Située à la croisée des mondes universitaire et entrepreneurial, la Chaire Coo-innov de Montpellier entend mettre un coup de projecteur sur les bonnes pratiques en termes d’écosystème. Alliancy s’est entretenu avec Frédéric Le Roy et Anne-Sophie Fernandez, les deux directeurs de cette chaire, pour comprendre comment intégrer cette notion dans sa propre stratégie d’entreprise.
Alliancy. Vous avez créé la Chaire Coo-innov il y a tout juste un an… Comment cette initiative est-elle née ?
C’est un projet directement issu du monde de la recherche. Tout a commencé en 2012 avec le « Coopetition Lab » à l’Université de Montpellier qui s’emploie à favoriser la recherche sur la coopétition, la stratégie et l’innovation. C’est une démarche très académique et, depuis un an, nous souhaitons développer des interactions avec le monde politique et économique. Voici comment est née la Chaire Coo-innov. Nous voulons également créer des connaissances sur les bonnes pratiques en matière d’écosystème, car c’est une notion parfois difficile à percevoir par les managers à titre opérationnel. Plus encore, la coopétition et les écosystèmes d’innovation sont souvent perçus différemment dans les strates managériales.
Cette notion d’écosystème est perçue différemment car elle reste très difficile à définir… Qu’en pensez-vous ?
D’un point de vue académique, l’écosystème est un concept « zombie » qui manque cruellement d’ancrage théorique et de définition en tant que tel. Au niveau métaphorique, l’écosystème permet de se représenter les choses de manière juste, mais il n’existe toujours pas de définition analytique simple. Il est d’ailleurs d’autant plus flou aujourd’hui car il se confond avec les configurations des plateformes émergentes dans le monde économique. Combien d’acteurs sont-ils nécessaires pour qualifier un réseau d’écosystème ? Quel type de gouvernance ?
Il y a un mélange des espèces et des acteurs de différentes natures. Clients, fournisseurs, usagers, universitaires, laboratoires publics… Tous travaillent à des fins d’innovation et font l’objet de nos recherches. Nous nous intéressons à ces dynamiques, aux relations de concurrence et à comment se gèrent et se partagent les ressources à travers ces réseaux complexes.
De manière générale, il existe deux types d’écosystème : celui qui gravite autour d’un acteur pivot et les réseaux plus démocratiques et égalitaires, où le pouvoir semble plus décentralisé. Les réseaux présents à Toulouse par exemple, sont très concentrés autour de grosses entreprises comme Airbus pour l’aéronautique. Mais, à Montpellier, sur la thématique de l’écologie, nous avons davantage affaire à des écosystèmes de petites structures intermédiaires qui portent une très forte innovation.
Pourquoi avoir choisi d’associer le terme de “coopétition” à votre démarche ?
Nous sommes tous d’accord pour considérer que la création de valeur doit se faire en commun car c’est très compliqué d’y parvenir tout seul. Mais cette vision de l’écosystème ne se base que sur la collaboration. Il ne faut pas effacer la compétition de l’analyse car les entreprises cherchent légitimement à s’approprier le plus de valeur possible. C’est pourquoi il est important de travailler sur la propriété intellectuelle. Le meilleur partage est rendu possible quand la valeur est protégée.
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De la même manière, l’écosystème ne débouche pas systématiquement sur des réussites. Certaines entreprises vivent encore aujourd’hui de mauvaises collaborations, avec des captations de connaissances et de valeur non souhaitées. La concurrence est souvent cachée et les acteurs oublient de plus en plus qu’il s’agit bien d’appropriation de valeur. Pour mieux appréhender les écosystèmes, il faut se demander où se crée la valeur et qui se l’approprie.
Les organisations sont-elles plus mâtures aujourd’hui dans leur stratégie d’écosystème ?
Il y a de moins en moins d’entreprises qui pensent pouvoir s’en sortir toutes seules ! Elles ont commencé à collaborer à deux ou à trois, mais ce n’est toujours pas suffisant. La maturité c’est de comprendre le besoin d’intégrer des écosystèmes plus techniques et de chercher de grandes alliances. C’est avant tout le fait d’intégrer pleinement l’écosystème dans sa stratégie d’entreprise, et pas seulement autour des partenariats deux à deux.
L’objectif de notre chaire est d’ailleurs d’aider les dirigeants et managers à mieux gérer les alliances et à développer leur stratégie d’écosystème. C’est une nécessité car les projets sont de plus en plus multi-acteurs et donc plus difficiles à cerner. C’est le cas du projet Galileo (système de positionnement par satellites développé par l’Union européenne, NDLR) au sein duquel nous avons obtenu une place privilégiée pour suivre les échanges entre Thales et Airbus et identifier les bonnes pratiques.
Dans ce partenariat d’envergure, nous avons remarqué l’augmentation constante de parties prenantes : ce n’est pas seulement Thales et Airbus qui interagissent, mais bien deux grands écosystèmes entre eux. Un type d’alliances plutôt commun, que nous avons aussi constaté dans le milieu pharmaceutique.
Qu’est-ce qui a changé pour vous depuis la crise ?
Avec l’irruption de la crise en début d’année dernière, notre projet Chaire Coo-innov a été un peu coupé dans son élan. Nous en avons donc profité pour accentuer nos actions et travaux académiques sur la coopétition et l’innovation. Cela passe par une veille des alliances et des partenariats, de l’innovation des start-up et des leviers de croissance au sein d’observatoires dédiés. Mais c’est aussi tout le travail sur le partage des bonnes pratiques pour monter un projet et marketer son innovation. Chose que nous faisons à travers un master « Stratégie Innovation Conseil » à l’Université de Montpellier.
Les événements que nous avions prévus d’organiser en 2020 auraient servi à créer des interactions physiques avec notre écosystème. Mais, au vu du contexte, nous avons recentré un peu plus nos actions sur une communication digitale régulière de nos travaux, études et rapports de veille.
Auriez-vous des conseils à donner pour développer un écosystème ?
Il faut que les acteurs issus des grands groupes et des alliances stratégiques développent une vraie culture managériale et pas seulement technique. Nous voyons par exemple un grand nombre de directeurs de R&D dans des structures moyennes qui ne jurent que par le technique. Il y a très peu de formations managériales sur le sujet et nous prévoyons -si possible- d’en lancer une d’ici à la rentrée prochaine.
Dans le monde post-crise, la part du digital dans nos interactions sociales sera toujours prédominante. Mais cela ne doit pas faire perdre de vue que le premier contact humain est primordial. Sans cela, il est toujours difficile de s’engager dans de nouveaux projets. Le digital rend les personnes moins disponibles et favorise l’engagement à court terme.
En attendant d’en sortir, c’est peut-être le moment de profiter de la crise et des outils digitaux pour prospecter et découvrir d’autres horizons. La période n’est pas propice à la collaboration, mais à l’ouverture. Il faut donc s’efforcer de sortir de sa zone de confort pour préparer les futures collaborations.