L’entrepreneur Bernard Gilly a créé en 2011 iBionext afin de répondre à des besoins médicaux non satisfaits. L’accélérateur réunit dans un même lieu, le Passage de l’Innovation (XIIe), de jeunes entreprises innovantes. La société investit ce mois-ci en faveur des recherches de Brain Ever pour stopper la neurodégénérescence.
Alliancy. Comment est né le projet d’iBionext ?
Bernard Gilly. Quand nous avons commencé à réfléchir à la création d’iBionext, nous voulions travailler sur des innovations de rupture, c’est-à-dire sur des projets changeant la vie des patients. Nous voulions également modifier le système, entièrement détenu par l’industrie pharmaceutique et dans lequel on ne demandait rien au patient, qui est pourtant le consommateur final. Dans les années 2000, le secteur a connu une transformation sans précédent : les solutions mobiles sont arrivées et les patients ont repris en main leur santé. Ils se sont mis à chercher des informations sur internet et à utiliser des applications pour contrôler leurs données médicales.
Sur quelles missions investissez-vous en priorité ?
Bernard Gilly. En raison de nos modes de vie et du vieillissement de la population, de plus en plus de personnes sont touchées par des maladies chroniques, qui représentent 75% des dépenses du système de santé. Nous travaillons donc sur ces questions. À chaque fois, nous nous posons une question sur ce qui pourrait révolutionner la vie des patients et nous construisons tout pour y répondre. Nous nous sommes demandé s’il était possible de redonner des fonctions à des tétraplégiques. Nous avons alors cherché les technologies existantes, les chercheurs en pointe travaillant sur ces questions, ce qu’on pourrait faire… Une fois que nous sommes convaincus que le projet est réalisable, nous créons l’entreprise dédiée. Ainsi, Brainsense s’attache depuis dix-huit mois à transmettre l’intention du nerf à la puce. Autre exemple, Pixium Vision a réalisé une rétine artificielle dans l’objectif de rendre la vue aux personnes et planche actuellement sur une solution pouvant prédire l’évolution de l’état du patient.
Quel est la place du médecin dans ce dispositif ?
Bernard Gilly. Nous voulons nous positionner sur un changement de paradigme : nos solutions analysent l’état du patient et le transmets au médecin pour que cela soit à lui de dire quand une consultation doit avoir lieu, et non plus au patient de consulter quand c’est trop tard. Nous voulons modifier le processus de suivi du patient. Ces solutions auront un impact considérable sur les malades chroniques car elles permettent de faire de la prévention. Aujourd’hui à iBionext, nous sommes près de 150 personnes à y travailler. Nous regroupons à présent neuf sociétés, dont deux cotées en bourse.
Sur quels autres projets travaillez-vous en ce moment ?
Bernard Gilly. Nous avons une demi-douzaine de projets en cours. ChronoLife entend développer cette approche de prévention avec l’insuffisance cardiaque. Au lieu de suivre une donnée précise, comme l’électrocardiogramme, l’application fait une analyse multiparamétrique en définissant une surface vectorielle avec un algorithme neuromorphique et lance une alerte quand l’un des paramètres varie anormalement par rapport aux autres. ChronoLife suit H24 les patients grâce à un tee-shirt connecté qui contient un capteur alimentant le logiciel par Bluetooth. Le tee-shirt est en cours de production, les essais cliniques viendront ensuite. Nous sommes par ailleurs en train de réfléchir à une électrode pour détecter à l’avance les césures dans les cas d’épilepsie et nous sommes en cours de levée de fonds pour BrainEver, qui cherche à stopper la neurodégénérescence. Dans le domaine des jeux thérapeutiques, nous développons des programmes sur smarthphone en visant la neurologie, l’ophtalmologie et la psychiatrie. Les solutions existantes sur le marché ont une faible expertise clinique, nous pensons au contraire avoir un avantage compétitif et pouvoir commercialiser notre produit début 2018.
Profitez-vous de l’émulation autour de la French Tech ?
Bernard Gilly. Les initiatives en santé sont une bonne chose. Le problème, c’est que les projets de la French Tech se reposent sur le crownfunding, ce qui n’est pas suffisant en santé. Le secteur a besoin de financements plus importants et en France, nous n’avons pas d’investisseurs de croissance en santé. C’est dommage car, du fait de la réglementation, les sociétés en santé restent en France au lieu de se délocaliser. C’est la raison pour laquelle j’ai fondé le fonds iBionext Growth Fund. Cela permet à iBionext d’être présent autour d’une société porteuse d’un projet, du démarrage à la croissance.
Comment percevez-vous l’apport du big data en santé ?
Bernard Gilly. Aujourd’hui, il y a des milliards de tera de données et la santé est soumise à la mode du big data. Mais la seule utilisation qu’il en est fait est la réponse statistique, comme ce que peut faire Watson. Lorsqu’on lui pose une question, le logiciel détermine qu’elle serait la cause la plus probable. Mais c’est consommateur en puissance de calcul donc ce n’est pas satisfaisant. Concernant le cloud, il faut arriver à recevoir les données transmises par les applications de santé. Tout le monde n’est pas couvert par le wifi, le temps de recevoir les informations, ça peut être long…
Quelle technologie vous semble la plus prometteuse ?
Bernard Gilly. L’intelligence artificielle va avoir un impact considérable en radiologie. Les médecins lisent toujours eux-mêmes l’imagerie médicale mais l’IA permettrait de reconstituer la structure en 3D et de mieux repérer les anomalies. Elle serait imparable car elle analyser les résultats pixel par pixel alors que les humains peuvent faire des erreurs. Le problème, c’est qu’il faudrait adapter la technologie aux machines existantes, c’est peut-être pour cette raison que l’IA n’est toujours pas déployée dans ce domaine alors qu’elle a un vrai rôle à y jouer.
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