La définition de l’organisation optimale reste d’actualité pour BNP Paribas et Société Générale, pour qui l’enjeu est de progresser sur le passage à l’échelle. Yves Rocher, avec sa stratégie Data axée business, vise la massification en 2023.
La question de l’organisation Data idéale est-elle définitivement tranchée ? Sans doute pas. Les modèles varient encore nettement d’une entreprise à l’autre. Crédit Mutuel Arkéa a opté pour une forme hybride. Chez Allianz, la Data est opérée par la DSI, comme chez Axa France, qui réunit dans une même direction le digital, la data et la transformation.
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Des convergences semblent néanmoins s’opérer sur certaines dimensions, comme la gouvernance, de plus en plus axée sur la fédération – par adoption ou non des principes du Data Mesh. Pour autant, des évolutions organisationnelles se poursuivent. C’est le cas par exemple au sein de BNP Personal Finance, comme nous le confie Natacha Baumann, sa deputy CDO.
Une grande direction Data dans la banque de détail
Les contours de la future organisation Data ne sont pas encore arrêtés. Les réflexions sont en cours, nous précise la responsable de la stratégie. Selon nos informations, une précédente réorganisation avait déjà été opérée en 2021. L’année 2022 a permis d’en mesurer les résultats et de définir des axes d’amélioration.
La problématique pour la filiale de BNP Paribas est de concevoir un modèle plus adapté à une entreprise comptant de nombreuses entités réparties partout dans le monde et de favoriser la mutualisation. Ce challenge, une autre entreprise du groupe y est confrontée sur le métier de l’assurance : BNP Paribas Cardif.
Dans la banque de détail, une vaste transformation se prépare depuis plusieurs mois au travers de la fusion entre Crédit du Nord et Société Générale. A compter de janvier 2023, les deux réseaux n’en formeront plus qu’un. Cette intégration donnera naissance à une grande direction de la Data “métier” dirigée par Karim Perdreau, Head of Data & AI. Il sera secondé par Patrice Cougé, l’actuel directeur Data et expérience clients de Crédit du Nord.
Le duo pilotera une équipe de 200 à 250 personnes. Les moyens sont conséquents, mais les attentes et objectifs le sont également, témoigne Patrice Cougé lors d’une table ronde du salon Big Data & AI World. Le sujet des données et de l’IA apparaît pratiquement à toutes les lignes du plan stratégique du nouveau réseau bancaire, indique-t-il ainsi.
Pour mener ces chantiers donc, une “direction métier rattachée à la direction générale (…) qui a pour vocation de remplir toutes les missions data d’une banque de détail, de la gouvernance jusqu’aux usages”, détaille le co-CDO. Cette réunion de la gouvernance et des usages constitue d’ailleurs une “innovation” tant ces deux pôles sont souvent séparés.
Des métiers autonomes via des data products en self-care
La fusion, “assez gigantesque” de deux banques, se double de projets d’ampleur sur la donnée. Et cela commence par la migration des données clients de Crédit du Nord vers le système d’information de Société Générale. Ce “méga-projet” est aussi l’opportunité de dessiner la “direction de nos rêves”, explique Patrice Cougé.
Elle bénéficiera pour cela d’un atout : “dans la stratégie de cette nouvelle banque, la data est confirmée comme un des assets principaux, avec sa liquidité”. C’est une chance, mais aussi une pression. “La mayonnaise doit prendre”, résume laconiquement le directeur Data de la banque. Et cela passe en particulier par l’industrialisation.
“Le problème actuel est celui du passage à l’échelle. Nous savons réaliser à peu près tout type d’usage en y consacrant du temps et de l’énergie. En revanche, en mener de front 50, cela dépasse nos capacités”, reconnaît-il. Pour changer de division et développer par exemple l’hyper-personnalisation, la future banque devra notamment progresser sur la qualité des données.
C’est une des raisons pour lesquelles gouvernance et usages sont fusionnés dans une même direction. “Si nous voulons réussir à faire ces 50 usages en parallèle, il faut déployer massivement les données, rendre cohérent le SI en mettant au cœur un core data system, un set de data minimal”, détaille Patrice Cougé.
