Enseigner en distanciel ou en présentiel ? C’est un peu le dilemme dans lequel se trouve le monde de l’enseignement alors que le contexte de crise persiste. Alliancy s’est entretenu avec Alain Boniol, directeur des Systèmes d’information chez Télécom Paris pour échanger sur sa vision de l’hybridation des pratiques d’apprentissage dans le monde universitaire.
Alliancy. Depuis quand travaillez-vous chez Télécom Paris ? Pouvez-vous nous en dire plus sur l’école ?
Je travaille chez Télécom Paris depuis trois ans et demi maintenant. L’école appartient à deux regroupements d’écoles d’ingénieurs tels que l’Institut Mines Telecom et, depuis deux ans, l’Institut Polytechnique de Paris. L’objectif étant d’œuvrer pour l’émergence d’un pôle d’excellence en matière de sciences et technologies. Pour y parvenir, nous avons rejoint en 2019 le le plateau de Palaiseau aux côtés de la Direction Générale de l’IMT et une partie de Télécom SudParis.
Télécom Paris compte aujourd’hui plus de 1 400 étudiants et 500 enseignants-chercheurs. Elle se divise en quatre départements d’enseignement et de recherche : les communications et l’électronique ; l’informatique et les réseaux ; l’image, les données et le signal ; ainsi que les Sciences Économiques et Sociales. Les étudiants sont ensuite amenés à se spécialiser sur des domaines numériques et technologiques plus précis comme la cybersécurité, l’intelligence artificielle et le big data, l’Internet des objets, la mobilité, les réseaux, la transformation numérique, l’entrepreneuriat ou encore la régulation.
Comment cette dernière année s’est-elle passée ?
Le télétravail faisait déjà partie de nos habitudes et nos enseignants-chercheurs étaient déjà équipés d’ordinateurs portables. Pendant les grands épisodes de grève des transports parisiens fin 2019, nous avons d’ailleurs achevé de fournir ces ordinateurs, ce qui a contribué à basculer rapidement en distanciel. En parallèle, nous fournissons aussi si besoin des tablettes tactiles et des écrans d’ordinateur.
D’un point de vue technique, nous étions donc plutôt en avance et avons profité des grèves pour refondre tout le réseau de notre nouvelle résidence à Paris-Saclay. Un LMS (Learning Management System) était en place avant la crise, mais peu utilisé. Par ailleurs, un système de diffusion de contenus à distance était déjà en projet. Ces outils nous ont permis de basculer en distanciel assez rapidement : nous avons assuré la tenue de notre premier cours à distance dès le début du premier confinement.
Ensuite, d’un point de vue pédagogique, l’enseignement à distance pour nos enseignants-chercheurs s’est avéré plus compliqué. C’est difficile pour eux de tenir un cours en virtuel pour des dizaines d’élèves, d’autant plus quand des contraintes parentales se mêlent à leur vie professionnelle.
Pour aider les enseignants, nous avons une cellule d’ingénierie pédagogique qui a mené beaucoup d’expérimentations et généré plusieurs produits pendant cette période de crise. Nous tenons réellement à respecter la liberté pédagogique de nos équipes enseignantes et pour cela, nous leur mettons en libre accès un large catalogue de solutions et d’outils. En parallèle, nous organisons aussi des groupes de réflexion entre enseignants pour qu’ils puissent échanger entre eux les bonnes pratiques en matière d’apprentissage à distance.
L’enseignement à distance aurait-il vocation à perdurer au-delà de la crise ? Envisagez-vous une hybridation des pratiques ?
La visioconférence est une pratique habituelle dans le monde de la recherche, bien avant que Zoom et Teams ne prennent de l’ampleur comme aujourd’hui. Les chercheurs sont constamment en contact avec leurs homologues dans le monde entier.
Il est clair qu’avec les mesures de confinement, les pratiques en visioconférence sont devenues des habitudes et nous avons eu beaucoup moins de personnes présentes sur site. Mais il est aussi toujours agréable pour nos enseignants de revenir en salle de classe. Nous avons donc prévu une hybridation des pratiques en présentiel en équipant nos salles – avec Poly – de grands écrans, de caméras et de micros adaptés à la visioconférence.
Néanmoins, ce qui ressort de cette expérimentation est que l’hybridation peut devenir le pire des scénarios pour l’enseignement car le risque serait de cumuler les défauts du présentiel et du distanciel. L’hybridation n’est pas parfaitement adaptée aux besoins de l’enseignement, qui a manifestement besoin de liens physiques pour assurer le suivi pédagogique. De nombreuses réflexions ont lieu dans nos conseils d’enseignement pour trouver une meilleure cohérence dans les pratiques. Et il y a définitivement des bénéfices à exploiter dans les expérimentations que nous menons pendant cette crise.
Comment choisissez-vous les solutions numériques à déployer ?
Nous tentons de privilégier les solutions numériques françaises et européennes. L’objectif reste avant tout la recherche de simplicité, l’ergonomie et la facilité de prise en main des outils déployés. Nous nous assurons donc de sonder le personnel et les étudiants pour mieux identifier leurs pratiques.
Les principaux outils que nous avons développés sont : “SynapseS”, une plateforme d’accès à notre catalogue d’enseignement, et “Collaborate”, une alternative à Zoom qui fonctionne grâce au logiciel open source Blackboard Open LMS. Cette alternative est mise à disposition de toutes les communautés de Paris-Saclay.
Pour autant, nous n’imposons pas d’enfermement technologique et les enseignants ne sont pas obligés de choisir les outils proposés. L’interface de Poly servant à faire marcher nos salles de visioconférence est d’ailleurs interopérable avec Zoom. Néanmoins c’est aussi notre devoir de favoriser la cohérence du parcours pédagogique car il est clair qu’un étudiant passant de Teams à Zoom dans la même journée est contre-productif. Tous ces outils doivent permettre une meilleure continuité pédagogique et contribuent à renforcer la culture numérique de notre école.
Votre DSI est-elle plus que jamais au centre de toutes les attentions depuis la crise ?
La situation actuelle est très intéressante pour le travail du DSI car c’est une période de digitalisation de l’enseignement sans précédent. C’est un grand bond en avant en matière de pratiques numériques. Et, dans le même temps, nous devons veiller à ne pas aller trop loin dans le distanciel, il faut trouver un juste milieu. Nous sommes activement impliqués dans cette recherche d’innovation afin de placer le bon curseur et trouver le meilleur accompagnement possible de nos enseignants et étudiants.
Chez Télécom Paris, la DSI fait partie intégrante de son projet de transformation numérique. Nous participons aux décisions stratégiques de l’école depuis plusieurs années et cela s’inscrit aussi dans l’aménagement de notre nouveau bâtiment au Plateau de Saclay. Nous sommes donc au cœur des sollicitations qui ont pris de l’ampleur depuis les grèves de décembre 2019 et l’irruption de la crise sanitaire quelques mois plus tard.
En tant que DSI, il était plutôt rare de recevoir des remerciements de la part des usagers, mais depuis le 16 mars 2020 notre travail est largement valorisé. C’est notre métier de satisfaire les besoins de nos enseignants et étudiants et nous sommes heureux de voir que notre rôle fait partie des grandes préoccupations de Télécom Paris.