La deuxième vie des ERP

Les ERP ont été une rupture dans les approches informatiques du milieu des années 1990. Deux décennies plus tard, les clients sont devenus plus matures sur le sujet. Mais ils attendent que leurs prestataires aient monté la barre d’un cran, eux aussi.

 

Tous les acteurs du marché s’accordent à le dire, le rapport des entreprises à leur ERP (Enterprise Resource Planning – ou progiciel de gestion intégré, qui interconnecte l’ensemble des fonctions de l’entreprise au niveau du système informatique) a évolué ces dernières années. En 2011, ce marché a connu une croissance supérieure à 4 % en France, d’après les analystes d’IDC. Et le ralentissement économique de 2012 n’a pas empêché 12 à 19 % des entreprises de poursuivre leurs investissements dans ce domaine. « C’est un marché mature qui renouvelle ses modèles », décrit Sébastien Lamour, Research and Consulting Manager chez IDC France.

Cette maturité impacte tout l’écosystème, que ce soient les éditeurs, les intégrateurs ou les consultants. « On a atteint un certain niveau de sensibilisation », reconnaît Jean-Louis Tomas, consultant spécialiste des projets ERP et auteur d’un ouvrage sur le sujet *. « Le focus se fait maintenant moins sur l’outil en lui-même que sur le prérequis de transformation de l’entreprise dans son ensemble », poursuit-il. En fait, les entreprises clientes comprennent de mieux en mieux les implications qui se présentent avant, pendant et après un projet ERP.

 

La deuxième vie des ERP

Les expertises évoluent sur le marché de l’ERP                        © alphaspirit | Fotolia

Un environnement plus professionnel

« Cela se vérifie au quotidien », confirme Thierry Mathoulin, directeur de la branche entreprise solutions de GFI Informatique, qui a pu constater une montée en compétence flagrante. « Nos clients, qui ont déjà presque tous un ERP, disposent maintenant de ressources spécialisées en leur sein, que ce soit en assistance à maîtrise d’ouvrage ou à la DSI. Les pièges et les limites d’un ERP sont mieux connus. » En conséquence, l’environnement ERP s’est professionnalisé. « Pour autant, s’il y a eu un transfert de compétences, cela ne rend pas les entreprises autosuffisantes vis-à-vis de leur ERP, même une fois en production », relativise Jean-Louis Tomas.

Par nature, les ERP sont d’une grande complexité et impactent, de façon transversale, l’ensemble des entreprises où ils sont déployés. Ils touchent au cœur du métier et sont la colonne vertébrale qui a vocation à homogénéiser le système d’information (SI) sur un large périmètre de gestion (achats, production, comptabilité…). Alors, qu’en attendent vraiment les entreprises clientes pour les années à venir ?

Au-delà des questions de fiabilité et de solidité de la solution, ce sont la rapidité et l’efficacité du déploiement de l’ERP qui seraient leurs préoccupations majeures. « Dans un contexte économique tendu, le retour sur investissement (ROI) doit être très prompt », confirme le cabinet de consultant Ernst & Young (lire l’entretien page suivante). Les clients ont plus de choix, la concurrence est rude.

 

Un repositionnement des experts

Ainsi, une capacité beaucoup plus forte d’industrialisation des processus liés au projet ERP est demandée aux intégrateurs. Et hors de question pour ceux-ci de se reposer sur des compétences de « juniors ». « Il n’y a plus de tolérance des deux côtés », admet Thierry Mathoulin, expliquant que les recrutements de sa société sont devenus beaucoup plus stricts.

Chez GFI, les formations ont également été renforcées, à travers des filières spécifiques de développement de compétences… Une nécessité quand les experts vont se retrouver « challengés » sur le terrain par les clients. Le consultant doit donc aussi renforcer son expertise. Les questions de l’accompagnement au changement et de la performance dans la durée sont devenues primordiales. Chez Kurt Salmon ou Ernst & Young, on reconnaît qu’il est nécessaire de développer une connaissance encore plus pointue des produits eux-mêmes.En réponse, un éditeur d’ERP comme IFS a fait le choix d’adopter une approche plus proactive vis-à-vis des consultants : des réunions de partage sont régulièrement organisées. Le consultant veut obtenir de la visibilité sur les road map de l’éditeur, là où ce dernier cherche à avoir une vision plus claire du marché et des problématiques clients. « Les éditeurs doivent travailler cette culture de l’entreprise cliente, dont ils sont moins proches que les intégrateurs », décrypte Jean-Louis Tomas, qui préconise de mettre en place des partenariats éditeur/intégrateur.

