Wall Street a ouvert la voie en intégrant à ses algorithmes l’Intelligence Artificielle (IA) pour effectuer des « trades » ou pour prédire les mouvements des actions. Les résultats, loin d’être pleinement satisfaisants à ce jour, laissent toutefois entrevoir une utilisation de l’IA sur les marchés financiers, et ce, y compris chez les régulateurs. Analyses prédictives, surveillances des marchés, veille réglementaire …Tour d’horizon des expérimentations en vigueur chez les régulateurs tricolores.
Les marchés financiers sont en ébullition en ce qui concerne l’IA, et son influence croissante pourrait bien révolutionner le marché. Selon une récente étude menée par JP Morgan, pour la majorité des traders (53%), l’IA et plus particulièrement le « machine learning », serait la technologie permettant de façonner l’avenir du trading au cours des trois prochaines années. La banque d’investissement Goldman Sachs, figure de proue des acteurs bancaires internationaux de premier plan, a déjà remplacé 99% de ses traders, par une intelligence artificielle et une armée de développeurs. Bien plus qu’une tendance, l’IA représente une évolution majeure des pratiques en vigueur en matière de régulation du secteur financier.
Veille réglementaire et automatisation de la Data à l’AMF
L’Autorité des Marchés Financiers (AMF) a été précurseur sur l’intégration de l’Intelligence Artificielle devant le Royaume-Uni ou encore la Belgique. « Nous avons été parmi les premiers régulateurs à intégrer l’IA, notamment avec un outil qui détecte les sites web proposant des investissements financiers potentiellement frauduleux », indique Philippe Guillot, secrétaire général adjoint en charge de la direction des données et des marchés.
Portés par le plan stratégique de Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l’AMF, les projets expérimentaux se multiplient et permettent notamment d’opérer une veille accrue, et d’automatiser des tâches chronophages sans valeur ajoutée pour les équipes. « L’IA nous permet de mener une veille qui auparavant, était manuelle. Compte tenu de la volumétrie, sans cette automatisation, cela était très compliqué. » précise Iris Lucas, Head of Data Intelligence.
Sur les autres « uses-cases » développés, notamment sur la partie NLP (natural language processing), figure également « l’extraction de documents textes, soit des données structurées qui permettent d’alimenter nos algorithmes de détection du marché » souligne-t-elle.
En outre, deux collaborateurs préparent des thèses sur l’IA ; une manière pour l’institution de rester alerte sur les évolutions rapides du secteur. Dans les années à venir, le gendarme boursier souhaite intensifier ses expérimentations notamment sur le « machine learning » afin de poursuivre ses missions de protection envers les épargnants.
Un projet d’intrapreneuriat soutenu par le Pôle Fintech-Innovation et le Lab de la Banque de France
Du côté de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR), depuis 2019, face au défi de l’IA, un projet d’intrapreneuriat a vu le jour, sous l’impulsion de Denis Beau, premier sous-gouverneur de la Banque de France, qui entend « mobiliser ces nouvelles techniques pour résoudre des problèmes opérationnels quotidiens auxquels sont confrontés les agents de l’ACPR dans l’exercice de leur mission ». Cette démarche baptisée « Suptech » issue du Mécanisme de surveillance unique de la Banque Centrale Européenne (BCE), a pour objectif d’améliorer la capacité analytique interne des équipes afin de mieux prévenir et gérer les crises. Un premier volet d’accompagnement des idées portées par les collaborateurs a été mis en place par le Lab de la Banque de France – des learning expeditions et discussions avec des data scientists – puis soutenu par le Pôle Fintech-Innovation de l’APCR. Les premiers projets issus de ce programme ont permis la mise à disposition de nouveaux outils pour les collaborateurs. « Les contrôleurs de l’ACPR utilisent quatre nouveaux outils technologiques intégrant l’IA qui leur permettent d’accélérer l’analyse des rapports envoyés par les organismes d’assurance et ainsi d’évaluer plus rapidement leur niveau de conformité. » indique Olivier Fliche, Directeur du Pôle Fintech Innovation de l’ACPR.
En outre, l’un de ces outils permet d’analyser la jurisprudence de la Cour de cassation afin d’identifier des contentieux rencontrés par les établissements supervisés par l’ACPR. Un gain de temps considérable. Là encore, ces nouveaux programmes intégrant l’IA permettent d’optimiser le travail de supervision de l’Autorité.
L’adoption d’un futur cadre européen pour l’IA
La dernière étape clef pour ces régulateurs concerne l’adoption du futur règlement européen permettant à l’ensemble des acteurs de pouvoir poursuivre ces expérimentations, à travers un cadre harmonisé. La Commission Européenne a présenté son projet de texte en avril 2021 (2) mais dans ses contours, celui-ci ne répond pas précisément aux attentes du marché ni aux évolutions du secteur, notamment en ce concerne les questions d’éthiques posées par l’utilisation de ChatGPT.
A l’heure actuelle, l’IA contient encore des biais genrés, notamment lors de l’attribution de prêts immobiliers par les acteurs bancaires.
Une nouvelle course vaine de la technocratie contre la technologie ?