Réseaux intelligents, big data, réalité augmentée… les nouvelles technologies investissent la filière de l’énergie. Objectif : gagner en compétitivité.
Nouveaux modes de consommation, développement du véhicule électrique, génération d’électricité à partir du vent ou du soleil… la production et les usages de l’énergie évoluent. Pour accompagner ces transformations, les smart grids jouent un rôle majeur. L’intégration des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) rend intelligents (ou smart) ces réseaux (ou grids) de transport et de distribution. Au-delà de traiter automatiquement les données pour les factures, de faciliter les diagnostics de panne à distance, on attend également qu’ils repèrent un rayon de soleil ou une pointe de vent pour injecter de l’électricité – produite par des sources décentralisées – dans le circuit ; qu’ils permettent à l’électricité de circuler dans les deux sens ; qu’ils anticipent les périodes de forte consommation… « On résume souvent les smart grids aux compteurs intelligents, de type Linky pour l’électricité ou Gazpar pour le gaz, constate Clément Le Roy, manager au sein de l’équipe énergie du cabinet de conseil Solucom. Mais le smart grid désigne en fait un ensemble de phénomènes qui consistent à capter plus de données et à en tirer parti. » Cela fait d’ailleurs bien longtemps que des compteurs évolués existent, qu’il est possible d’aiguiller les flux ou de gérer l’interface entre la France et d’autres pays, par exemple. Dès 1984, ERDF proposait le compteur vert électronique, aux possibilités limitées par rapport aux nouvelles générations, mais déjà capable de communiquer avec un système d’information centralisé. Depuis l’ouverture du marché de l’énergie pour les professionnels, en 2004, le distributeur n’a cessé de faire évoluer ses compteurs pour répondre aux besoins des fournisseurs d’énergie, aujourd’hui capables de proposer différentes grilles tarifaires en fonction du mode de consommation de leurs clients. Sur les 480 000 clients d’ERDF, dont les installations dépassent 36 kilovolts-ampères, 50 % sont équipés de compteurs communicants. Avec l’arrivée du compteur Saphir, en cours de développement, l’objectif est d’équiper l’ensemble du parc de compteurs intelligents d’ici à 2018. « Il y a un phénomène d’accélération lié aux opportunités technologiques, mais aussi aux contraintes réglementaires et financières », poursuit Clément Le Roy. Pour préparer ces mutations, des projets pilotes fleurissent un peu partout dans le monde. Rien qu’en France, une quinzaine de démonstrateurs ont vocation, par exemple, à améliorer le pilotage en temps réel des réseaux de distribution (projet Sogrid), à contribuer à une meilleure efficacité énergétique en intégrant mieux les énergies renouvelables (projet Smart Grid Vendée), à intégrer de fortes capacités de production éolienne sur un réseau rural (projet Venteea) ou encore à optimiser les performances énergétiques des productions et consommations électriques (projet Issy Grid).
Les big data pour modéliser le réseau
Ces nouvelles utilisations s’accompagnent d’une explosion des données captées. « Les big data sont l’un des sujets de préoccupation des énergéticiens », confirme l’expert de Solucom. Non seulement les relevés de consommation sont beaucoup plus fréquents (pour le grand public par exemple, ils passent de deux fois par an à une mesure journalière), mais ils sont croisés avec des données de nature différente (prévisions météorologiques ou informations sur la production d’une usine). « Les big data sont utilisées pour modéliser l’ensemble d’un réseau. Cela permet de regarder les goulots d’étranglement, de conduire à des schémas d’investissement de nouvelles lignes à construire ou de consolidation du réseau existant », explique Clément Le Roy. « Nous sommes capables de rapprocher deux consommations voisines, souligne Marie-Luce Picard, chef de projet à EDF R&D qui teste, en matière de big data, la technologie de l’américain Teradata. Pas voisines en termes géographiques, mais en termes de consommation. Cela peut nous aider à comprendre les besoins en consommation d’un client ». Et ainsi optimiser les offres pour les usagers, en particulier pour les entreprises.Pour Luc de Cremoux, directeur marketing de l’unité Energy and Sustainability Service France chez Schneider Electric, « les big data sont un gisement de performances sous-estimé par les entreprises ». Quand on sait que le poste énergie de certaines industries représente jusqu’à 30 % du coût de production, on prend vraiment conscience de l’importance de bien piloter sa consommation. Surtout, lorsque les prix sont annoncés à la hausse… « Gagner quelques points d’économie sur l’énergie peut être intéressant pour gagner en compétitivité », insiste Frédéric Streiff, ingénieur en efficacité énergétique pour l’industrie à l’Ademe.