 

 

L'hôpital Foch, à Suresns (Hauts-de-Seine)

L’hôpital Foch, à Suresns (Hauts-de-Seine), a bénéficié d’une approche verticalisée pour son ERP                                         © Copyleft | Creative Commons

Vers la spécialisation et la verticalisation

Pour Damien Michallet, directeur des ventes d’IFS France, la maturité du marché et des clients soulèvent d’autres enjeux : « Nous proposons un ERP complet, mais nous devons également avoir cette spécialité de savoir déployer notre solution pas à pas, avec peu de perturbations pour le SI. » Et de citer des exemples de clients qui ne sont pas prêts à remettre en cause tout leur ERP dans leur évolution… Il faut donc, pour l’éditeur, disposer d’une technologie capable de se « brancher » dans un environnement existant, sans faire de vague ni remettre en cause les compétences existantes dans l’entreprise.

La verticalisation est une réponse. « L’éditeur doit proposer un socle compatible avec la culture d’un secteur, et le client définir les ultimes personnalisations », explique Jean-Louis Tomas. Cette approche demande une expertise métier qui soit intégrée à l’ERP, d’après Tommy Verdon, directeur pôle finances, division solution secteur public chez GFI Informatique.

Cette combinaison a d’ailleurs été mise en place par GFI autour de l’offre Microsoft Dynamics AX, pour le secteur public. L’hôpital Foch de Suresnes (Hauts-de-Seine) est le premier à avoir bénéficié de ce partenariat créé sur mesure. Derrière la démarche cependant, une forte adaptation a été nécessaire. Au programme un « re-skilling » intensif : des formations spécialisées pour obtenir la certification Microsoft, pour l’installateur de terrain comme pour Tommy Verdon lui-même. Des habitués des progiciels deviennent ainsi des familiers du monde de l’ERP, fusionnant les compétences. Un bon exemple des expertises de demain ?

* ERP et conduite des changements : alignement, élection et déploiement, de Jean-Louis Tomas, éditions Dunod, 2011.

 

 

La deuxième vie des ERP - Christophe GEORGETAvis d’expert

Christophe Georget, spécialiste de la transformation et de la performance des systèmes d’information chez Ernst & Young.

 

Le rapport des entreprises aux ERP a-t-il vraiment changé ?

Selon leur taille, la maturité peut évidemment varier, mais globalement le concept et le sens de l’ERP sont maîtrisés : elles savent mieux en tirer parti. Les éditeurs font en sorte que leurs solutions deviennent plus faciles à paramétrer et à faire fonctionner, mais les ERP couvrent naturellement de plus en plus de fonctions. Les interactions entre les différents domaines fonctionnels et processus de l’entreprise deviennent plus nombreuses, plus complexes, plus riches. De ce fait, les ERP sont certes de plus en plus simples à maîtriser pour l’utilisateur final, mais ils restent souvent difficiles à mettre en œuvre pour l’entreprise. A l’autre bout du spectre, les éditeurs et les intégrateurs cherchent à insister sur le préparamétrage et la verticalisation de leurs solutions.

Que veulent alors les clients ?

Ils veulent clairement des projets de mise en œuvre de plus en plus courts, dans un monde qui requiert de plus en plus de réactivité. Le SI doit maintenant évoluer rapidement à l’aune des changements du monde économique et les entreprises attendent un retour sur investissement (ROI) très court. Cette importance du payback, du temps de mise en oeuvre et de la flexibilité explique, par exemple, la percée du mode SaaS. C’est une approche encore marginale pour les ERP, mais elle  va devenir essentielle et prédominante dans les mois et les années à venir. Alors, certes, un dirigeant d’entreprise attend une solution robuste, fiable et fonctionnelle, mais il veut aussi mieux piloter son entreprise. Et ce, sans intégration tellement longue qu’il se trouverait en porte-à-faux vis-à-vis du marché !

Comment ces nouvelles exigences font évoluer votre métier ?

Les clients attendent du conseil une expertise plus forte et un véritable engagement de « performance durable ». Le Syntec Numérique l’a bien mis en avant dans ses dernières études. Pour les consultants, cela veut dire savoir s’impliquer encore plus dans l’accompagnement de leurs clients et savoir aller au-delà du simple suivi de projet. La transformation du SI attendu par l’entreprise ne peut plus se concevoir sans une amélioration significative de la performance opérationnelle. Et pour accompagner les transformations des organisations, nous sommes obligés d’avoir une forte expertise produit, en assistance à maîtrise d’ouvrage, même sans être intégrateur. Nous avons donc le besoin et la volonté d’interagir de façon plus poussée avec les éditeurs pour bien comprendre leurs stratégies à court, moyen et long termes. Heureusement, les éditeurs ont commencé à intégrer cette nécessité.