Dernière tendance des entreprises à mission, le « care » entend prendre soin des collaborateurs et s’assurer qu’ils seront heureux dans leur fonction. Une culture du travail fondée sur la bienveillance semble émerger… Mais qu’en est-il réellement ? Enquête.
Depuis quelques années, une panoplie de nouvelles valeurs reprogramment le logiciel des entreprises. Déjà engagées en faveur de l’environnement avec la RSE (Responsabilité sociale et environnementale), elles souhaitent désormais aller plus loin. En 2019, la raison d’être, inscrite dans la loi Pacte, leur a donné, pour la première fois, la possibilité de se mettre au service de la société en devenant des entreprises à mission.
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Elles peuvent désormais œuvrer pour le bien commun et acquérir une dimension sociétale. Fini, semble-t-il, le temps où seul le profit réglait les discussions au sein des Comex, ou les indices de croissance décidaient des orientations stratégiques, ou la progression des parts de marché étaient l’Alpha et l’Omega des investissements futurs. Pour les entreprises, il s’agit désormais d’être « utile ». Auraient-elles tant changé ?
Rester en phase avec l’époque
La transformation en cours prend des directions inattendues. Les entreprises prétendent également réinventer la façon de travailler pour la rendre plus humaine et plus horizontale. Il s’agit désormais d’être à l’écoute des collaborateurs et d’œuvrer à leur bonheur. Pour preuve, l’apparition, au sein des open spaces, des Chief Happiness Officers, ces managers zélés dont la principale mission est de propager bien-être et félicité. Cours de yoga, tables de ping-pong, espaces détente… Le management devient bienveillant, transformant l’entreprise en cocon. Ce changement de paradigme porte un nom : la culture du care.
Ainsi, Décathlon, Carrefour ou encore la Société Générale ont toutes déclaré avoir mis en place cette culture du care, également appelée « symétrie des attentions ». Leur objectif ? Prendre en compte avec autant d’acuité la satisfaction des clients et celle des collaborateurs. Il s’agit de mesurer aussi bien la performance économique des équipes que le plaisir des collaborateurs au travail.
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Pour y parvenir, les entreprises redoublent d’efforts. Dans cette quête du bonheur partagé, Décathlon mise sur des baromètres de satisfaction que les employés peuvent remplir anonymement, ainsi que sur le développement des compétences pour renforcer la « passion-métier ». Même son de cloche à la Société Générale qui multiplie, ces dernières années, les initiatives pour que ses collaborateurs soient heureux… Au programme, un audit annuel à 360° pour sonder les besoins des salariés, un plan de formation comportementale sur la valorisation des équipes destiné aux managers, et même la définition en commun des environnements de travail.
Le phénomène ne touche pas que les grands groupes ! Finom, une fintech à l’avant-garde en matière de management en distanciel, propose à tous ses employés le programme Work and Swim : un logement payé par l’entreprise pendant un mois, à Chypre, dans un cadre idyllique, en solo ou en famille, pour travailler plus sereinement.
Une nouvelle injonction ?
Après la RSE, le care pourrait-il devenir le nouvel impératif auquel les organisations doivent se plier ? La question se pose car depuis quelques années, les règles ont changé. Aujourd’hui, pour faire venir à elles les meilleurs éléments et renouveler leurs effectifs, les entreprises ne peuvent plus reproduire les vieux schémas, synonymes de management Top Down, de subordination aveugle et, in fine, de souffrance au travail… Ce modèle, hérité du XXème siècle, est désormais obsolète.
D’ailleurs, tous les chiffres sur le sujet le confirment. Depuis 2009, année après année, l’engagement des salariés n’a cessé de s’éroder. En 2016, une étude de Steelcase révélait que 50 % des Français rechignaient à se rendre au bureau. Une seconde étude réalisée la même année par Malakoff Médéric indiquait que 19 % des salariés estimaient « faire de la présence pour faire de la présence », alors qu’ils n’étaient que 9 % dix ans plus tôt. Ces chiffres ont un coût. La démotivation des salariés ferait perdre aux entreprises plus de 14 000 euros par an et par collaborateur selon le cabinet Mozart Consulting, créateur de l’Ibet (l’Indice de Bien-Être au Travail). Un gouffre financier.
