Biogaran, laboratoire de médicaments génériques, est un acteur majeur de l’industrie pharmaceutique française. Depuis 2019, sa transformation numérique s’appuie sur une digital factory aux caractéristiques particulières. Franck Pollonghini, qui dirige cette entité, décrit ses priorités et les partis pris de l’entreprise, qui tranchent avec ceux d’autres directions de systèmes d’information françaises.
Quelle était votre mission quand vous avez rejoint Biogaran ?
J’ai intégré la DSI de Biogaran en 2019 pour créer la digital factory de l’entreprise. L’idée était de dépasser le travail avec des prestataires au cas par cas, pour développer une véritable approche cohérente de centres de services et gagner en flexibilité. Ce sont donc trois centres que j’ai mis en place depuis, pour couvrir trois thématiques : le web, la digitalisation des processus/digital workplace et le RPA. Le pilier « web » correspond à notre offre à destination du grand public, mais aussi à la transformation de l’intranet utilisé pour les formations de nos clients. Biogaran Pro est en effet un vecteur privilégié de communication avec eux, alors que ces formations sont au cœur de notre modèle d’affaires. Le but était donc de monter une expérience 360 multicanal pour faciliter les échanges et améliorer nettement leur expérience.
L’enjeu majeur de notre pilier de digitalisation des processus était de sortir rapidement de l’utilisation des fichiers Excel, que tout le monde utilisait abondamment. C’était un moyen de sécuriser des processus clés pour l’entreprise. Pour y parvenir, nous avons adopté une stratégie low-code, en nous adressant à toute l’entreprise, que ce soit les affaires pharmaceutiques, les RH, les services généraux… Nous avons mis en place une capacité à créer de nombreuses petites applications pour faire gagner du temps au métier et sécuriser leurs usages. J’ai eu très tôt la conviction qu’il fallait réaliser un « shift » important alors que nos outils de l’époque n’étaient pas forcément bien intégrés au système d’information dans son ensemble. Ce qui ne manquait pas de poser beaucoup de questions, notamment en termes de sécurité. La digital factory a donc permis de canaliser un mouvement de professionnalisation et d’harmonisation.
Quels sont les moyens qu’il est nécessaire de consacrer à un tel projet ?
Pour répondre à cette question, je dois revenir sur la nature de notre organisation IT. La DSI de Biogaran est adossée à celle de Servier, dont nous sommes une filiale. Celle-ci nous fournit nos principaux moyens sur la partie réseau et l’hébergement notamment, mais de moins en moins sur les briques applicatives, car nous ne faisons pas les mêmes métiers. Il nous fallait gagner en autonomie sur cette partie applicative, ce qui pouvait coïncider avec le fait de réaliser notre move-to-cloud. De plus, l’ADN de Biogaran est de s’appuyer sur l’externalisation, que ce soit pour ses forces commerciales ou ses équipes IT. Ceci explique que malgré un chiffre d’affaires d’un milliard d’euros, nous ne sommes que 17 en interne à la DSI, dont trois personnes pour la digital factory. Nous gérons en fait une externalisation des compétences assumées à travers notre approche de centres de services, plutôt que de seulement prendre des partenaires en régie. Le principal avantage de ce parti pris est de nous offrir des possibilités rapides de changement de socles technologiques. Sur le low code par exemple, nous n’avons pas eu besoin de former en interne à la DSI, avant de prendre un tournant ambitieux… Notre objectif n’est en effet pas de faire grandir les effectifs IT de l’entreprise. La valeur ajoutée de notre équipe interne est plutôt d’être en contact direct avec les métiers, d’entretenir une proximité et une forte compréhension de la valeur et des besoins métiers, tout en garantissant la qualité du socle technique.
Comment les métiers ont-ils vécu la transformation menée depuis 2019 ?
Avec ce genre de transformation, la confiance doit se gagner. En ce sens, la manière dont j’ai construit la digital factory avait pour but de fournir de la lisibilité au métier : montrer ce que cela pouvait leur apporter, ne pas se cacher derrière la technique et l’IT. Il faut au quotidien beaucoup de relation humaine et donner des preuves de confiance. Nous avons cherché à démontrer au plus vite la pertinence de ce qui était mis en place grâce aux centres de services. Cela permet de se concentrer sur les vrais « game changers ». Le point particulièrement apprécié est d’être capable de délivrer des réponses aux besoins rapidement avec une qualité de haut niveau.
Pour y parvenir, je travaille avec des centres qui font entre 50 et 250 personnes, afin d’être capable de garder une proximité avec eux aussi. Bien évidemment, l’expertise technique est indispensable. En la matière, je pense que prendre des spécialistes, presque des « pure players », est préférable. C’est assez personnel comme recette, mais je suis content des résultats, avec en toile de fond des techs qui savent parler au métier. C’est particulièrement important, car je ne serai pas personnellement présent dans toutes les réunions entre les métiers et les centres de services ! Il faut donc pouvoir avoir confiance dans la qualité de cette relation et la capacité des développeurs d’être excellents à ce niveau. Je ne veux pas des geeks qui ne décrochent pas un mot face aux métiers.