Des start-up innovent
C’est pourquoi, certains se positionnent dans l’aide à l’optimisation du suivi énergétique. « Nous ne sommes pas uniquement fournisseurs de compteurs, mais prestataire de conseils, y compris sur la mise en place d’organisations et jusqu’au suivi de la performance », prévient Luc de Cremoux. Chez un gros client de l’agroalimentaire, ce type de projet a ainsi permis de réduire de 31 % la consommation d’eau et de 47 % celle d’énergie ! Schneider Electric travaille aussi avec Airbus Helicopters pour l’aider à diminuer son PUE (Power Usage Effectiveness *) de 2,85 à 1,4. En quelques mois, cet indicateur est déjà descendu à 2,1. Cette prise de conscience s’accompagne de l’émergence de nouveaux acteurs, qui viennent se confronter à des mastodontes comme Schneider Electric ou Rockwell Automation notamment. C’est le cas de la start-up française Energiency, qui se rêve en « leader européen de l’analysede la performance énergétique ». Elle a conçu un outil collaboratif multilingue qui se met à jour en temps réel. Ce logiciel « aspire » les données de comptage de l’énergie. « Nos clients ont jusqu’à 100 compteurs connectés, chacun capte 300 000 données par an », insiste son président, Arnaud Legrand. Ces données ne représentent que 20 à 30 % du volume total d’informations exploitées. En effet, l’outil récupère aussi toutes les données de production issue de l’ERP du client, les informations sur la maintenance, et met à jour les tarifs de l’électricité. « Nos algorithmes tournent sur notre cloud », précise Arnaud Legrand. Ils permettent ensuite d’afficher les données de manière graphique, d’analyser les performances en temps réel par rapport aux performances attendues, de prévoir la consommation d’énergie sur différents périmètres : par produit, par équipe, par machine, par site, etc. Le client va même pouvoir commenter ses données et les partager. « On s’est inspiré de sites collaboratifs comme Linkedin », dévoile-t-il. Surtout, l’outil propose des plans d’actions à mettre en oeuvre, à tous les niveaux, de l’opérateur au décideur, pour réaliser des économies. Accessible via une plate-forme Web, l’outil sera disponible d’ici à la fin de l’année sous forme d’application mobile pour iOS et Android. « Nous avionscommencé à développer une solution interne de type tableur, mais avec nos dix-huit sites de tailles et d’histoires différentes, nous avions des systèmes d’information très variables. Nous avons sélectionné Energiency, car sa technologie est novatrice », raconte Lucas Le Provost, chargé de mission énergie chez Triballat Noyal, industriel de l’agroalimentaire. « La première étape a été de remettre à plat notre système de remontée de données », se souvient-il. Il ne s’est pour le moment pas fixé d’objectif chiffré en termes d’économie d’énergie, mais Energiency annonce « au moins 10 % » sur les factures de tous ses clients.
La réalité augmentée pour sécuriser les interventions
Les réseaux intelligents et l’exploitation des grandes quantités d’informations ne sont pas les seuls apports des nouvelles technologies du numérique. Le transporteur de gaz GRTgaz l’a bien compris. Il a expérimenté un prototype d’application de réalité augmentée dans sa station d’interconnexion à Alfortville, en région parisienne. Le principe ? Superposer aux informations réelles auxquelles l’opérateur a accès sur le terrain, des données supplémentaires et des images virtuelles sur une tablette numérique. Tout l’enjeu est de sécuriser les interventions sur une zone complexe contenant des dizaines de robinets identiques qui permettent de réorienter les flux. Elles sont préparées en amont grâce à une modélisation 3D des installations. Une fois sur site, le mode opératoire spécifique à une intervention particulière est alors disponible. « La reconnaissance de formes, par exemple, permet de repérer automatiquement les numéros à plusieurs chiffres indiqués sur les vannes. Cela permet de gagner du temps, de réduire les risques d’erreur, on sait tout de suite si on intervient sur la bonne vanne et on a à disposition toutes les informations nécessaires, sans avoir à consulter une documentation technique encombrante », développe Frédéric Guillou, chef de projet innovation chez GRTgaz. Pour Patrick Benoît, directeur associé secteur énergie et utilities chez Capgemini Consulting qui accompagne le projet, celui-ci a d’autres atouts encore : « Cela valorise tout l’effort de numérisation des données en les rendant directement opératoires pour les personnes de terrain. En outre, c’est un élément de modernisation de leur métier et cela offre un moyen de renforcer la standardisation des bonnes pratiques. » GRTgaz a choisi d’élargir l’utilisation de la réalité augmentée à la maintenance de 4 500 postes de livraison raccordés au réseau.
* Le PUE est un indicateur d’efficacité énergétique correspondant, pour un datacenter, au ratio entre l’énergie globale consommée et la part utilisée par le serveur.
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