Ces derniers mois, le marché du Big Data s’est montré ultra-dynamique. Le gouvernement, qui vise à la reconquête industrielle de la France, veut en faire une véritable filière. Explications par les deux auteurs d’un rapport sur le sujet.
L’histoire de Cloudera, une jeune pousse californienne née en 2008, faisait l’objet de nombreux commentaires dans les allées du dernier salon Big Data, qui s’est tenu au Cnit-La Défense cette semaine. Réputé pour son expertise d’Hadoop, ce spécialiste américain de l’analyse et de la gestion de données annonçait l’entrée d’Intel dans son capital à hauteur de 18 % (pour 740 millions de dollars). Il avait levé, deux semaines auparavant, pas moins de 160 millions… Soit un tour de table de 900 millions de dollars bouclé en quelques semaines !
Pour l’occasion, la société rappelait que Gartner estime le marché des infrastructures de gestion des données à 74 milliards de dollars en 2014 (94 milliards en 2017). Quand, de son côté, IDC, un autre cabinet d’études, estime que le volume de données dans le monde devrait être multiplié par 50 entre 2010 et 2020.
» Le Big Data est un sujet stratégique pour les entreprises, qui concerne en priorité leur conseil d’administration. Ceux qui ne le comprennent pas seront transformés en sous-traitants, ou, au pire, perdront « , explique François Bourdoncle, co-fondateur d’Exalead et directeur technique des solutions Exalead chez Dassault Systèmes. » La guerre économique que nous vivons aujourd’hui est de savoir » capter les usages » pour mieux servir ses clients… » Les géants américains l’ont bien compris « , poursuit-il. La relation client couplée à l’analyse de données, permet, par exemple, à Amazon de proposer des offres en marge de vos achats dès que vous allez sur leur site… ou encore à Booking.com de faire passer les frais de commercialisation de chambres d’hôtels de 10 à 23 %…
Mais, le Big Data, c’est aussi la prochaine révolution industrielle : » La chaîne de valeur s’est transformée, allant de la fabrication de l’objet à son fonctionnement « , analyse François Bourdoncle, citant en exemple, dans le secteur de l’automobile, le succès d’Autolib…
« Le Big Data est fondamental pour la société française et son économie. L’Etat peut et doit encourager la mise en réseau, soutenir la formation et l’innovation. » |
Dans l’aéronautique également, les constructeurs travaillent sur la maintenance prédictive des réacteurs d’avions, nourrie de données exploitées via le Big Data. De même, on voit un secteur comme l’assurance, bousculé par les convoitises d’un Google qui saurait mieux » profiler » les clients que les principaux intéressés… Selon Paul Hermelin, PDG de CapGemini : » Non seulement, le Big Data est en marche. Mais il prend de la vitesse. » L’on parle désormais de servicisation des industries, manufacturières ou de services. Ce que François Bourdoncle nomme tout simplement : » La servicisation du monde ! « .
Ensemble, ces deux spécialistes viennent d’achever leur rapport sur le Big Data qu’ils remettront ces jours-ci au gouvernement. C’est l’un des 34 plans de la France Industrielle, initiative lancée à l’automne dernier par Arnaud Montebourg, alors ministre du Redressement productif. » Si les grands groupes n’ont plus besoin d’être convaincus de la démarche, il faut encore persuader les principaux acteurs publics de bouger, comme le tissu de PME-PMI « , expliquent-ils. Pôle Emploi verrait déjà la nécessité d’utiliser le Big Data au service de la recherche d’emploi et du chercheur d’emploi… Tant mieux ! » Les services publics doivent s’affirmer comme pilotes « , estiment-ils.
