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Antoine Petit (Inria) « En IA, à nous aussi de faire des choix »

Inria fête ses 50 ans cette année. L’occasion de revenir sur les activités de cet institut de recherche et son rôle dans l’écosystème français de l’innovation avec son PDG, Antoine Petit, nommé en septembre 2014 et pour cinq ans.

Antoine Petit, président-directeur général d'Inria

Antoine Petit, président-directeur général d’Inria

AlliancyLa France vient de se positionner sur l’intelligence artificielle. Quel a été votre rôle dans ce plan France IA ?

Antoine PetitModestement, nous sommes en quelque sorte à l’origine de France IA, après avoir continuellement poussé dans cette direction*. Quand Microsoft ou Facebook traverse l’Atlantique pour venir travailler avec nous et d’autres, on ne peut que s’interroger… En France, nous avons toutes les compétences pour jouer un rôle dans ce domaine et faire en sorte que la création de valeur et d’emploi se passe aussi ici. Simplement, il faut que ce soit une priorité nationale et que les investissements suivent. D’où cette grande stratégie qui, je l’espère, au vu du travail accompli aujourd’hui, sera utilisable demain [après la Présidentielle, NDLR].

Quelles ont été vos motivations ?

Antoine Petit – Il y a aujourd’hui des plans d’investissements massifs dans l’IA dans un certain nombre de pays comme les États-Unis, la Chine, le Canada, l’Allemagne ou la Corée… C’est un domaine dans lequel la notion de masse critique est très importante et dans lequel les talents attirent les talents… On pourrait tout à fait imaginer la création de deux ou trois centres de recherche en France, tournés vers l’international, qui travailleraient sur ces sujets en réseau. Ce serait bénéfique pour tout le monde et d’abord pour l’économie française. Regardez juste ce que font les Canadiens en matière de machine learning (lire article en page 38) ou les Allemands à Munich… À nous aussi de faire des choix.

Modélisation/simulation et programmation font partie du cœur historique d’Inria. Toutefois, pourriez-vous rappeler vos grands axes de recherche ?

Antoine Petit – Il est difficile de mettre en avant certains domaines plus que d’autres, car comme vous le savez, le numérique est partout ! Certains sont plus médiatisés que d’autres, comme la cybersécurité, l’intelligence artificielle dont nous avons déjà parlé, la transparence des algorithmes, la robotique avec toutes les questions qui se posent sur les relations entre humains et machines, car ils ont à l’évidence des impacts aussi bien scientifiques, économiques qu’éthiques et sociétaux. Le calcul haute performance (HPC), les interfaces, interactions et usages, ou l’internet des objets sont pour nous des axes de recherche très importants. Et nous pouvons aussi souligner également la pluridisciplinarité de la recherche, sur des sujets comme l’environnement (de la modélisation de phénomènes climatiques à une meilleure gestion de l’énergie), la santé (de la simulation médicale au maintien à domicile de personnes fragiles), ou la culture (du web sémantique à la création artistique).

Comment ce « savoir » s’articule-t-il avec les entreprises ?

Antoine Petit – Nous avons plusieurs façons de collaborer avec les mondes économiques et industriels. La première que l’on oublie parfois, c’est le transfert de compétences, notamment via les nombreux doctorants qui passent par Inria chaque année et, pour la majorité, rejoignent l’industrie. Ensuite, nous avons signé des partenariats stratégiques ou avons des laboratoires communs avec un certain nombre de grands groupes, souvent internationaux**. Le dernier en date est celui signé début mars avec le géant japonais Fujitsu [lire encadré]. Mais la forme importe peu, ce qui compte c’est que des chercheurs d’Inria travaillent avec des chercheurs du privé.

