[Edito] Le cercle vicieux qui empêche l’inclusion féminine dans le numérique

La prise de conscience sur le sexisme a-t-elle vraiment eut lieu ? Articles, conférences, trophées, mouvement #JamaisSansElles… Le sujet de « la place des femmes dans le numérique » est devenu omniprésent dans les discours, devenant une composante centrale du concept de numérique responsable et inclusif. Notamment parce qu’au-delà des arguments moraux, la dimension utilitariste est très présente, avec l’enjeu de faire décoller l’emploi féminin face à des pénuries de profils dans de nombreux métiers technologiques. La situation s’est un peu améliorée durant la décennie 2010, alimentant l’espoir de changements plus profonds.

Le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) vient pourtant de publier un rapport incendiaire le 7 novembre (PDF). Dans ces 150 pages, il met en évidence une situation pathétique. Les contenus à succès diffusés sur les plateformes telles que Youtube, Instagram ou TikTok alimentent largement, selon l’instance, un triple processus « d’invisibilisation des femmes, de reproduction des stéréotypes de genre et de diffusion de la violence symbolique et physique envers les femmes ». Mais le rapport ne s’arrête pas là et met en cause la responsabilité des professionnels du numérique dans leur ensemble, dont le quotidien entretient une culture sexiste qui bloque le milieu de la Tech dans un « cercle vicieux ».

Seuls 29% des effectifs dans les entreprises du numérique sont féminins et ce nombre s’effondre à 16% quand il est question des métiers techniques. « Cette sous-représentation entraîne le développement d’outils et de langages qui renforcent la maîtrise masculine de cet environnement [numérique], repoussant ainsi les femmes à la périphérie des avancées technologiques qui façonnent notre avenir », décrit le HCE. Sa présidente, Sylvie-Pierre Brossolette, estime en ce sens que le numérique n’est pas seulement un « reflet » des inégalités de notre société, mais bien un « moteur accélérant et amplifiant les biais sexistes ».

Les effets de ce cercle vicieux se font d’ailleurs sentir. Les écarts qui tendaient à se réduire avant 2020 augmentent de nouveau, par exemple au niveau du salaire des ingénieurs. Déjà l’an dernier, Jean-Claude Laroche, président du Cigref, association des grandes entreprises et administrations qui se transforment avec le numérique, mettait en garde contre l’effacement récent des progrès réalisés depuis 2010 : « Nous faisons le constat d’un recul sans précédent de la place des femmes dans les voies d’accès à nos métiers : -30% en deux ans sur les parcours technologiques et scientifiques. Je pèse mes mots : c’est une catastrophe. Un drame autant économique que social ».

Le directeur des systèmes d’information d’un grand groupe français nous confiait d’ailleurs récemment ne plus savoir par quel côté prendre le problème du recrutement au féminin et de la fidélisation des collaboratrices à tous les niveaux. Un aveu d’épuisement qui va dans le sens de l’appel du HCE à une réaction exemplaire des pouvoirs publics. Les pistes proposées par l’instance pour aller plus loin que le plan « Tech pour toutes » présenté cet été par la première ministre Elisabeth Borne, mettent sur la table la question des quotas et de la discrimination positive. Ces propositions clivantes en matière de formation et d’emploi ne manqueront pas de faire réagir. Il est donc saisissant de noter le contraste avec la piste d’action concernant la culture sexiste des contenus numériques. Une « auto-évaluation annuelle des plateformes au travers d’un rapport public », même supervisée par l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), paraît bien faible pour provoquer un électrochoc salutaire. Comment passer au stade suivant pour un suivi quotidien, avec des moyens de vérification, de contrainte et de sanction efficaces ?


Cet édito est issu de notre newsletter de la semaine du 6 au 10 octobre 2023, à découvrir dès maintenant : 

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