En un an, Carrefour juge avoir fait progresser la culture Data dans son organisation, notamment via la formation de 160.000 collaborateurs et du top management. Mais le distributeur dispose aussi désormais de cas d’usage en production pour convaincre.
Lors des Assises de la Data du 26 janvier, le BCG relevait un frein à l’adoption de l’intelligence artificielle dans les grandes entreprises françaises. Le cabinet l’attribue au management, soit la stratégie et la conduite du changement.
Chez Carrefour, cet écueil semble avoir été surmonté, témoignaient Elodie Perthuisot et Sébastien Rozanes, respectivement Directrice Executive E-Commerce, Data et Transformation Digitale, et Global Chief Data & Analytics Officer.
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Du NLP pour recommander des produits en e-commerce
Data et IA appartiennent pleinement aujourd’hui à la palette d’outils digitaux du groupe. Une fonctionnalité déployée sur le site e-commerce le démontre auprès des consommateurs – elle sera prochainement aussi sur l’app mobile.
Grâce aux Paniers Alternatifs, le distributeur propose des produits de substitution aux clients en fonction de paramètres comme le nutri-score et l’éco-score. Les recommandations effectuées sont systématiquement justifiées, précise l’entreprise.
Elles reposent notamment sur du NLP et une analyse des similarités entre produits. Les paniers alternatifs ont été développés en collaboration avec l’Analytics Factory et la Digital Factory du groupe. Résultat revendiqué : un client sur trois ayant affiché les alternatives choisit au moins une des recommandations proposées.
Pour Elodie Perthuisot, ce cas d’usage “est emblématique de notre état d’esprit”. Mais il permet aussi de convaincre en interne en illustrant les applications permises par le recours à la Data et à l’intelligence artificielle. Et cela ne va pas de soi.
“Au début, cela coûte cher. Il n’y a pas grand monde qui comprend ce que vous faites (…) Chez Carrefour, cela ne peut se raccrocher à notre stratégie que si cela vient servir notre raison d’être : le client. Si la Data et l’IA sont mobilisées pour cette finalité, vous commencez à servir à quelque chose dans l’entreprise”, explique la dirigeante.
Une Data Factory pour des usages concrets et à l’échelle
De manière opérationnelle, et en un peu plus d’un an, le distributeur est parvenu à délivrer “de façon industrielle”, des produits Data et Analytics pour ses métiers et ses clients. Pour cela, il s’appuie donc sur une usine de production dirigée par Sébastien Rozanes. La factory a son équivalent dans chacun des pays “pour être au plus près des attentes spécifiques.”
Pour le CDO, Carrefour dispose en outre d’un atout unique, “une vraie mine d’or”, à savoir sa donnée first party (plus de 10 milliards de transactions historisées sur trois ans dans un data lake, “le plus gros dans l’industrie en Europe”). Ce patrimoine est d’ailleurs utilisé pour les activités de retail média de Carrefour via sa filiale Links.
Cet usage des données a de fait largement contribué à démocratiser l’adoption et la compréhension des enjeux au sein de Carrefour, précise Elodie Perthuisot. L’amélioration de l’expérience client n’est pas la seule finalité. Comme dans les autres secteurs, Carrefour développe des produits au service de la performance opérationnelle.
Afin de permettre leur émergence dans le groupe, le CDO cite une fonction clé de l’organisation : le data translator – qui n’est pas sans rappeler des métiers comparables sous d’autres appellations, dont le Data Relay de la Matmut.
Ce rôle “hybride” embarqué dans l’Analytics Factory dispose “d’un verni assez épais sur la data et la tech et en même d’une très bonne connaissance métier.” Son but est de piloter la relation avec les métiers et de traduire leur besoin en solution data. En outre, il est “capable, au jour le jour, de travailler au plus proche des data scientists et data engineers.”
Une culture Data qui s’installe progressivement
Elodie Perthuisot revendique désormais un essai transformé. “Tout le monde me demande de la data dans l’entreprise”, un changement observé après l’année écoulée. Les raisons : des produits visibles et fonctionnels, et “un peu” de changement de culture – et “même si c’est lent.”
Ces améliorations culturelles ont été permises par une formation de deux jours auprès de HEC du top management, “qui se doit d’être exemplaire” pour la responsable de la transformation. Le groupe a également formé au digital (dont la data) 160.000 de ses 300.000 salariés.
Les applications opérationnelles sont un autre levier d’action. Outre les paniers alternatifs, Carrefour recommande aux acheteurs e-commerce des produits les plus susceptibles d’être achetés. La Data intervient également dans le pilotage des assortiments en magasin dans le but d’automatiser leur évolution. Pour favoriser l’adoption, la factory développe son marketing.
Exemple : le produit de génération d’assortiments est présenté en interne comme “le Netflix de l’assortiment.” Ce marketing encourage l’appropriation par les directeurs de magasins. La promotion évolue elle aussi pour devenir “de plus en plus data driven”. Il s’agit ainsi d’accompagner la fin du catalogue papier.
Pour progresser, Carrefour s’appuie aussi sur de l’expertise externe, dont Epsilon et Publicis sur le marketing digital. C’est par ailleurs l’accueil de nouvelles compétences, en particulier des profils expérimentés. Pour démultiplier ces ressources, le distributeur lance un programme “graduate data”. L’objectif : exposer des jeunes pendant deux ans aux différents métiers de la data.
La RSE pour nourrir l’attractivité
Pour tirer encore les usages, la Factory développe un “data supermarket” destiné à simplifier, via un catalogue et des indicateurs, l’accès aux données mises à disposition des métiers.
Ces applications de la Data porteront de plus en plus à l’avenir sur la RSE. Carrefour s’est fixé comme objectif d’être neutre en carbone d’ici 2040 (et d’ici 2030 sur le digital).
Mais dans ce domaine “Carrefour a besoin de résultats très concrets et à l’échelle”, souligne Elodie Perthuisot. C’est le cas avec un algorithme prédictif pour la prévision des ventes en boulangerie.
Le distributeur s’efforce de réduire le gaspillage alimentaire (mais également ses coûts) grâce à un “boulanger augmenté” ou “iron man de la boulangerie”. Sur un an, 5 millions de croissants ont pu être économisés.
Carrefour prévoit à présent de répliquer cet outil prédictif pour l’appliquer à d’autres catégories de produits. “On a encore du travail puisque nous devons réduire le gaspillage d’au moins de moitié dans les prochaines années.” Bénéfice collatéral de ces initiatives : un supplément d’attractivité auprès des talents.