Le poids d’Inria

  • Création de l’Iria en 1967, devenu Inria en 1979.
  • Siège social: Rocquencourt (Yvelines) sur un campus de 12 hectares (200 personnes).
  • Effectif: 1 800 chercheurs (à 50 % étrangers), dont 600 permanents ; et 800 personnels d’appui.
  • Huit centres de recherche non spécialisés : Paris (75), Saclay (91), Rennes (35), Sophia-Antipolis (06), Grenoble (38), Nancy (54), Lille (59) et Bordeaux (33).
  • 48 lauréats au total de subventions ERC (European Research Council), accordées après examen par le Conseil européen de la Recherche.
  • Budget annuel : 240 millions d’euros (1/3 de ressources propres).

Concrètement, travaillent-ils sur un même lieu ?

Antoine Petit – C’est le cas uniquement au sein du Microsoft Research-Inria Joint Centre, implanté sur le pôle scientifique de Saclay. Il a été inauguré en janvier 2007 et reconduit, pour la seconde fois, en avril 2014. Ce laboratoire regroupe une trentaine de chercheurs qui planchent sur deux thèmes principaux, la logique et la vérification de programmes ou de protocoles de sécurité et la recherche en informatique au service des autres sciences (Computational Sciences). Concernant les autres partenariats, les chercheurs restent dans leurs laboratoires respectifs, mais se voient et échangent régulièrement. Au départ, ils ont défini une feuille de route commune, sur une durée de trois à cinq ans, et un comité de pilotage en fait le suivi.

Moyen ou long terme, c’est ce qui les intéresse le plus ?

Antoine Petit – Tout à fait. Pour le court terme, ils ont leurs équipes d’ingénieurs. Pour autant, ce qu’il faut comprendre, c’est que nous ne sommes là que pour essayer de répondre à leurs besoins. À eux d’exprimer ce qu’ils attendent de nos chercheurs. Ce qui est parfois un problème d’ailleurs… Tout dépend de leur culture.

C’est-à-dire ?

Antoine Petit – Si le monde était idéal, il y aurait nous, les business units et, au milieu, leurs centres de R&D… Dans la réalité, ce sont majoritairement les métiers qui s’adressent à nous. Ils ont certes des visions sur ce qu’ils voudraient, mais elles ne sont pas forcément partagées. Souvent, les industriels étrangers ont mieux compris comment ils peuvent travailler avec un laboratoire de recherche parce que cela fait plus partie de leur culture. Surtout, ils n’ont pas pour premier réflexe de voir comment obtenir une subvention ou un contrat public…

Comment faire pour que cela évolue ?

Antoine Petit – Inria a une particularité. Nous sommes le seul établissement public à caractère scientifique et technologique, dépendant des ministères de la Recherche et de l’Industrie. Notre devise est l’« excellence scientifique au service du transfert technologique et de la société ». Cela fait donc partie de nos gènes que d’essayer de travailler à la fois pour le monde industriel et pour la société en général face à un certain nombre de préoccupations. Après les mentalités ont changé dans la recherche, notamment à Inria où se côtoient 90 nationalités. Il n’y a qu’à voir nos relations avec des groupes comme Facebook ou Samsung, avec qui les contrats ont été signés en un temps record. Avec les industriels français, c’est souvent plus compliqué…

Un des moyens privilégiés du transfert est la création de start-up commercialisant des technologies issues des résultats de la recherche. Quel est votre bilan à ce sujet ?

Antoine Petit – C’est l’une de mes priorités depuis que j’ai pris mes fonctions en septembre 2014 ! Nous en sommes environ à une dizaine de créations de start-up par an. Ce qui est le double de ce que l’on faisait les années précédentes [entre 1984 et 2014, 120 start-up ont créé 3 000 emplois, NDLR]. Ces dernières années, nous avons choisi de cibler beaucoup plus la population des jeunes chercheurs, pour qui créer une entreprise doit faire partie de leur « possible ». L’opération de sensibilisation que nous avons montée, « Horizon Startup », a touché 300 personnes l’an dernier. Il en sera de même cette année. Aujourd’hui, on approche les 150 start-up créées, sachant que l’on devrait arriver à terme à la création d’environ une vingtaine de spin-off par an.

Comment suivez-vous ces entreprises particulièrement innovantes ?

