Le député européen maltais Alex Agius Saliba a accepté lors d’un entretien de partager son avis sur les nouveaux règlements de la Commission Européenne. Proposés le 15 décembre dernier, le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA) seront débattus au Parlement européen pendant au moins un an avant d’être adoptés.
Alliancy. Pourquoi la régulation de l’économie numérique en Europe apparaît aussi importante aujourd’hui ?
Alex Agius Saliba. Nous vivons dans un monde où les services numériques et les plateformes ont largement évolué ces vingt dernières années. Ils sont devenus les nouveaux outils de notre temps, et leur importance va continuer de grandir à l’avenir. Le cadre réglementaire actuel a besoin de rattraper les nouvelles réalités et assurer que les intérêts du public et les droits fondamentaux des utilisateurs et des consommateurs soient protégés dans le cadre de ces nouvelles réalités numériques. Il n’y a pas de doute qu’une fois adoptés, le DSA et le DMA auront un impact massif sur le monde digital en Europe et dans le monde.
Qu’est-ce que la crise sanitaire a permis de révéler à ce sujet ?
Alex Agius Saliba. Sans industrie numérique – sans la possibilité de commander des produits en ligne, de continuer son business et de travailler -, les conséquences liées à la pandémie du Covid-19 auraient été dévastatrices. Pendant la crise, elle a facilité les échanges sociaux et le commerce de biens, de services et d’information n’aurait pas été possible sans elle. La crise du Covid a bouleversé le paysage global dans lequel s’inscrit le consommateur, le poussant à aller en ligne, changeant ses demandes et exacerbant ses biais de comportement. Dans le même temps, la crise a aussi mis en lumière des disparités et des vulnérabilités dans le cadre réglementaire existant. Les pratiques commerciales injustes, trompeuses et frauduleuses en ligne ne sont pas un phénomène nouveau mais elles ont explosé pendant la crise. Cela inclut des arnaques financières, de fausses déclarations liées à un traitement ou une prévention face au coronavirus, un gonflement des prix de biens essentiels ainsi que la promotion de produits contrefaits voire dangereux. L’Europe était déjà en train de travailler à l’élaboration de nouvelles règles numériques et de propositions liées au DSA avant la crise. Mais cela a appuyé l’ambition de plusieurs recommandations, y compris du côté du Parlement européen.
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Est-ce que la proposition de la Commission européenne y répond ?
Alex Agius Saliba. La Commission a décidé de mettre en avant une régulation qui assure un niveau cohérent à travers l’Union et empêche les disparités et les obstacles dans le marché unique numérique. Pour moi, c’est essentiel que ces nouveaux instruments révisent ses objectifs principaux de création de règles claires et contraignantes pour combattre les déséquilibres du marché numérique. La proposition devrait viser la création d’un espace numérique plus sûr pour tous les utilisateurs, où les droits fondamentaux et les intérêts du public et des consommateurs sont respectés en ligne, et à partir de règles équitables et cohérentes dans tous les États membres.
Selon vous, qu’est-ce qui doit faire absolument partie du DSA et du DMA ?
Alex Agius Saliba. Selon moi, le DSA et le DMA devraient avoir, parmi tant d’autres, les priorités clés suivantes :
- Le principe de “ce qui est illégal hors ligne est aussi illégal en ligne” conjointement avec la protection du consommateur et les principes de sécurité de l’utilisateur
- Le champ d’application doit couvrir les entreprises en dehors de l’UE, principalement quand elles ciblent le marché européen, ses consommateurs et les citoyens
- Les modèles économiques en ligne néfastes, la manipulation et les pratiques discriminatoires conçues pour maximiser l’attention de l’utilisateur sur une plateforme avec des contenus illégaux et sensationnalistes doivent être régulés
- Le principe du “KYBC” (Know your business customer) devrait être introduit comme une nouvelle obligation sur les plateformes pour vérifier et empêcher les entreprises frauduleuses d’utiliser leurs services. Une telle mesure réduira le nombre de commerçants illégitimes et d’activités illégales en ligne.
- Le DSA et le DMA devraient promouvoir des pratiques de publicité transparentes qui ne traquent pas ses consommateurs et ses utilisateurs sur Internet. C’est en ce sens que le DSA devrait appliquer des mesures plus sévères contre les pratiques publicitaires néfastes, le nudge numérique, le micro-targeting, les systèmes de recommandation ainsi que les traitements de faveur.
- Nous devons aussi introduire des mesures ciblées à destination des marketplaces en ligne, comme Amazon et Alibaba
Concernant le DMA – qui cible bien plus les grandes entreprises technologiques – est-ce que vous pensez que la transparence complète des algorithmes est réalisable ?
Alex Agius Saliba. Oui, je pense que la transparence est vitale et particulièrement celle des algorithmes qui doit être complète. La Commission propose un système de transparence basé sur le “Quand ? Qui ? Et que va-t-il être fait ?”, tout en introduisant des garanties pour protéger les entreprises et leurs algorithmes en termes de secret commercial. Cette question sera très critique pendant les discussions des prochains mois. Tout dépendra de ce qui tombe dans le champ d’application du DMA et dans la définition précise proposée par la Commission avec le DMA pour qualifier les grandes entreprises de la Tech.