Depuis plus d’une décennie, les programmes du Centre TUMO permettent aux adolescents arméniens de se former aux nouvelles technologies grâce à une approche pédagogique innovante. Après avoir rencontré un grand succès à Erevan, le projet s’est internationalisé et s’est installé en France: à Paris, Lyon et Marseille.
Crédit photos : Vaghinak Ghazaryan
Lilith Karapetyan travaille aujourd’hui à Varsovie, en Pologne, en tant que développeuse pour Google. Son parcours est une des success story du centre éducatif TUMO d’Erevan, la capitale arménienne, qu’elle a fréquenté en 2016 et 2017. « Les cours à l’école sont un peu déconnectés de la vie réelle, alors qu’à TUMO, les matières sont excitantes et liées à des domaines professionnels concrets », affirme-t-elle.
Situé en surplomb de la rivière Hrazdan qui traverse Erevan, le centre éducatif TUMO forme gratuitement les adolescents de 12 à 18 ans aux disciplines créatives et technologiques. L’offre de formation, complémentaire à la scolarité obligatoire, se concentre sur 14 disciplines : programmation informatique, robotique, graphisme, animation, cinéma, développement web, musique, écriture, modélisation 3D, jeux vidéo, dessin, dessin graphique, nouveaux médias et photographie.
L’Arménie, pôle d’excellence technologique
Le projet a vu le jour grâce à deux couples de la diaspora. Les mécènes arméno-américains Sam et Sylva Simonian ont uni leurs forces avec Marie Lou et Pegor Papazian. Ces derniers dirigent l’organisation à but non lucratif qui chapeaute le projet depuis son lancement en 2011.
Le centre doit son nom au parc Tumanyan (baptisé en hommage à l’écrivain arménien Hovhannès Toumanian) où se trouve l’imposant bâtiment qui héberge le centre éducatif ainsi que des bureaux d’entreprises du secteur IT. Ces dernières années, l’Arménie est devenue une nation de pointe dans les nouvelles technologies avec l’établissement d’entreprises multinationales comme Oracle, Cisco, ou Adobe, ainsi que de nombreuses startups.
“Nous sommes dans un pays enclavé qui manque de ressources naturelles. Mais c’est à nos yeux un avantage car cela nous force à innover”, souligne Pegor Papazian. Le gouvernement pousse aussi dans cette direction. Dans un article publié par le magazine Forbes en décembre 2023 et dédié à la transformation de l’Arménie en pôle d’excellence technologique, le ministre des nouvelles technologies (aujourd’hui conseiller du président) Robert Khachatryan affirmait: “L’avenir du développement économique arménien repose sur des produits liés aux science et à forte valeur ajoutée”.
Originalité de l’approche pédagogique
Dès le départ, TUMO a mis l’accent sur les nouvelles technologies ainsi que sur la jeunesse: “Les adolescents sont plus ouverts et désireux d’adopter de nouvelles perspectives par rapport à leurs parents qui ont vécu durant l’Union Soviétique”, explique Pegor Papazian
L’approche pédagogique du centre TUMO est innovante, alternant des phases d’auto-apprentissage sur ordinateur supervisées par des coaches pour les notions théoriques avec des ateliers en groupe axés sur la pratique et les projets personnels.
« Nous organisons une partie de la formation en ligne pour trois raisons : minimiser les coûts afin d’investir dans la qualité des ateliers, favoriser l’autonomie des apprentissages, et ne pas marginaliser les enfants moins familiers avec l’outil informatique et qui ont besoin de plus de temps », soutient le directeur du développement.
Plus de dix ans après son ouverture, le centre est une belle réussite. Environ 15 000 adolescents le fréquentent chaque semaine, et il jouit d’une excellente réputation tant auprès des jeunes que des parents. Selon une étude d’impact réalisée en 2023 par le cabinet de consulting Dalberg, les adolescents participant aux programmes de TUMO sont 50 % plus susceptibles de travailler une heure par jour sur des projets personnels. Plus autonomes, ils réussissent en moyenne mieux leurs études. De plus, 45 % des anciens élèves ont trouvé un emploi dans le secteur des nouvelles technologies, contre 13 % pour ceux n’ayant pas fréquenté TUMO.
