Posé en plein champ dans un secteur de Marne-la-Vallée, le centre aquatique de Val d’Europe, inauguré le 1er septembre 2012,n’est pas seulement un élégant édifice abritant une piscine sans chlore. C’est aussi le premier de ce genre, en Europe, à tirer sa chaleur d’un datacenter de 10 000 mètres carrés, propriété de la banque Natixis. A quelques centaines de mètres, c’est aussi le même réseau qui alimente en chauffage et en eau chaude la pépinière d’entreprises du Val d’Europe ouverte en septembre pour accueillir, sur 1 800 m2, de jeunes pousses dans le domaine des TIC, des éco-activités, de la santé ou des services aux entreprises.
Dans les bureaux de la pépinière, l’eau, chauffée par les émissions du datacenter, circule dans le plafond sous des panneaux blancs rayonnants.« Un système invisible qui diffuse une chaleur douce », assure Béatrice Lajus-Laulan, la directrice du développement économique du Syndicat d’agglomération nouvelle (SAN) Val d’Europe dont les bureaux sont installés là. Les occupants de l’un des grands ateliers, transformé en open space pour les besoins de leur jeune entreprise d’e-mailing (Kiwup), le confirment :« On a passé l’hiver au chaud. »
Un bénéfice d’image
Piscine et pépinière (près de 6 000 mètres carrés au total) sont pourtant loin d’utiliser toute l’énergie disponible… Selon Dalkia, la filiale commune de Veolia et d’EDF qui exploite le réseau de chauffage, le datacenter peut chauffer jusqu’à 600 000 mètres carrés. Le parc d’entreprises, tout proche et dont les terrains sont en cours de commercialisation par Disney, peut donc être raccordé. Deux hôtels en projet devraient l’être d’ici à 2014, ainsi que la future ZAC du Couternois, distante de deux kilomètres. Le Val d’Europe prévoit de doubler d’ici à vingt ans sa population, passant de 30 000 à 60 000 habitants. L’une des zones de logement, dont la construction est prévue à l’horizon 2020,pourra, elle aussi, bénéficier de ce réseau de chaleur.
Dalkia, qui a investi l’essentiel des 4 millions d’euros estimés du coût d’installation (réseau,échangeur thermique), achète l’énergie à bas prix au datacenter et la revend autour de huit centimes d’euro le kWh aux abonnés. Ce tarif est fixé par convention entre le SAN et Dalkia pour les vingt-cinq ans de la durée du contrat. « Aujourd’hui, légèrement supérieur à celui d’un chauffage au gaz, le prix de cette énergie deviendra de plus en plus compétitif avec l’augmentation de celui des énergies fossiles », assure Arnaud de Belenet, vice-président du SAN et maire de Bailly-Romain-Villiers, l’une de ses cinq communes.
Ce sont les élus du SAN qui ont intégré l’implantation de datacenters dans la stratégie de développement du territoire, au milieu des années 2000. Profitant de la proximité d’un réseau très haut débit en fibre optique longeant l’autoroute A4,« nous voulions attirer de grandes enseignes. Dans un premier temps pour des fonctions de back-office, en espérant la venue, dans un second temps,de sièges sociaux », poursuit Arnaud de Belenet. Les centres de données, certes faibles créateurs d’emplois, représentent aussi une importante ressource fiscale via la taxe professionnelle avant sa réforme. Le premier datacenter s’est donc installé en 2008. « Quand on a découvert l’énergie qu’il dégageait, nous avons voulu innover en créant avec Dalkia un réseau de chaleur susceptible d’alimenter tous les futurs bâtiments », ajoute Arnaud de Belenet.
Pour l’image de Val d’Europe, cette approche « verte » est bénéfique. Le mode de chauffage inédit a retenu l’attention des médias. Les start-ups accueillies se sont davantage laissé séduire par la fibre optique et la qualité des locaux que par le mode et le prix du chauffage inclus dans le forfait d’hébergement et de services, d’un montant de 330 euros par mètre carré et par an.
Des engagements difficiles à contractualiser
Quelques inconnues demeurent quant aux deux prochains datacenters, appartenant eux aussi à des banques, dont la construction est prévue dans les dix-huit mois. Le premier refuse de se relier au réseau de chauffage tandis que le second hésite encore. Cela tiendrait aux exigences de Dalkia qui demande au datacenter un engagement de vingt-cinq ans pour fournir l’air chaud à débit et température constants (55 °C). Des contraintes qui découlent de celles imposées par le SAN à Dalkia. Pour expliquer la réticence de son client, Pascal Lecoq, directeur Services chez HP France et concepteur du premier centre concerné, précise que « s’engager contractuellement à fournir une certaine quantité de kilowatts n’est pas la fonction d’un datacenter ,lequel doit se concentrer sur les données qu’il abrite ».
Chez Dalkia, on relativise : la chaleur dégagée par le centre Natixis étant encore largement sous-exploitée, inutile de chercher à en récupérer davantage. L’expérience inédite du Val d’Europe, présentée par Dalkia comme « 100 % verte, avec zéro émission de gaz à effet de serre », n’est pas pour autant la panacée.
Elle suppose des bâtiments conçus dès l’origine pour ce mode de chauffage dans un rayon proche de « l’usine ». Si c’est le cas au Val d’Europe, zone en pleine construction, bien des centres de données ne bénéficient pas une telle localisation.
Par ailleurs, le prototype de Val d’Europe ne répondra pas à lui seul au défi de la croissance exponentielle du nombre de datacenters, poussée parle stockage des données dans le cloud et la multiplication des services en ligne. Selon une étude de Jonathan Koomey (Université de Stanford) publiée en 2011, ces services engloutissaient déjà 1,4 % de la consommation électrique mondiale – la production de trente centrales nucléaires – avec une progression de 56 % entre 2005 et 2010.
La conception d’installations de nouvelle générations’attache donc plus à réduire la consommation en amont qu’à récupérer l’énergie en aval. La chaleur vendue ne compense pas l’énergie consommée. Les nouveaux datacenters économes ont, par exemple,recours à une technique de refroidissement dite de free cooling (récupération de l’air frais extérieur pour le faire circuler entre les baies de serveurs). Une diminution d’au moins 30 % de l’énergie consommée qui n’empêche pas, en principe, de récupérer la chaleur résiduelle. Mais la température de sortie serait trop faible pour chauffer des bâtiments.
Cet article est extrait du n°4 d’Alliancy le mag – Découvrir l’intégralité du magazine