La cité technologique de la région Paca, plus de quarante ans après sa création, est-elle toujours attractive ? Le départ de Texas Instruments est vécu comme un choc. Mais Sophia-Antipolis a de la ressource avec l’essor d’Intel, l’arrivée de Samsung, l’éclosion de start-up prometteuses et des projets d’aménagement.
Officialisée avant Noël, la nouvelle n’avait rien d’un cadeau pour les Alpes-Maritimes. Dix-huit mois après avoir célébré ses cinquante ans d’existence à Villeneuve-Loubet, Texas Instruments (TI) annonçait la suppression de 517 de ses 541 emplois et la fermeture, en 2013, de cette implantation emblématique pour la Côte d’Azur. Le géant américain estime trop lourde à porter son activité de microprocesseurs pour tablettes et smartphones face à une concurrence accrue. La décision impacte cent cinquante sous-traitants et ébranle la technopole de Sophia-Antipolis.
Des investisseurs émergents
A Sophia-Antipolis, les entreprises redoutent, dans une conjoncture délicate, une perte d’attractivité pour la technopole, mais refusent de noircir le tableau en raison de belles réussites. Côté institutionnel, cette décision, conjuguée aux menaces sur IBM à La Gaude, oblige à accélérer la mutation du site. Pour Gérard Giraudon, président du Club des dirigeants de Sophia-Antipolis et de l’incubateur Paca-Est, et directeur du centre de recherche de l’Inria (Institut de recherche en informatique et en automatique), l’inquiétude se justifie, pas la dramatisation. « TI, c’est un vieil arbre qui tombe dans uneforêt vivante. La majeure partie de ses collaborateurs nourrira d’autres sociétés. Le centre R&D d’Intel grandit et recrute, Samsung s’est doté de son premier laboratoire de recherche en France. Dans une compétition farouche entre territoires, c’est bien que l’attractivité demeure ! De plus, Sophia continue de progresser en nombre d’emplois. »
Selon le syndicat mixte de Sophia- Antipolis (Symisa), les 2 400 hectares aménagés comptent 1 450 entreprises (dont 40 % en R&D), 31 000 emplois, dont 53 % de cadres, 70 nationalités et 4 500 chercheurs. Directeur, jusqu’en décembre 2012, de l’agence de promotion Team Côte d’Azur, Philippe Stéfanini réfute l’idée d’une stagnation : « Les investissements européens ont fléchi avec la crise, mais 17 % des investissements étrangers sur la Côte d’Azur provenaient, en 2011, de Russie, de Chine, d’Inde, du Brésil… L’écosystème sophipolitain reste porteur. Aux yeux de sociétés étrangères, même le plan social de TI peut apparaître comme une opportunité de s’implanter, puisqu’il libère des équipes entières d’ingénieurs prêts à être recrutés. »
Sophia souffre cependant de handicaps : engorgement quotidien des accès, cherté des logements pour les personnels, transports en commun insuffisants… Des immeubles tertiaires ne correspondent plus aux exigences des entrepreneurs, en quête d’une offre BBC (bâtiment basse consommation). Les réalisations récentes, comme le campus Sophi@ Tech, qui abrite les structures d’enseignement et de recherche Eurecom et Polytech Nice et comptera 3 000 étudiants et 800 chercheurs en 2015, accentuent ce « coup de vieux ». L’émergence dans la plaine du Var, à Nice, de l’opération d’intérêt national Eco-Vallée, fait craindre que les moyens financiers ne se détournent de Sophia.
Dès 2008, le Club des dirigeants pointait ces problématiques. La feuille de route Sophia Vision 2020 doit y pallier. Des projets sont en cours concernant un bus-tram entre Antibes et Sophia pour 2016, de nouvelles voies doivent fluidifier la circulation, un pôle d’échanges est prévu dès 2014 en gare d’Antibes… Parallèlement, la Communauté d’agglomération Sophia-Antipolis (Casa) et le Symisa étudient, avec l’Etat, les priorités, dans Sophia 2030, pour les 60 hectares restant à aménager dans une logique de développement durable.
Protéger l’existant
En quadruplant son effectif (vingt personnes) sur le nouveau Business Pole où la Casa a installé sa pépinière d’entreprises, la CCI Nice-Côte d’Azur se veut au cœur de la redynamisation économique par l’appui à l’export, l’aide à l’innovation et l’optimisation des compétences locales avec la démarche e-DRH (www.edrh06.com). Associant les directeurs de ressources humaines de plus de quarante sociétés azuréennes, cette dernière vise à mutualiser des formations, faciliter les recrutements interentreprises, améliorer l’accueil et l’intégration des talents étrangers et de leurs familles. La CCI l’a complétée, en novembre, par une e-DRH ciblée industrie. « Afin de rester une référence, Sophia doit proposer des dispositifs novateurs offrant aux 90 % de start-up, TPE et PME existantes les moyens de grandir, confie Jean- Pierre Savarino, vice-président de la CCI. Elles ne doivent pas manquer les virages essentiels à leur croissance. Il nous faut aussi soutenir l’essaimage de grands groupes et la valorisation de la recherche. » Le 21 décembre, il signait en ce sens un partenariat avec la SATT Sud-Est (Société d’accélération de transfert de technologies) pour favoriser les passerelles entre recherche publique et entreprises.
Des pistes d’expansion
L’absence de start-up locales lors du forum Same (Sophia-Antipolis Microelectronics) d’octobre 2012 ayant été remarquée, alors que le site ne manque pas de « pépites », le pôle de compétitivité mondial SCS (Solutions communicantes sécurisées, microélectronique, télécoms, logiciels et multimédia) fait de leur développement un axe privilégié pour ses six prochaines années. Des ingénieurs licenciés de TI pourront en profiter. « Un groupe de pré-incubation conseillera les salariés prêts à s’impliquer dans une démarche entrepreneuriale, explique le directeur du pôle, Georges Falessi. Parallèlement, nous nous efforcerons de repérer les fragilités des start-up qui existent, leurs besoins de financement, leurs potentialités inexplorées de marchés, pour les aider à se conforter. »
Dans ce futur en réflexion, le directeur régional de France Télécom-Orange et président de SCS, Laurent Londeix, estime que Sophia et le pôle ont un rôle à jouer pour intégrer, dans les technologies de demain, une dimension « éthique », trop souvent négligée. La pérennisation de Sophia- Antipolis passera également par la capacité des dirigeants de PME à « travailler pour le collectif », à l’image des « anciens » à l’origine de Same, Telecom Valley, des plates-formes mutualisées de R&D du Centre intégré de microélectronique (CIM) Paca ou du pôle SCS. Les complémentarités à instaurer avec Eco-Vallée dans les réseaux intelligents et les écotechnologies, la transformation du territoire, avec le support des pouvoirs publics, en show room géant de technologies nées localement ouvrent d’autres perspectives. « Sophia a toujours su muter. C’est sa force », affirme, confiant, Gérard Giraudon.
Cet article est extrait du N°2 d’Alliancy, le mag. Découvrez le sommaire de ce numéro