Cet article a été publié originellement sur mydatacompany.fr
La blockchain, tout le monde en parle, mais bien peu l’ont fait réellement. Cette technologie promet de révolutionner l’échange de données au sein d’un écosystème. Sa complexité rebute cependant. Aide à la conduite de la phase d’exploration d’un tel projet et illustration dans l’automobile.
Et si la blockchain était la solution idéale pour échanger des données avec des partenaires dans une logique de création de valeur ? Ce n’est pas garanti et plusieurs études de Gartner n’ont sans doute pas manqué de doucher l’enthousiasme des plus fervents – et des autres.
Le cabinet estime notamment que 90% des projets blockchain actuels seront obsolètes dans 18 mois. De quoi freiner a priori les ardeurs. D’autant que les occasions d’envoyer ces projets dans le mur ne manquent pas. Gartner dénombre sept erreurs fondamentales à ce sujet.
La technologie, cette partie émergée de l’iceberg
Mais fort heureusement, les raisons de se lancer ne sont pas nulles pour autant. A condition de concevoir des cas d’usage à valeur, détaillaient les experts d’Octo Technology à l’occasion d’une récente conférence consacrée à la blockchain. Et à condition aussi « d’apprendre à se réorienter dans cette désorientation. »
Car oui, s’initier à la blockchain n’est pas chose facile pour une organisation, ne serait-ce qu’en acceptant d’adopter une de ses notions centrales qu’est la « copropriété ». Pas simple pour des entreprises plus habituée au concept de propriété.
« C’est compliqué d’aller vers la blockchain »
Christophe Charles, Octo Technology
Christophe Charles, consultant senior pour Octo, le reconnaît bien volontiers, « c’est compliqué d’aller vers la blockchain ». Mais le plus complexe, souligne-t-il, ce n’est pas la technologie elle-même. « La technologie, cette partie émergée de l’iceberg, c’est la plus facile. » Du moins, comparativement aux autres volets de ce type de projet…
« Pour véritablement concevoir des cas d’usage ayant de la valeur, il faut se confronter à d’autres sujets qui sont par exemple la gouvernance, la sécurité, la scalabilité, les problématiques d’intégration à différents systèmes d’information si plusieurs acteurs sont réunis […] C’est vraiment très complexe. »
Si cette complexité n’a pas découragé les plus motivés, ces derniers peuvent donc s’atteler à la phase d’exploration et poursuivre jusqu’à la mise en production d’une blockchain – très vraisemblablement de type commissionnée (de consortium ou privée, qui se distingue d’une blockchain publique comme le Bitcoin).
La blockchain touche le cœur de son activité
Point de départ important – valable pour toute technologie -, la réussite d’un tel projet nécessite un pilotage par la valeur. Encore plus même. « Cette technologie impacte tellement votre entreprise, touche le cœur de son activité, apporte de nouveaux business models. Ce n’est pas seulement l’IT qui expérimente des solutions » insiste Sébastien Massart, consultant senior blockchain pour Octo.
Et pour mesurer cette valeur, l’ESN liste quatre axes principaux : l’augmentation des revenus, la réduction des coûts existants (passant notamment par la ‘digitalisation’ de processus, par exemple dans la finance), la protection des revenus (point qui intéresse en particuliers les banques confrontées à la concurrence féroce des fintech) et enfin créer de la valeur en évitant les surcoûts futurs, soit prévenir plutôt que guérir au prix fort.
La question de la valeur à l’esprit, les organisations peuvent entamer leur parcours dans la blockchain, qui peut se décomposer en quatre grandes étapes : la formation en interne, l’exploration pour arrêter les cas d’usage, la construction (concrétisée par un MVP ou « Minimum Viable Product »). Et si tous les indicateurs sont au vert, il est alors possible de ‘scaler’.
Tout démarre donc par une nécessaire phase d’acculturation. Un classique, d’autant plus nécessaire pour la blockchain que le sujet est complexe et la perception à son sujet souvent obscurcie par l’actualité de blockchain publiques comme la Bitcoin et ses dérives spéculatives.
La phase d’exploration est tout aussi essentielle, en particulier son second volet qui consistera à concevoir un MVE, soit un Minimum Viable Ecosystem. Mais dans un premier temps, il convient, lors de cette exploration, de procéder à une analyse de marché (PoC lancés dans le secteur, consortiums existants, startups, maturité des technologies…), de définir et prioriser les cas d’usage, ainsi que de formaliser des scénarios de solution.
Pas le remède à tous les maux
Une manière donc de faire un panorama de la blockchain dans son secteur d’activité et d’identifier des partenaires potentiels, comme des startups spécialisées, mais aussi de s’inspirer (se démarquer ou rallier) de projets existants avant de sélectionner ses cas d’usage.
