Lutte contre les fraudes à l’assurance maladie, personnalisation de l’offre de soins, amélioration de la productivité de l’industrie pharmaceutique… les big data permettent à l’industrie de la santé américaine d’économiser des millions de dollars…
Il compose son équipe de bloc opératoire comme on constitue une équipe de foot ! Les analyses mises en place depuis deux ans au Geisinger Health System, un groupement américain de quarante-quatre cliniques, ont révolutionné l’organisation du service neurochirurgie-oncologie du professeur Nicholas Marko. « Nous avons analysé les compositions des équipes médicales entrant au bloc (chirurgien, infirmier, anesthésiste…) et avons gagné en efficacité tout en améliorant le temps d’opération jusqu’à 17 % », explique-t-il. Ces « associations » ont été analysées au regard de différents critères : rapidité, expérience de l’équipe chirurgicale, taux de non-réadmission du patient après opération, complexité de l’intervention… « Nos opérations durent en moyenne 250 minutes. Gagner 17 %, cela représente 42 minutes qui peuvent être occupées au bénéfice d’autres patients », poursuit le chirurgien, qui a présenté ces résultats, fin octobre, à Dallas (États-Unis) lors de la convention annuelle de Teradata, spécialiste des big data.
Le service du professeur Marko a tiré ces conclusions deux ans après la mise en place d’un outil d’analyse fine des données au sein du groupement, qui traite 2,6 millions de patients par an. Avant que le secteur de la santé ne s’intéresse aux big data, ce sont les banques et les compagnies d’assurances – qui manipulent des milliards de données pour le compte de millions de clients en l’espace d’une journée – qui ont montré la voie. Mais la réforme de santé du système américain, voulue par le président Barack Obama, pousse aujourd’hui les hôpitaux à se préoccuper des big data.
Cette réforme prévoit que, dès le 1er janvier prochain, les 25 % d’hôpitaux les moins efficaces en termes de réadmission des patients seront moins remboursés par l’assurance maladie américaine. « C’est un outil qui nous aide à repérer, en temps réel, les disciplines ou les types de patients sur lesquels nous devons nous montrer plus vigilants et faire davantage de prévention », avance Eric Ries, l’analyste-programmeur d’Aurora Health Care, un réseau d’hôpitaux dans le Wisconsin et l’Illinois au sein desquels exercent quelque 1 400 médecins et chirurgiens salariés. Le gisement d’économie à réaliser, pour les seuls États-Unis, est immense et semble presque irréel : entre 300 et 450 milliards de dollars (220 à 330 milliards d’euros), selon le cabinet McKinsey. Son rapport prend en compte : l’amélioration de l’hygiène de vie ; une meilleure coordination des soins ; une amélioration des techniques ; une numérisation des tâches administratives ; et un gain de productivité dans la R&D. « Nous avons encore beaucoup à apprendre et les big data vont constituer une véritable aide, par exemple dans l’appréhension de l’efficacité des traitements contre le cancer et les indicateurs de risque de récidive sur des couches de populations précises », avancent les auteurs de l’étude.
Alors que la France craint que les big data n’assurent plus l’anonymat du dossier médical, Teradata vient tout juste de créer un pôle santé dans l’Hexagone. Sa cible première : « Les grands laboratoires comme Sanofi, Servier ou Pierre Fabre », explique son responsable Patrice Bouëxel. Dans un secteur où la R&D engloutit des dizaines de millions d’euros dans le développement de molécules qui ne verront peut-être jamais le jour sous la forme de cachets, il est capital pour ces laboratoires d’évaluer au plus vite, lors des phases cliniques, si la molécule sur laquelle les chercheurs travaillent aboutira à la création d’un médicament. « Grâce aux outils que nous avons mis en place dans notre Data Lab, les analystes peuvent recentrer très vite leurs priorités de travail, explique Brad Donovan, responsable de l’innovation analytique chez GlaxoSmithKline (GSK), cinquième rang mondial des laboratoires pharmaceutiques, présent à Dallas. Ils permettent l’exploration rapide des hypothèses d’assemblage de molécules avec une assistance informatique minimale. Ce sont des millions qui sont économisés par l’entreprise, mais également beaucoup d’énergie pour les équipes. » Ainsi, d’un processus de calculs allant de six à dix mois, GSK affiche désormais un objectif à deux mois et demi ! Des cycles d’analyses de 130 heures sont ainsi réduits à 5 heures seulement. « Une fois en vente, l’efficacité des médicaments pourrait également être suivie par les labos. On peut imaginer des croisements de données entre les données des labos et des assureurs avec les données de leurs clients, anonymisées ou non en fonction de la législation », avance le représentant d’une Big Pharma française.
Les réseaux sociaux mis à contribution
Autre secteur de la santé concerné : l’assurance maladie qui voit dans les big data une aide à la lutte contre les fraudes. Ainsi, en Italie, le croisement automatique des données de l’assurance maladie avec celles disponibles en libre accès sur les réseaux sociaux permet à l’INPS, la sécurité sociale transalpine, la traque aux fraudeurs. L’INPS identifie les arrêts maladie susceptibles d’être frauduleux par leur date – mercredi, veille de vacances scolaires – ou leur récurrence pour un groupe d’individus, et les croise, par exemple, avec leur statut Facebook, si ceux-ci sont ouverts au public. Un statut décrivant un après-midi shopping couplé à un arrêt maladie… et l’administration italienne tombe sur le fraudeur ! Selon David Wiggin, responsable mondial santé pour Teradata, « pour le client, le retour sur investissement dans nos équipements est d’environ 1 pour 10 ».
À ce jour, l’assurance maladie française n’a pas lancé d’appel d’offres auprès de sociétés telles qu’Oracle, HP, IBM ou Teradata afin de développer une solution semblable… « Il y a des freins psychologiques », analyse Reda Gomery, responsable des opérations de business intelligence au sein de la société de conseil Keyrus, qui compte notamment l’AP-HP parmi ses clients. « Le risque, c’est l’usage qui peut être fait de ces analyses, prévient le professeur Marko. Imaginez qu’une activité plombe les statistiques de l’hôpital… Sa direction pourrait être tentée de ne plus prendre en charge les patients souffrant de cette pathologie. » L’usage de ce type de données liées à la santé peut, à l’inverse, servir une cause plus noble : la personnalisation du soin. « Pour les patients suivis ayant sauté une consultation, nous les appelons ou leur envoyons un SMS, jusqu’à ce qu’ils reprennent un nouveau rendez-vous, affirme Mike Berger, chargé des analyses de données chez Geisinger Health System. Ces visites préventives évitent les complications. C’est à la fois bénéfique pour le patient, les statistiques de l’hôpital et les assureurs. »
Trois questions à… Mouloud Dey Dans le couplage big data et santé, la France est-elle en retard par rapport aux autres pays ? Où se situent les gisements d’économies pour ce marché ? L’avenir des big data santé passe-t-il par les réseaux sociaux ? |
Cet article est extrait du n°6 d’Alliancy, le mag – Découvrir l’intégralité du magazine
Photos : Teradata – Nicolas Cardona
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