Lors de la 3e rencontre du Cercle des partenaires du numérique depuis le début de la crise, ses membres ont partagé leurs visions et conseils opérationnels liés à la période de déconfinement… et interrogé la dépendance des entreprises aux grands opérateurs du numérique étrangers.
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A une situation exceptionnelle de confinement, pour laquelle les entreprises ont souvent dû improviser, va succéder une période toute aussi inédite et incertaine de déconfinement. Celui-ci sera bien évidemment progressif, le gouvernement ayant dans ses conseils officiels appelé les entreprises à continuer le télétravail quand elles le pouvaient.
Les avantages et inconvénients du télétravail observés de près
Parmi les membres du Cercle des partenaires du numérique, cette posture a souvent déjà été anticipée. « J’ai donné pour le moment les instructions de continuer le télétravail jusqu’au 30 juin, car je trouve que les développements sanitaires ne permettent pas d’avoir une visibilité suffisante sur la situation. Nous n’avons pas d’impératifs de terrain qui nous obligeraient à mettre un terme au télétravail. Par chance, en tant qu’éditeur de logiciel, la mutation SaaS est passée par là et nous avons des outils à un niveau très élevé de disponibilité. Il y a trois ans, la question se serait posée différemment » témoigne ainsi Bruno Delhaye, président-directeur général du spécialiste de la planification sous contrainte, Holy-Dis.
Du côté de SwissLife Banque Privée, qui accueille habituellement les échanges du cercle dans ses salons place Vendôme, Christophe Parry remarque que « la banque fonctionne à 99,9% en télétravail. Deux jours après le début du confinement, nous avions équipés tous les salariés qui ne l’étaient pas encore. Le déconfinement quant à lui sera progressif, par tiers d’effectif, et sans doute seulement sur deux ou trois jours dans la semaine pour commencer. »
La question de la poursuite du télétravail interroge toutes les organisations, face aux conséquences pour les collaborateurs qui le ressentiraient comme une contrainte. Anne Tessier-Chênebeau, directrice générale de Synertrade en France, qui a récemment résumé pour Alliancy comment s’était passées les cinq premières semaines de confinement pour son entreprise, constate : « Je sens que depuis quelques jours, les troupes sont plus difficiles à animer. Il y a de la démotivation face à la situation. J’ai dû me transformer en « super communicante » car le télétravail tue le caractère spontanée des échanges sociaux habituels dans l’entreprise. Dans ce cadre, nous ne voulons pas imposer le télétravail à 100% pour les prochaines semaines, sauf à nos collaborateurs qui ont des pathologies, de longs trajets ou la question des enfants à gérer. Mais pour les jeunes célibataires qui vivent dans moins de 30m² et qui viennent à pied, nous ouvriront les bureaux avec prudence »
Les entreprises doivent innover pour faire face au déconfinement
Un sentiment partagé par Serge Papo, président et co-fondateur de Nomination, spécialiste de bases de données pour la prospection commerciale : « Nous n’allons pas imposer le retour au bureau, mais nous avons des salariés qui veulent revenir car ils saturent et se sentent seuls. Nous n’envisageons pas d’imposer une règle unique. Mon directeur marketing m’a par ailleurs fait récemment remarquer à quel point il était chronophage de manager les équipes à distance. Toutefois, l’intérêt d’être au bureau, c’est d’être tous ensemble, et il faut reconnaître qu’aujourd’hui cela est orthogonal avec la sécurité sanitaire et les gestes barrières. Sans cet aspect social, l’intérêt du retour au bureau n’est pas évident ».
Face à ces nombreuses contraintes, les entreprises innovent, en prévoyant par exemple de payer des transports individuels (taxis/VTC) pour leurs collaborateurs qui n’auraient pas de voiture pour venir au bureau, et ainsi éviter les transports en commun. De nombreuses organisations se sont également appuyées sur leurs actionnaires pour faire des demandes groupées de masques et de gel hydroalcoolique, malgré des délais rallongés ces dernières semaines.
Et pour certains, les initiatives vont encore plus loin, à l’image de l’opérateur de services hébergés Adista, dont plus de deux cents des collaborateurs résident dans le Grand Est, région fortement touchée par l’épidémie.
« Il est difficile d’imaginer un retour au travail alors que nous serons sans doute en zone rouge pendant un certain temps et qu’il n’y aura pas de réouverture des restaurants par exemple. Mais nous nous préparons. Nous avons pris le parti de soutenir l’écosystème local en commandant du gel dans une brasserie à proximité. Nous avons également commandé nos masques dans la région et les avons fait « logotyper » pour en faire un axe de communication et de cohésion pour tout le monde. Nous aménageons aussi les locaux avec des cloisons en plexiglas. L’idée est que tout doit être fait pour que les collaborateurs puissent revenir avec sérénité s’ils veulent revenir. » a ainsi expliqué Philippe Paci, directeur marketing d’Adista.
L’occasion de faire bouger les lignes pour l’industrie du numérique ?
L’ensemble de ces préoccupations à court terme se sont également doublés de réflexions sur les changements à plus long terme pour les entreprises. En particulier, Mathieu Hug, dirigeant de la start-up Tilkal a relayé et expliqué le sens de « l’Appel du 9 avril » dont il était à l’origine avec d’autres entrepreneurs et notamment Alain Garnier, CEO de Jamespot : « Ces dernières semaines, nous avons vu les articles expliquant comment l’AP-HP (qui s’est ravisée depuis, ndlr) et le NHS britannique négociait avec l’entreprise Palantir pour analyser les données de santé. Nous nous sommes dit qu’il était complètement aberrant de voir qu’il pouvait être question de confier ces données à une galaxie d’acteurs très idéologues et qui travaillent pour des services secrets étrangers. Cela nous a ensuite conduit à nous interroger sur notre usage massif des outils américains » a-t-il expliqué avant d’enfoncer le clou « Nous pensons que si nous n’avons pas une véritable industrie numérique, demain nos enfants ne pourront même plus décider de leur régime politique ».
Les dirigeants réunis lors du cercle ont réagi en épinglant le manque de culture et de capacité à comprendre de tels enjeux dans la sphère des décideurs politiques, et dans une moindre mesure économiques. Une déficience qui a souvent conduit à des déclarations politiques sans futur ou à une inertie de fait de l’Europe. « Le track record de la France en matière d’initiatives de souveraineté numérique n’est pas glorieux » a par ailleurs noté Mathieu Hug en référence aux échecs des « cloud souverains Cloudwatt et Numergy en 2013. « Mais ce n’est pas parce que l’on a perdu des batailles qu’il faut se résoudre à abandonner la guerre » a-t-il conclu en appelant les autres dirigeants à signer directement sur LinkedIn l’Appel du 9 avril, le temps qu’un site internet en bonne et due forme soit mis en place pour peser sur les débats.