« Aligner les intérêts de chacun afin d’établir un modèle de valeur opérationnel et de gouvernance commun »
Simon de Lagarde, Octo
Ces cas d’usage seront idéalement pensés au niveau de l’écosystème de l’organisation. Pour les définir, Octo Technology prend donc comme point de départ la chaîne de valeur de tout l’écosystème. L’objectif est ainsi d’identifier les domaines où la blockchain pourrait être une source de valeur. Celle-ci dépendra de différents aspects, dont le nombre d’échanges, l’identité des acteurs concernés et leur niveau de confiance.
La phase d’exploration doit également permettre de confirmer la pertinence d’une solution blockchain au regard de « pain points » listés préalablement. Car la blockchain n’est pas le remède à tous les maux, même si elle peut se substituer dans de nombreux cas à des architectures centralisées.
Attention car potentiellement applicable ne signifie pas nécessairement éligible et pertinente. Et cette éligibilité sera nettement dépendante des parties susceptibles de participer au sein de l’écosystème.
Et si la première phase de l’exploration est globalement conduite en interne, la seconde impliquera quant à elle des tiers. Traditionnellement, le développement d’un produit s’effectue en interne et débouche sur un MVP. Et l’organisation est propriétaire de celui-ci.
« Avec la blockchain, c’est différent. On se lance dans la construction d’un produit dont on ne sait pas dans quelle mesure on en sera propriétaire à la fin » souligne le consultant stratégie blockchain, Simon de Lagarde. Intervient ainsi la notion de copropriété. Un véritablement changement de modèle.
Et copropriété donc car le projet implique la constitution d’un écosystème minimum viable, le MVE, qui regroupe « l’ensemble des acteurs nécessaires pour chaque cycle de maturité d’un projet blockchain ».
Il va donc falloir identifier ces acteurs et discuter avec eux pour « aligner les intérêts de chacun afin d’établir un modèle de valeur opérationnel et de gouvernance commun. » En clair, il faudra convaincre, en particulier de la valeur d’une association, et plus encore si ce MVE réunit des concurrents.
Deux partenaires au sein du MVE de Faurecia
Des partenaires, l’équipementier automobile Faurecia a su en convaincre. A minima, pour que son projet blockchain soit viable au démarrage, ce dernier devait réunir deux acteurs : un constructeur auto et un fournisseur.
Et l’enjeu pour le 5e équipementier mondial est de parvenir, grâce au numérique, à préserver les coûts de fabrication d’une automobile, dans une industrie où la maitrise des coûts est fondamentale. Or une voiture n’a de cesse d’intégrer de nouvelles technologies pour répondre aux attentes des clients.
Pour illustrer cette préoccupation, le directeur du digital de Faurecia, Grégoire Ferré, rappelle qu’un satellite revient à plusieurs millions d’euros du kilo. Un avion ? Entre 1000 et 5000 euros. Un bon steack ? 20 euros. Pour une Twingo, c’est 5 à 10 euros du kilo.
« La voiture est un des produits les plus technologiques au monde le moins cher. » Mais comment suivre le rythme des évolutions technologiques et de business model (conduite autonome, auto-partage, etc.) dans l’automobile sans faire grimper les prix ?
En baissant les coûts. Et la blockchain doit répondre à cette préoccupation. « La blockchain nous permet de réduire la complexité liée à la fabrication des produits, de réduire le temps entre chacune des interactions entre le fournisseur et le constructeur, mais aussi entre fournisseurs. Cela permet finalement de comprimer le temps et la complexité, tout en fournissant la même prestation, et moins chère » détaille le CDO.
« Le sujet de l’écosystème et de la gouvernance est clé »
Grégoire Ferré, CDO de Faurecia
La concrétisation de cette ambition n’est toutefois possible qu’avec la participation d’un écosystème de constructeurs et de fournisseurs à l’international, ce dans une industrie très verticale et aux processus bien ancrés.
Pas simple de passer à une dimension horizontale et non plus pyramidale, de faire évoluer des process, et de partager l’information nécessaire dès qu’elle est disponible. Pour convaincre, Faurecia a testé un cas d’usage métier non tourné vers l’interne, mais de nature à intéresser d’autres sociétés.
L’objectif du premier PoC était ainsi de faire office de démonstrateur, « un produit marketing », susceptible de susciter l’adhésion. « Nous sommes allés voir plusieurs constructeurs et fournisseurs avec cette intention de les faire monter à bord, et pas seulement comme sponsor. Il s’agit de les intégrer véritablement dans la démarche de production du produit » relate le consultant d’Accenture, Maxence Finot.
Un constructeur et un fournisseur ont donné leur accord pour concevoir un produit (MVP) basé sur la blockchain permettant de « fluidifier les interactions dans la supply chain sur la gestion des modifications de pièces automobiles. » Car la modification d’une pièce a des effets en cascade sur d’autres composants et fournisseurs. Ce choix autour de l’efficacité opérationnelle a donc été arrêté à trois.
« Le sujet de l’écosystème et de la gouvernance est clé » insiste Grégoire Ferré. En mars, la construction du MVP était en cours de finalisation. Cependant, du fait « de vents contraires » au sein de l’automobile, l’exécution était mise en pause. « Mais on le lancera, c’est absolument certain. »