une tolérance » reprend Mathieu Delemme. « Et une règle tacite s’était inscrite dans nos pratiques depuis 2005, à savoir obtenir un score de 75% » détaille-t-il, « mais en réalité il y avait auparavant juste l’obligation d’afficher le résultat de l’audit. »

Désormais, un site internet, pour être conforme à la loi, doit donc obtenir un score de 100% à l’audit d’accessibilité, réalisé par un tiers-externe. L’objectif de 100% représente une certaine difficulté du dire de certaines entreprises. C’est l’avis de Mathieu Jahnich, qui a fait appel à Numerik-EA, une entreprise adaptée du groupe Ctrl-a présidé par Mathieu Delemme, pour l’audit d’accessibilité. Mathieu Jahnich, expert en communication responsable depuis plus de 20 ans, a créé son agence MJ Conseil en 2020. Avec son équipe, il a décidé de créer un site internet 100% conforme au RGAA.

« Même si nous ne sommes pas directement concernés par le périmètre de la loi car notre structure est trop petite pour l’être, il y avait un enjeu pour nous, MJ Conseil, d’être alignés et cohérents par rapport au contenu de nos formations », détaille Mathieu Jahnich, « on ne peut pas demander aux gens de mettre en place une stratégie de communication responsable au travers de nos formations sans être nous-mêmes irréprochables sur nos outils. »

Sur l’audit, alors qu’il s’est entouré des « meilleures compétences » autour de lui pour réaliser son site, il s’est vite rendu compte de la difficulté d’atteindre les 100% de conformité. « On va repasser l’audit une deuxième fois le mois prochain, et s’il faut, nous le passerons une troisième fois ! ». L’enjeu pour Mathieu Jahnich c’est également pouvoir monter en compétences : « il faut qu’on soit, au sein de l’agence, capable de mettre à jour le site tout en respectant les normes d’accessibilité. »

Former, une clé pour favoriser l’accessibilité web

La formation est un enjeu essentiel à tous les niveaux : autant la formation des clients amenés à mettre à jour eux-mêmes leur site que les professionnels des agences web. Car c’est là aussi où le bât blesse. Peu de ces agences sont acculturées à ce sujet et peu d’équipes de développement web ou de design sont formées.

« Nous sommes la seule industrie où il n’y a pas une démarche qualité » reprend Mathieu Delemme « si on achète une voiture, on s’attend à ce qu’elle ait des freins ! ». Dans le web, tout est allé très vite et la non prise en compte par les agences de ce sujet a été aussi complétée par la difficulté des commanditaires à comprendre les enjeux techniques. « Dans les appels d’offres publics, il devrait y avoir des critères d’accessibilité très précis. Mais même s’ils sont présents, c’est difficile pour des personnes qui ne connaissent pas l’accessibilité d’être certains de sélectionner le répondant le plus pertinent sur ce sujet » exprime à regret Mathieu Delemme. 

L’acculturation et la formation apparaissent comme des éléments clés pour permettre à l’accessibilité d’être plus naturellement intégrée dans les projets. Car l’accessibilité ne manque pas d’arguments au-delà du réglementaire : meilleur référencement, site plus léger, plus facile à utiliser, plus facile à mettre à jour et potentiellement moins coûteux en maintenance. 

Dans l’imaginaire commun, beaucoup reste néanmoins à déconstruire sur ce sujet pour convaincre clients comme professionnels du web qu’un site internet accessible peut être tout aussi attractif et agréable à voir qu’un autre site. Le couple formation/réglementation peut assurément apparaître comme un duo gagnant au service de l’accessibilité web. A l’heure où les enjeux du numérique responsable émergent de plus en plus au sein des organisations et où les premières sanctions pour non-respect du RGAA pourraient arriver, n’est-ce pas peut-être enfin l’heure de l’éclosion de l’accessibilité ?