Antoine Petit – Nous avons notre propre filiale IT-Translation [présidée par Laurent Kott, Ndlr], l’investisseur et le cofondateur des start-up technonumériques issues de la recherche publique ou privée. Elle fait à la fois de l’accompagnement du chercheur dès le début de son projet de création ; et gère un fonds d’ultra-amorçage de 30 millions d’euros, commun à Inria, Bpifrance et au FEI, le Fonds européen d’investissement. En moyenne, on engage 300 000 euros par projet, mais on ne remet jamais une deuxième fois au capital.

Ce fonds a-t-il vocation à perdurer ?

Antoine Petit – Créé en 2011, Inria et Bpifrance ont été les premiers à investir. Nous avons ensuite été rejoints en 2013 par le FEI, chacun à un tiers du montant environ. Aujourd’hui, ce fonds arrive à échéance et l’on réfléchit à la suite. Éventuellement, on pourrait s’adosser à un fonds existant… à condition qu’il soit ouvert à la technologie et prêt à prendre des risques.

Auriez-vous des exemples de spin-off***marquantes à citer ?

Antoine Petit – Le plus gros succès d’Inria, c’est Ilog, rachetée en 2009 par
IBM. C’est cette opération d’ailleurs qui nous a permis d’investir dans le fonds évoqué précédemment. Plus récemment, on peut citer Ambiciti, capable de fournir les niveaux de pollution atmosphérique et sonore rue par rue. Cette application mobile propose un suivi à chacun de son exposition aux pollutions, et la possibilité de contribuer à l’observation de l’environnement. Un autre exemple, Antescofo propose des applications mobiles destinées à tous les amateurs de musique afin qu’ils retrouvent le plaisir de jouer de la musique ensemble. Sa technologie dote un ordinateur, un smartphone ou une tablette d’une intelligence artificielle musicale lui servant à accompagner des musiciens, comme un accompagnateur ou un orchestre le ferait. C’est l’accompagnement qui s’adapte à l’interprète et une interaction inédite se crée alors entre l’interprète et l’enregistrement play-back qui fonctionne sur tous les styles et instruments.

Dans un tout autre domaine, il y a aussi Iconem, née de travaux dirigés par Jean Ponce (ENS Paris et Inria) au sein de notre laboratoire commun avec Microsoft Research autour du traitement d’images pour reconstruire automatiquement en 3D, et à partir de simples photos, les décors disparus d’une des plus grandes villas patriciennes de Pompéi, la « villa de Diomède ». La start-up met aujourd’hui à disposition ces technologies au service de la sauvegarde des grands sites archéologiques et historiques mondiaux.

 Nous avons parlé start-up et grands groupes… Qu’en est-il des PME ?

Antoine Petit – J’allais y venir. C’est notre quatrième façon d’interagir avec les entreprises, dans une démarche que nous avons enclenchée il y a deux ou trois ans uniquement. C’est le plus difficile. D’une part, leurs contraintes de temps ne sont pas les mêmes et, d’autre part, ces entreprises ne font pas forcément la démarche de venir nous voir. Sur le modèle des LabCom de l’Agence nationale de la recherche, nous avons donc créé les « Inria Innovation Labs ».

Quelle est l’idée ?

Antoine Petit – Sur des laps de temps plus courts, allant de six à dix-huit mois, nous leur proposons une seule formule, à savoir « comment transformer une invention en innovation ». On peut, par exemple, financer un ingénieur pour voir comment un de nos logiciels peut être adapté aux besoins de l’entreprise… Sachant que nous ne fournissons jamais un produit fini. Nous ne sommes pas une société de services, mais il est clair que nous devons aider des PME à progresser.

