Voilà trois ans qu’AG2R La Mondiale a lancé son grand plan de transformation du SI. Rationaliser les outils, centraliser les données afin de prioriser le client sont les objectifs de cette transformation menée par Pascal Martinez, directeur des systèmes d’information et du digital de l’entreprise.
Quelle était la situation au moment où vous avez rejoint AG2R en 2022 ?
Le Groupe AG2R La Mondiale est le fruit de nombreux rapprochements successifs, notre informatique s’est donc construite avec le Groupe. Ainsi, nous avions intégré de nouvelles entités au niveau organisationnel mais pas au niveau des SI. Le patrimoine informatique était important, siloté et stratifié, ce qui pouvait entrainer un risque d’implosion. On avait ainsi 12 CRM, 5 référentiels de clients ou encore 60 lacs de données. Une des conséquences principales était que nous ne disposions pas facilement d’une vue consolidée des informations de nos clients, il fallait le remettre au centre du SI. Cela impliquait une baisse de la satisfaction. Un collaborateur face à un client avait 35 outils mais pas son historique. Il existait des problèmes de multiplicités des systèmes et d’obsolescence. Au moment où je suis arrivé, j’ai lancé le chantier de refondation d’un SI, qui s’inscrivait dans le cadre du plan d’entreprise 23-25 « Nouvelle Donne » dont il est l’un des 8 objectifs : « changer de braquet en matière de SI et de Digital ». Cela consistait à rationaliser et placer le client au centre, en minimisant les outils de gestions de contrat et en ouvrant nos systèmes aux partenaires distributeurs.
Ce projet devait durer neuf ans, il a finalement été réduit à six. Qu’est-ce que cela implique ?
Lorsque j’ai pris mes fonctions, face à l’ampleur du projet, j’ai initialement envisagé une période de 9 ans. Ce qui peut être préoccupant dans un projet de ce type, c’est la croissance de la capacité à produire. On ne passe pas d’une base 100 à 200 en un an. Il y a des délais qui sont incompressibles alors nous avons réorganisé les projets par années, reporté certaines fondations et dépriorisé d’autres, permettant de réaliser ce projet en 6 ans et ainsi réduire les risques. Nous avons adopté un nouveau modèle de delivery et une organisation en mode produit. Par opposition au projet, le produit reste, le projet passe. Des équipes gèrent des subdivisions du SI en mode agile et d’autres qui gèrent le contenu de la naissance, à la maintenance, jusqu’à l’opération, selon le principe « You build it, you run it ». Avec suffisamment de produit, on peut faire un train agile pour augmenter la montée en charge. Ensuite, il faut juste alimenter ces trains avec des évolutions métiers. Nous avions du retard alors les premiers trains sont arrivés rapidement.
Par quels moyens avez-vous replacé le client au centre du système d’informations ?
Nous avons d’abord rattrapé le retard, en offrant une vision 360° unique pour chaque client, intégrant toutes les demandes. La mise en œuvre de nombreuses fonctions digitales était nécessaire. Nous automatisons la gestion des transactions, parfois avec l’IA, et visons à améliorer la satisfaction client de manière progressive sur les trois prochaines années. Les anciens CRM et outils de vente obsolètes sont décommissionnés. Nous agissons en priorité pour nos clients et nos collaborateurs, en facilitant l’accès aux données et en rationalisant les systèmes d’information (SI). C’est compliqué d’obtenir une vision 360 avec 50 systèmes différents. Si nous raisonnons logiquement, la priorité doit être mise sur les fondations, mais ce n’est pas dans les fondations qu’habite le client. On agit sur tous les aspects en même temps. Une spécificité de cette transformation est que nous avons pas mal de balles en l’air avec lesquelles nous jonglons, tout en priorisant donc les projets qui ont un impact positif direct et concret sur nos assurés. Il est important de livrer rapidement et de façon visible pour éviter les effets tunnel, en utilisant la méthode agile. D’ici la fin de l’année, nous aurons un seul CRM utilisé par tous les collaborateurs en contact avec les clients, qui partageront la vision 360 du client, que ce dernier pourra voir sur son espace personnel. C’est assez rapide. Finalement, le rôle du conseil en technologie dans les métiers de l’assurance est de guider ces transformations vers des résultats tangibles, en réduisant les délais et en améliorant la satisfaction client.