De nombreux anciens élèves deviennent formateurs, et le centre ne peine pas à recruter, attirant les professionnels les plus accomplis dans leurs domaines respectifs, tel Vrezh Mikayelyan. Ce spécialiste en robotique a travaillé comme ingénieur en chef sur le projet d’Hayasat-1, le premier satellite arménien mis en orbite en décembre 2023. “Quand je dis que je travaille pour TUMO, les gens sont positivement surpris, c’est comme si je leur disais que je suis employé par la NASA”, déclare-t-il.
Comment TUMO se déploie en France
Pour offrir les mêmes opportunités aux enfants vivant en dehors de la capitale, TUMO s’est implanté à partir de 2013 dans plusieurs villes de province, souvent avec des réalisations architecturales remarquables. En complément de ces hubs, des conteneurs aménagés appelés “TUMO box” (boîtes TUMO) ont été placés dans des villages pour accueillir uniquement les activités d’apprentissage en ligne. Des transports sont organisés pour permettre aux enfants d’assister aux ateliers dans la ville la plus proche.
L’objectif est de couvrir l’ensemble du territoire national dans les années à venir. “Le nombre de hubs atteindra 15 ou 16, et le nombre de boxes passera de 40 à 110,” soutient le directeur du développement. “Chaque adolescent sera alors à 30 ou 40 minutes d’une infrastructure TUMO. Nous aurons la capacité d’accueillir 80 000 jeunes, ce qui signifie que chaque Arménien âgé de 12 à 18 ans aura durant son adolescence cette opportunité d’étudier pendant deux ans chez nous.”
Mais l’ambition de Pegor et Marie Lou Papazian ne s’arrête pas aux frontières arméniennes. TUMO est déjà présent grâce à des partenaires locaux à Beyrouth, Tirana, Kiev, Zürich, Coimbra et dans plusieurs villes allemandes. Le développement international permet d’ailleurs de générer des revenus qui contribuent au financement des activités en Arménie.
TUMO s’est aussi installé en France depuis 2018, avec une première implantation au Forum des images à Paris. Puis ce fut le tour de Lyon en janvier 2022 et de Marseille très récemment au milieu du mois de mai 2024.
Plus grand centre de France, TUMO Paris accueille 1200 jeunes (sa capacité maximale) durant l’année scolaire avec un souci de mixité des publics concernant notamment les filles et les adolescents des quartiers prioritaires. Il est né après la visite à Erevan de la maire de Paris Anne Hidalgo. Impressionée, elle voulait doter la capitale française d’un équipement similaire et le Forum des images (institution culturelle municipale fondée en 1988) s’est porté volontaire pour l’héberger. TUMO Paris se concentre sur un nombre de programmes plus restreint, 8 au lieu de 14 : cinéma, animation, jeu vidéo, design graphique, modélisation 3D, programmation, dessin et musique.
“Tumo réussit l’impossible: faire que des jeunes viennent dans un lieu de manière volontaire et enthousiaste pour apprendre. Je me souviens des longues files d’attente devant le centre à Erevan, c’est une sorte de Graal éducatif et on voit le même engouement à Paris”, se réjouit Claude Farge.
Pour le directeur général du Forum des image et de TUMO Paris, le succès du modèle pédagogique TUMO repose notamment sur la gamification du parcours d’apprentissage : “Il reprend les mêmes mécaniques que le jeux vidéo où on fait du farming, c’est-à-dire des tâches un peu rébarbatives pour gagner en puissance, avant d’aller affronter le boss dans le donjon. TUMO c’est un peu cela, les élèves veulent compléter les phases d’auto-formation car dans deux mois ils vont participer à un lab qui leur permettra de réaliser un contenu qui les valorise.”
D’après une étude d’impact réalisée par le cabinet SociaLab auprès de 1450 étudiants en 2022 et 2023, assister aux formations de TUMO Paris permet fortement de renforcer les soft skills telles que la confiance en soi (73%), l’autonomie (85%) et la créativité (86%) qui sont essentielles pour réussir au niveau scolaire et professionnel.
Le principal défi de TUMO Paris pour les mois à venir est l’intégration des problématiques liées à l’émergence de l’intelligence artificielle dans son offre pédagogique, ce qui est aussi une des priorités de TUMO Erevan. Cela passera notamment par l’intégration des outils de l’IA dans les 8 disciplines enseignées, que ce soit au niveau de l’auto-formation que des labs, les ateliers pratiques.