Fujitsu séduit par l’excellence à la française

Inria a récemment signé un partenariat avec le japonais Fujitsu, troisième fournisseur mondial de services informatiques (40 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2015), sur un programme de recherche à long terme. Objectif : la création d’un laboratoire commun dans le domaine de l’IA et du traitement des données massives d’ici à deux ans. C’est l’une des initiatives du géant japonais en France, dont l’investissement total représentera plus de 50 millions d’euros sur cinq ans. Ensemble, les deux partenaires travailleront sur les méthodes d’analyse topologique des données (TDA), un domaine visant à comprendre et exploiter les structures topologiques et géométriques sous-jacentes aux données complexes et/ou de grande dimension et dans lequel Inria dispose d’une forte expertise (voir les travaux de Jean-Daniel Boissonnat, chercheur en géométrie algorithmique, pour son projet Gudhi/Geometry Understanding in Higher Dimension). Les résultats obtenus seront par la suite intégrés à la plateforme « Human Centric IA Zinrai » de Fujitsu et aux plateformes logicielles d’Inria. Le groupe ouvre également un centre d’excellence (CoE) dédié à l’IA sur le campus de l’école Polytechnique en vue d’élargir son écosystème. Il sera piloté par Axel Mery, le directeur technique de Fujitsu France.

Comment discutez-vous avec elles ?

Antoine Petit – InriaTech vient en interface avec les PME. L’objectif de cette plateforme d’échanges est d’entretenir un pool permanent d’ingénieurs, mobilisables sur des contrats de recherche ou des contrats de transfert technologique. Ainsi, nos ingénieurs regardent le problème posé par l’entrepreneur et l’aiguillent en fonction de ses attentes et besoins. Nous avons démarré en 2015 cette initiative à Lille en partenariat avec les collectivités territoriales. Cela marche très bien et nous devrions l’étendre cette année à Rennes, Bordeaux, Sophia-Antipolis et Grenoble. Dans le but toujours, de développer et favoriser l’écosystème.

 Justement, que diriez-vous de vos forces face à cet écosystème ?

Antoine Petit – Avant tout la qualité de nos chercheurs et de nos équipes, qui est la base de tout. Et, en addition, notre plus-value réside dans la dimension transfert, mais aussi la dimension pluridisciplinaire. Inria fait des mathématiques et de l’informatique, mais grâce au modèle souple et agile des équipes projets en lien avec d’autres grands laboratoires, nous arrivons à assembler des compétences très différentes. Par exemple, dans le domaine de la santé où nous sommes très présents, nous travaillons aussi bien sur les neurosciences et la robotique médicale que sur le génome et la biologie synthétique…

Pour conclure, vous venez de signer, en présence de François Hollande, un partenariat avec l’Unesco. De quoi s’agit-il ?

Antoine Petit – Nous souhaitons ensemble contribuer à préserver et rendre accessible la connaissance technologique et scientifique de l’humanité, en particulier le code source informatique de tous les logiciels disponibles. Tout est parti de l’initiative Software Heritage que nous avons lancée mi-2016 (www.softwareheritage.org). À ce jour, Software Heritage a déjà collecté plus de 55 millions de projets logiciels ; 3 milliards de fichiers sources uniques archivés ainsi que tout l’historique de leur développement, ce qui en fait d’ores et déjà l’archive de code source la plus riche de la planète. Il était temps maintenant d’ouvrir cette bibliothèque à la contribution la plus large et de la mettre au service de la société, de l’industrie, de la science et de l’éducation. C’est un enjeu majeur de portée mondiale auquel participent déjà des acteurs comme Microsoft, Société générale, Huawei, Nokia, Intel…

* « Intelligence artificielle : les défis actuels et l’action d’Inria », un document de 81 pages coordonné par Bertrand Braunschweig, directeur du centre de Saclay. Consultable ici : https ://www.inria.fr/actualite/actualites-inria/livre-blanc-sur-l-intelligence-artificielle

** Microsoft, Facebook, Samsung, Nokia, Fujitsu, Total, EDF, Safran, Alstom, Airbus Group, Orange…

*** Liste complète à consulter sur le site de l’Inria. 

>> Cet article est extrait du magazine Alliancy n°17  » Où en est l’IA dans l’entreprise ?  » à commander sur le site.

 

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