Comment vont ensuite évoluer les priorités dans ce projet de transformation ?
La priorité est de digitaliser progressivement presque toutes les transactions qui peuvent l’être, en laissant le client choisir le canal d’interaction. Les changements d’adresse en France seront acceptés sans problème par digitalisation complète mais ceux vers des pays hors UE pourront nécessiter une vérification et un rappel client, avec potentiellement un appel téléphonique. Les interactions digitales seront suivies dans le back office. On va également invoquer aussi de la reconnaissance de mail ou de documents courrier par voie digitale. Nous voulons être capables d’extraire les données des factures provenant des praticiens de santé pour rembourser au plus vite les clients. Cette approche hybride vise à uniformiser la demande client quel que soit le canal, garantissant l’unicité des devis sans dupliquer les données. Cela permet de travailler sur les mêmes données, initiées en face-à-face et terminées en digital.
Qu’est-ce que vous permet votre place au sein du Comex dans ce projet ?
Être membre du Comex permet des interactions constantes avec les autres directions, mais aussi les administrateurs. Cela permet également de traiter les problématiques du projet à un niveau suffisamment élevé et d’avoir un impact direct sur l’organisation. Par ricochet, je peux être plus proche de l’ensemble des collègues des directions métiers et cela permet de mieux résoudre les problèmes de capacité d’affaires, d’alignement des plannings et des priorités. Chez AG2R La Mondiale, nous avons quatre rendez-vous annuels : deux avec le Comex et deux avec les directions pour nous aligner. Cela favorise une communication d’une seule voie et une gestion au jour le jour des problèmes de pilotage.
Comment faire pour gagner la confiance des membres du Comex et la conserver ?
Il y a deux aspects. Premièrement, il faut offrir une qualité de service irréprochable pour continuer à transformer. Il faut d’abord assurer le bon fonctionnement des systèmes informatiques et des opérations quotidiennes avant d’entamer des transformations. Nous devons transformer le SI mais nous avons pour objectif premier de le faire fonctionner. Une fois cela fait, on pourra parler de transformation. Deuxièmement, la démonstration de succès par des améliorations concrètes des indicateurs renforce la confiance. Par exemple, la satisfaction digitale a grimpé de 5,5 à presque 8 en 2023. On va dans le bon sens. Mais il y a un autre aspect qui repose notamment sur la méthode agile. Comment travailler ensemble ? L’agile permet d’appliquer efficacement ce que veulent les métiers et d’accélérer les livraisons. Il faut que cela aille vite en changeant des petites choses. On a le droit de se tromper, mais avec ce fonctionnement, on peut revenir dessus facilement. L’agilité, déjà partiellement en place avant mon arrivée, avait montré sa valeur et avait bien été acceptée par les directions.
Selon vous, comment va évoluer le métier de directeur du numérique au fil des transformations et de l’apparition des prochaines technologies de rupture ?
Dans les sociétés d’assurance, il reste beaucoup de digitalisation et d’automatisation à faire pour améliorer l’efficacité opérationnelle et la satisfaction client. La technologie offre de nombreux cas d’usages qui sont encore devant nous, notamment grâce à l’intelligence artificielle (IA). Le CIO joue un rôle clé en apportant une vision des outils technologiques pour optimiser le travail des collaborateurs. Qu’est-ce qui permettrait une meilleure fiabilité du codage informatique ? Une IA pourrait-elle résumer une conversation ? Nous avons des capacités d’augmentation de la relation client qui peuvent être apportées par la technologie, mais également pour augmenter l’efficacité globale. On va devenir des conseillers par rapport à ses technologiques pour aborder des cas d’usages qui peuvent répondre aux préoccupations des métiers. Je commence à le percevoir au sein du Comex. Il est crucial de comprendre les préoccupations des différentes directions et d’orienter les choix technologiques pour satisfaire les grands besoins stratégiques de l’entreprise.