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Entre biologie et numérique, quel avenir pour le marché du biohacking ?

Entre biologie et numérique quel avenir pour le marché du biohacking

Réputé sulfureux, le marché du biohacking naissant devrait croître de 20% de moyenne par an. Financé notamment par les milliardaires de la Silicon Valley, il renferme des acteurs très disparates et l’heure est aux innovations tous azimuts.

« Biohacking », que de fantasmes circulent en ton nom ! Tant de de vérités et de contre-vérités, de vices et de vertus lui sont alloués. Vivre mieux ou plus longtemps en bonne santé, les objectifs avoués du biohacking ne peuvent recueillir que l’unanimité, mais la manière d’y arriver pose question pour certains. Sans relancer l’éternel débat éthique, force est de constater que les particularités de ce marché, ses tendances et sa transformation sont du premier intérêt pour imaginer l’avenir.

Premier constat : le marché du biohacking est morcelé et adepte des grands écarts. Entre les solutions de jeûnes ou de prise de complément alimentaires, et la thérapie génique ou le projet de Neuralink d’Elon Musk de fusionner notre cerveau avec l’IA par l’intermédiaire de puces connectées, le seul point commun est sans doute un leitmotiv : optimiser le potentiel humain. Car si les exploits du docteur Josiah Zayner, apparu dans la série Netflix The Unlimited Selection sur le génie génétique, et son entreprise The Odin, peuvent heurter certains esprits sensibles, la voix prise par Georges Kuzma dans le XVIème arrondissement de Paris est plus à la portée de tout un chacun.

Résistance adaptative

Sur trois niveaux, son R15 studio propose des machines (très chères) qui permettent, par exemple, de se renforcer sans risquer la moindre blessure et en moins de temps que celui passé à la salle. Comment cela ? Grâce à la résistance adaptative. Sans elle, si vous voulez vous muscler, vous devez utiliser des machines où vous rajoutez des poids. Par exemple, vous soulevez 100 kilogrammes au développé couché et vous tentez d’ajouter dix kilos, pour atteindre 110 kilos, avec à la clé des risques de blessures bien documentés. Avec la résistance adaptative, rien de cela, la machine vous propose une résistance proportionnelle à la force que vous exercez, ni plus, ni moins. SI vous forcez et relâchez d’un coup, vous ne risquez rien, car la machine s’adapte à votre poussée et ne résiste plus si vous lâchez la pression de votre force. Le R15 studio propose aussi des séances d’oxygénations des tissus, de photobiomodulation (stimulation de l’énergie mitochondriale) avec de la lumière infrarouge ou de pressothérapie pour améliorer la circulation sanguine.

Nous sommes donc très loin des « kits Crispr » qui permettent de modifier son ADN à sa convenance, comme le propose The Odin. Dans le monde du biohacking, les technologies utilisées sont très différentes : numériques, chimiques, mécaniques… Elles bénéficient du même effet marketing, mais, surtout, essayent d’innover sur l’accès à de nouvelles données et informations.

Biohacking et biotracking

Ainsi, Denys Coester, médecin anesthésiste-réanimateur, directeur de l’Institut français du biohacking et auteur du « Manuel de démarrage du biohacker », insiste sur l’importance du « biotracking », car si vous voulez hacker votre corps, vous devrez le traquer. Pour bien faire, toute tentative d’amélioration de sa condition physique et de sa santé débute par l’examen de ses constantes physiologiques. Au R 15 Studio, Georges Kozma nous montre les nombreuses courbes qui définissent chacun de nos êtres, fréquence cardiaque, oxygénation des cellules, circulation sanguine… Toute démarche de biohacking se veut rationnelle. Vous savez de quelles constantes vous partez, vous savez où vous voulez aller, vous devez procéder par étape. Ajoutez un item à la fois pour pouvoir estimer son effet et ainsi de suite, progressez vers une vie qui se veut plus saine dans un corps plus fort.

La tête est aussi importante. Sanna Koskela, CEO de l’entreprise finlandaise Nuanic, ne dit pas autre chose, elle dont l’entreprise essaie d’évaluer la santé mentale : « Les gens ont déjà appris à surveiller leur forme physique et leur sommeil, mais ils s’intéressent de plus en plus au bien-être mental. Les statistiques indiquent qu’il n’existe pas encore de solutions suffisamment efficaces pour soutenir la santé mentale, c’est pourquoi le marché est mûr pour de nouvelles innovations. Outre les consommateurs, les entreprises et les prestataires de soins de santé sont également à la recherche de solutions pour lutter contre le stress et les problèmes de santé mentale ».

Les 6P du biohacking

S’il faut trouver un point commun à toutes ces disciplines naissantes, nous pouvons nous inspirer du concept 6P de Denys Coester pour qui le biohacking est « participatif, prédictif, préventif, personnalisé, positif et prouvé ». Sanna Koskela confirme en partie : « Chez Nuanic, nous pensons que l’objectif de la technologie n’est pas de priver les individus de leur pouvoir de décision et de les rendre passifs, mais de leur rendre leur autonomie. Nous pensons qu’à l’avenir, les clients de Nuanic utiliseront de plus en plus leurs propres données dans le cadre des services qu’ils utilisent, ce qui leur permettra d’évaluer quels services ont un impact positif sur leur bien-être. Par exemple, quelle application de méditation convient le mieux à leur système nerveux, quel est le temps d’écran optimal et comment les différents types de contenus médiatiques les affectent. »

20% de croissance par an

Les acteurs se multiplient et les appétits sont aiguisés car le marché est potentiellement colossal. Selon une étude de Data Bridge Market Reserach, il va croître de 20 % par an jusqu’en 2028. D’autres études de ce genre observent aussi cette tendance très dynamique. « Nous avons accès aujourd’hui à une technologie accessible telle que les montres connectées qui envoient par exemple une alerte lorsqu’elle détecte une anomalie cardiaque, y compris pour ceux vivant avec un défibrillateur automatique qui non seulement trace le problème mais aussi soigne en appliquant un choc. Je veux bien avoir une montre connectée qui fait l’analyse de ma glycémie, de mon taux de sodium ou de mes vitamines mais je veux qu’elle me permette aussi de remédier à mes manques, par exemple en me soumettant de la vitamine B1 », soutient Denys Coester.

Pour continuer à se développer malgré les inquiétudes sur la vie privée, voire le transhumanisme, le biohacking devra se montrer rigoureusement scientifique. « Le marché exigera de plus en plus une validation scientifique forte. Les solutions doivent être fondées sur la science, les mesures doivent être précises, l’interprétation des données doit être simple et les données doivent améliorer la compréhension des utilisateurs afin qu’ils puissent faire des choix éclairés concernant leur bien-être. En outre, les politiques relatives aux données personnelles joueront un rôle crucial, car les consommateurs sont de plus en plus conscients de l’importance de leurs données. Ils doivent savoir où leurs données sont stockées, qui y a accès et comment elles sont utilisées », prophétise Sanna Koskela. 

Le marché devra aussi s’assainir car les vendeurs de rêves flairent l’aubaine du marché de la longévité. Les transhumanistes ne disent d’ailleurs pas autre chose, comme Ray Kurzweil qui a annoncé que l’homme qui vivra mille ans est déjà né. Si c’est le cas, sera-t-il un humain lambda… ou plutôt un milliardaire ? La plupart des fonds investis dans ce marché du biohacking provienne aujourd’hui de milliardaires de la Silicon Valley qui espèrent vivre plus longtemps. Serons-nous invités à la fête ? Le biohacking se démocratisera-t-il vraiment ?

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