De fait, s’il y a une chose que certaines d’entre elles ont comprise, c’est que les employés ont de nouvelles attentes. Ils ne veulent plus seulement un salaire à la fin du mois. Ils veulent que leur travail ait du sens et que leurs efforts soient mieux valorisés. Ils veulent se sentir bien dans leur entreprise. C’est particulièrement vrai pour la génération Z, éprise de justice sociale et de conscience environnementale, qui contribue activement à cette redistribution des cartes. D’après une enquête réalisée par OpinionWay en 2020, 79 % des 15-24 ans attendent d’abord d’une entreprise qu’elle leur fournisse une atmosphère de travail agréable. C’est dire à quel point le bien-être est un sujet sensible pour ces futurs travailleurs.
L’impact de la pandémie
Cette évolution vers le care, encore inimaginable il y a dix ans, ne relève donc pas du hasard. Selon Benoît Meyronin, professeur de marketing à Grenoble Ecole de Management (GEM) et spécialiste de la question : « Nombre d’entreprises peinent à recruter des talents sur la durée. Les nouvelles entités qui pilotent « l’expérience collaborateur » s’efforcent donc de les séduire et de les fidéliser. A cela s’ajoute une prise de conscience, celle d’un indispensable alignement entre ce qui est attendu des équipes dans leur relation avec les clients et ce qu’elles vivent elles-mêmes dans toutes leurs relations avec l’entreprise. C’est le principe de réciprocité. »
Depuis la pandémie, tous les indicateurs ont viré au rouge… La généralisation du distanciel a fragilisé les équipes et renforcé les vulnérabilités individuelles, incitant les managers à prendre encore un peu plus soin de leurs collaborateurs. A ce titre, une enquête de Malakoff Humanis réalisée en 2021 pointait du doigt que 64 % des salariés et 54 % des dirigeants pensaient que le télétravail risquait de créer de nouvelles fractures au sein des entreprises, entre ceux qui peuvent télé-travailler et ceux dont les fonctions ne le permettent pas…
Pour autant, malgré cette tendance forte, une entreprise reste une entreprise et son but premier est de gagner de l’argent. Cette règle-là n’a pas changé ! Et si ces nouvelles valeurs semblent infuser dans certaines organisations, les marchés sont toujours les mêmes : ils restent toujours aussi compétitifs et impitoyables. Il faut d’abord contenter les consommateurs pour contenter les actionnaires, avant de satisfaire les employés. Le doute est donc permis quant à la sincérité de certaines initiatives. Preuve en est avec les Gafam qui multiplient les projets pour rendre leurs salariés heureux, mais qui ont une politique RH particulièrement dure. Amazon a d’ailleurs multiplié les condamnations devant les Prud’hommes ces dernières années, que ce soit pour avoir sous-payé ses employés ou pour ne pas respecter le code du travail.
« Quelle entreprise peut raisonnablement affirmer aujourd’hui que le bien-être de ses équipes n’est pas un sujet ? Mais il y a souvent un grand écart entre le discours et les pratiques… C’est précisément sur ce point que les jeunes générations vont nous challenger : elles sont dans les actes concrets qui démontrent la réalité de la promesse. Leur niveau d’exigence « oblige », au sens premier du terme, les entreprises », analyse Benoît Meyronin.
Face à l’injonction de la bienveillance, certaines entreprises préfèrent botter en touche en communiquant sur le sujet sans le mettre en pratique. D’autres, en revanche, alignent leurs paroles et leurs actes, comme LDLC, 5e e-commerçant français, qui a mis en place, cette année, la semaine de 4 jours. « On sait aujourd’hui qu’il existe un lien entre le bien-être au travail et la performance des entreprises. Prendre soin des équipes, cela rapporte. Le retour sur investissement n’est plus contestable. Tous les efforts déployés aujourd’hui autour du télétravail participent de cette même volonté d’aider les collaborateurs à mieux équilibrer vie professionnelle et vie personnelle », conclut l’expert. Et si l’entreprise devenait, demain, réellement bienveillante, horizontale et inclusive ? Ce serait, en tout cas, un gage de performance économique et de relations apaisées entre le management et les équipes. En sommes, une véritable révolution.