En parallèle, la DSI de Biogaran a mené son move-to-cloud. Quels en ont été les principaux enjeux ?
Notre DSI s’est effectivement lancée dans une stratégie plateforme, avec un move to cloud qui s’est basé sur trois briques : Salesforce, SAP et Google Cloud Platform pour le socle data. Nous travaillons actuellement aussi sur un quatrième pilier spécifiquement pour les affaires pharmaceutiques. L’idée était bien de prendre appui sur les innovations apportées par ces différents acteurs du marché, pour se concentrer sur la valeur et faire le moins possible de tuyau au sein de la DSI. On veut monter dans l’échelle de valeur, même si on garantit le socle habituel. C’était impossible il y a 10 ans par rapport à ce que proposait le marché.
Mais au-delà de ces plateformes, ce mouvement m’a surtout confirmé dans ma conviction qu’il fallait que l’on ajoute la brique supplémentaire du low code dans l’équation. L’intégration d’un acteur comme Outsystems a permis de s’occuper de cette partie plus transversale et de s’aligner sur ces plateformes déjà mises en place. À dessein, je ne suis pas parti sur une approche « no-code », car elle ne me paraissait pas répondre aux prérequis de notre DSI notamment en termes de sécurité. Même si le no-code peut permettre de faire théoriquement beaucoup, je voulais que l’on puisse beaucoup plus maîtriser la technologie. Un critère de choix très clair pour moi, c’est la sécurité. Quand j’ai vu qu’Outsystems créait des applications pour les militaires, cela m’a donc rassuré. Les autres critères sont la capacité d’intégration dans le système d’information, la transparence, et la maintenabilité, pour éviter la création de complexité dans le SI. Enfin, sur la partie fonctionnelle, le game changer était la capacité de créer une application et une page web en un seul clic pour adresser des populations très différentes, avec la même expérience sans effort particulier, assortie d’une capacité à créer des interfaces graphiques « pixel perfect » sans défaut en termes de design pour l’utilisateur.
Après cette transformation, quelles sont vos priorités 2025 ?
Quand on a commencé le développement sur la plateforme, j’avais pour objectif de prouver qu’elle répondait vite au besoin en créant des petites applications pour se faire la main avant de monter en compétence. Mais depuis l’automne 2024, nous avons pu travailler sur la refonte complète de notre application à destination de nos commerciaux. Ce sont 150 personnes à qui on fournit des iPad et qui vont sur le terrain voir nos clients : la réussite de ce projet est clé, car c’est une grande partie de notre interface avec les clients qui est en jeu. Nous avons pu avancer rapidement ! Cela a été une vraie surprise pour les équipes métiers d’avoir des premières ébauches en quelques jours : cela permet de diffuser un tout autre état d’esprit. Avec ce projet, nous montrons que notre approche est compatible avec l’enjeu d’une application stratégique qui devient le bras armé de notre CRM.
Le deuxième sujet actuel, c’est évidemment l’IA générative. De manière globale au sein de la DSI, nous nous en sommes emparés en 2024. Nous avons commencé à faire monter en compétence les salariés. Au-delà de cet aspect acculturation s’ajoute un côté outillage très important. On est là sur du « high-code » et nos expérimentations fonctionnent très bien. Mon objectif en 2025 est d’intégrer l’IA générative au niveau low code également. Un premier proof of concept a été concluant avec Outsystems il y a quinze jours, nous allons maintenant passer à l’échelle pour étoffer l’offre de services.
Pour quels cas d’usages ?
Les cas d’usages les plus simples et sur lesquels il est possible d’avancer vite sont ceux sur lesquels nous n’avons pas d’enjeux critiques au niveau des données : commerce, CRM… L’idée est de s’appuyer sur ce qui existe sur le marché alors que les éditeurs font un mouvement massif vers l’IA générative. Toutefois, nous avons bien conscience que c’est assez peu différenciant, car tout le monde peut le faire depuis 18 mois environ.
Mais maintenant que nous avons plus d’expérience, nous passons à des sujets plus spécialisés : la supply chain par exemple, mais aussi bientôt les affaires pharmaceutiques… Cela va faire de bien plus grandes différences vis-à-vis de la concurrence. Et il nous faut être prêts à nous appuyer sur toutes les briques, qu’elles soient high code ou low code.
Dans ce contexte, un dernier point qui m’importe énormément pour les mois à venir, c’est le fait de parvenir à construire une relation de confiance avec les éditeurs, pour nous permettre de les challenger. Je trouve très important de réussir à monter des partenariats sur l’innovation, pour tester en avance de phase des sujets encore jeunes chez eux. Des cas d’usages, nous en avons plein potentiellement : notre ADN avec la digital factory est d’expérimenter et d’aller chercher ce « cran plus loin » qui fera la différence, en travaillant avec les bons acteurs.
Biogaran en chiffres
- Effectif : 240 collaborateurs
- Chiffre d’affaires 2024 : 1 002 M€
- Part de marché : 32 % du marché français des génériques
- Nombre de références : Environ 900 médicaments génériques commercialisés en France