L’aspect éco-systémique
Les grands groupes, qui doivent bouger (et vite !) dans ce secteur, ont encore trop peur de l’innovation ouverte. » Pour autant, c’est un vrai sujet de compétitivité pour eux, poursuit François Bourdoncle. Il leur faut (ré)inventer une relation client, tout en captant des données sur les usages… Pour mieux y parvenir, ils doivent s’allier aux start-up, les faire grandir… afin de développer tout un écosystème pertinent. «
Innover dans le monde de la donnée La législation autorise actuellement l’exploitation des données uniquement lorsqu’une finalité est identifiée. » Ce qui est l’inverse du principe même du Big Data « , estime François Bourdoncle. Aussi, dans leur rapport avec Paul Hermelin, ils préconisent la mise en place de normes d’exploitation (par filière), qui indiqueraient ce qui est autorisé ou pas. Un travail a ainsi été réalisé conjointement avec la Cnil. » Par exemple, dans le domaine de la voiture connectée, on pourrait analyser votre façon de conduire ou votre vitesse moyenne, mais pas votre vitesse instantanée, ni vos trajets… Pour les assureurs » as you drive « , on pourrait avoir deux ou trois process décrits… » Cette normalisation d’un certain nombre de processus d’utilisation des données permettrait ensuite d’avoir des certificateurs. » Les usages des données seront extrêmement variées, mais le business ne se développera que s’il y a de la confiance. C’est pourquoi il faut faire évoluer la jurisprudence de la loi Informatique et Libertés. Les processus certifiés nous semblent une voie très intéressante « , conclut-il. Ces normes, éthiques et conformes à la Loi, pourraient ensuite être utilisées par les industriels, en France comme à l’international. |
Pour faciliter cette mise en relation des » modernes » et des » anciens « , les auteurs du rapport recommandent la création d’un Centre de Ressources technologiques, en vue de faciliter l’accès des jeunes pousses aux données brutes des grands groupes (SNCF, Orange, EdF, Veolia, Carrefour…). Ceci se ferait en toute confidentialité. Rien à voir avec l’Open Data, où les données mises à disposition ont déjà subies un premier traitement. Outre l’accès encadré à des données sensibles, ce centre les aiderait à prendre en mains les nouveaux outils informatiques et offrirait les infrastructures de calcul indispensables… en plus de faciliter l’accès aux talents et de permettre des expérimentations. Une structure qui nécessiterait un investissement d’environ 10 millions d’euros.
» La question est aujourd’hui de prendre la marge… et de ne pas devenir simple sous-traitant. La chaîne de valeur se déplace vers l’aval, vers l’IT, vers la captation des données et leur traitement « , insiste François Bourdoncle. Et cela ne s’arrêtera plus ! » Le Big Data est fondamental pour la société française et son économie. L’Etat peut et doit encourager la mise en réseau, soutenir la formation et l’innovation « , estime-t-il. Des fonds d’amorçage ou des accélérateurs spécialisés pourraient également être créés à l’initiative de l’Etat
(via Bpifrance) ou d’industriels dans des domaines aussi variés que l’assurance, les télécoms, la grande distribution, le marketing et la santé…
La formation, nerf de la guerre
Enfin, il faut former des » Data Scientists « , pour éviter que la pénurie ne freine le développement d’un tel marché. Il ne s’agit surtout pas de statisticiens, mais bien d’ingénieurs capables de s’interroger sur des corrélations possibles… Leurs compétences ? Savoir collecter les données, les analyser et enfin, décider ! De nouvelles formations voient le jour : HEC dispense des cours, l’Ensae et l’Ensai créent une filière dédiée et Télécom ParisTech lance son master spécialisé. De même, fin 2013, l’Essec ouvrait sa nouvelle chaire » Accenture Strategic Business Analytics « , en partenariat avec le cabinet de conseil Accenture. Un master spécialisé devrait suivre.
Plutôt que de construire une centrale à gaz pour répondre aux pics de demande électrique correspondants aux périodes touristiques, Malte a privilégié une gestion plus fine de la demande, via le Big Data… En 2009, les compagnies d’électricité et d’eau de l’île, Enemalta Corporation et Water Services Corporation (WSC), ont ainsi confié à l’américain IBM, la mise en place d’un réseau intelligent d’eau et d’électricité pour ses 400 000 habitants. Grâce aux 250 000 compteurs d’eau et d’électricité intelligents et leur plate-forme de pilotage installés par le géant américain, à l’aide de son sous-traitant Ondeo Systems (*) pour la télé-relève, l’île a pu moderniser ses réseaux. Un test grandeur nature et une vitrine pour un groupe qui se positionne clairement sur ce créneau, également convoité par bien d’autres géants des NTIC… Nous sommes loin ici de leur métier historique ! * Filiale commune Suez Environnement et Lyonnaise des Eaux. |
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