Ces ‘référentiels’ de données pourront alors être mutualisés, comme les équipes, afin de concevoir rapidement des produits data, à l’image de “Mon assistant Green” dans le domaine de la RSE. Pour y parvenir, outre l’organisation, Société Générale entend s’appuyer sur un “grand partenaire” qu’est l’IT. Au niveau de l’infrastructure, l’ambition est de passer du data lake au lakehouse “au travers d’une trajectoire de transformation du socle data très importante”.
Des millions d’euros gagnés sur le pricing
Malgré la croissance de ses moyens, la direction Data sait d’ores et déjà qu’elle sera “un goulot d’étranglement” sur les projets. “Notre philosophie, c’est de self-careriser l’entreprise pour que demain le plus grand nombre possible de personnes puissent s’approprier les problématiques data.”
Dans la veine également du data mesh, basé sur des domaines de données autonomes, la banque de détail souhaite fournir à ses clients internes “des produits data sur étagère”. Ils pourront dès lors consommer ces produits par le biais d’API. L’enjeu reste ici le même : le time-to-market et la massification des usages.
Cet objectif n’est pas exclusif au monde bancaire, comme en témoigne Michel Vasseux, chief data officer de Yves Rocher. L’entreprise détient de nombreux actifs data et revendique un rôle de pionnier sur le CRM. Ce capital, la marque l’exploite par exemple pour le pricing des produits.
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Ce cas d’usage est emblématique de la volonté de passage à l’échelle. Lancé en pilote deux ans plus tôt sur une famille précise de produits, le projet concerne désormais une vingtaine de pays, plusieurs catégories et les différents canaux de vente. A la clé : un “ROI très important (…) plusieurs millions d’euros”, se félicite le CDO.
Le “succès” de cette démarche itérative, Yves Rocher espère le reproduire avec d’autres applications. La direction, sponsor sur la data, fixe des objectifs de création de valeur élevés. L’automatisation des retours produit des clients constitue ainsi un autre réservoir potentiel de valeur.
Doubler l’IA d’ici 2025 pour BNP PF
Sur 2023, l’entreprise travaillera en priorité sur trois axes : “la massification, la personnalisation produit (…) et de plus en plus la supply chain, un domaine complètement externalisé aujourd’hui via l’utilisation de solutions du marché. Nous allons mettre en place des logiques de prévision des ventes et d’optimisation des stocks de sécurité”, annonce Michel Vasseux.
Acteur intégré, Yves Rocher anticipe des gains notables sur la logistique et la valorisation des données collectées sur ces activités. Les ambitions sont également conséquentes du côté de BNP Paribas Personal Finance. Comme le déclare Natacha Baumann, l’organisation se fixe comme objectif de multiplier par deux le recours à l’IA d’ici 2025. L’automatisation peut ainsi permettre de décharger les collaborateurs de multiples tâches répétitives.
L’intelligence artificielle doit participer à l’amélioration de l’efficacité et contribuer aussi à la bottom line. En partenariat avec des chercheurs et grâce à de la donnée externe, l’entreprise réfléchit à une évolution de son scoring pour toucher de nouveaux consommateurs, à “risques équivalents”. BNPPF a aussi recours à l’IA pour mesurer l’impact carbone de ses encours.
Ces usages émergents peuvent poser des questions éthiques cependant. Attentifs aux impératifs réglementaires, Yves Rocher dispose d’une équipe dédiée à la conformité RGPD et revendique une approche privacy by design. Le secteur bancaire se conforme lui aussi au RGPD, en plus du droit bancaire.
D’après Natacha Baumann, l’industrie est en outre accompagnée par le régulateur sur les enjeux d’explicabilité. “On ne va pas pouvoir mettre du deep learning sur tout et n’importe quoi”. Ces exigences limitent ainsi certains usages de l’IA, notamment pour le scoring d’octroi de crédits.
“Nous mettons plutôt de l’IA sur des automatisations, pour répondre à des emails ou sur des chatbots, pour du NLP et du NLU. Sur des décisions telles que l’octroi d’un crédit, l’IA existe, mais n’est pas aussi étendue qu’on peut le penser”, tient à préciser la CDO adjointe. L’automatisation n’est pas une fin en soi. C’est la valeur business qui guide les usages et la régulation qui les encadre.