La Chambre franco-allemande de Commerce et d’Industrie organisait le 20 septembre dernier à la Maison des Polytechniciens (Paris) une conférence intitulée « Le Chips Act européen : vers une autonomie de l’Europe dans la production des semi-conducteurs ? ». Au programme, des experts de l’industrie reposant sur la production de puces électroniques pour prospérer.
« L’autonomie sur les semi-conducteurs est devenue stratégique et préoccupe à la fois la France, l’Allemagne et l’Europe », lance en introduction Patrick Brandmaier, directeur général de la Chambre franco-allemande de Commerce et d’Industrie à Paris. Une autonomie d’ordre technologique destinée avant tout à réduire les dépendances auprès de l’Asie qui concentre 80 % de la production mondiale de puces électroniques.
Avec seulement 10 % de la production des micro-puces, l’Europe veut réduire cet écart avec un nouveau programme à 50 milliards d’euros appelé « EU Chips Act » : déjà parce que le marché devrait doubler d’ici à 2030 pour peser 1 000 milliards de dollars, mais aussi parce que les technologies actuelles ne peuvent fonctionner sans ces micropuces. De la même manière, les Etats-Unis ont aussi leur plan en la matière à hauteur de 280 milliards de dollars.
Un changement de paradigme dans l’industrie
C’est ensuite le tour du Docteur Hagen Radowski, Senior Partner Strategy Semiconductor France chez Porsche Consulting, de partager sa vision. Ce dernier décèle un changement de paradigme en cours dans l’industrie, empruntant le concept au philosophe Thomas Kuhn. « Si l’industrie automobile a connu une perte de chiffre d’affaires de 60 milliards de dollars en 2021, ce n’est pas tant à cause de la crise Covid mais plutôt de la pénurie de matériaux », complète-t-il.
Les récentes pénuries mondiales de semi-conducteurs et fragilisations des chaînes d’approvisionnement ont engendré des fermetures d’usines dans un certain nombre de secteurs, notamment celui de l’automobile. Et avec la fin annoncée des voitures thermiques en Europe d’ici 2035, l’électrification de l’industrie automobile devient la priorité. Ce qui augmente considérablement la part de semi-conducteurs dans la production de voitures.
Le secteur automobile représente 8 à 9% des besoins du marché des semi-conducteurs et pourrait très bientôt quadrupler. À titre d’exemple, Hagen Radowski précise qu’une voiture chez Volkswagen comporte à ce jour plus de 7 000 semi-conducteurs. Pour reprendre le contrôle, l’industrie automobile devra mettre le doigt dans une engrenage complexe qui compte plus d’une centaine d’étapes de production. D’autant plus qu’elle a eu tendance ces dernières années à sous-traiter la fabrication de plaquettes de silicium ou de micro-puces auprès d’usines ou de fonderies délocalisées.
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« À l’origine, l’industrie des semi-conducteurs et la nôtre ne parlait pas le même langage, affirme l’employé du constructeur automobile de Stuttgart. Mais nous ne pouvons plus nous contenter de fournisseurs de premier niveau donc le contact s’est fait directement auprès du producteur. » Une situation inédite qui ne consiste pas à créer une task force mais plutôt à définir cette nouvelle relation entre industrie et fournisseurs. Pour lui, le Chips Act ne va pas nous donner plus d’autonomie à court terme, mais permettra sûrement une gestion plus indépendante d’une ressource trop longtemps négligée.
Jens Knut Fabrowsky, vice-président exécutif de la branche dédiée à l’électronique automobile chez Robert Bosch GmbH, a également rappelé l’importance de l’écosystème et des partenariats élargis pour mettre en commun des savoir-faire en conception, en packaging mais aussi en logiciel. Selon lui, un producteur seul ne peut tout simplement pas « couvrir tous les nouveaux besoins ». La souveraineté se joue donc sur tous les maillons de la chaîne et pas uniquement sur la partie dédiée à la production de puces.
Une pénurie de talents généralisée
Quoiqu’il en soit, les projets de développements d’usines à puces sur le sol européen se multiplient. L’équipementier allemand Bosch a investi 1 milliard d’euros l’année dernière pour ouvrir une nouvelle usine à Dresde en Allemagne tandis que le franco-italien STMicroelectronics et la fonderie américaine GlobalFoundries vont mettre près de 6 milliards d’euros sur la table pour bâtir un site de production à Crolles, en Isère.
« Quand nous dépensions environ une centaine d’euros en puces il y a quelques années pour construire une seule voiture, il faut aujourd’hui débourser des dizaines de milliers d’euros », insiste Frédérique Le Grèves, Présidente & CEO de STMicroelectronics France. Le Chip Act européen est donc un soutien financier primordial pour que l’industrie s’y retrouve dans ses comptes. Mention est également faite à Intel et l’annonce d’investissement de 80 milliards d’euros en Europe en R&D sur les technologies de conditionnement des semi-conducteurs.
« Pour construire un wafer (plaque de silicium utilisée pour fabriquer des composants de microélectronique, NDLR), il faut réaliser plus de 500 opérations pendant plusieurs mois », ajoute Jens Drews, Director Government Relations chez GlobalFoundries. D’où l’intérêt selon lui pour l’Europe de soutenir ses acteurs de la conception de puces électroniques pour éviter qu’elles ne parcourent plus de 300 kilomètres avant d’être effectivement assemblées.
« Il faut accélérer la création de réseaux de R&D à l’échelle européenne », estime le Professeur Hubert Lakner de l’Institut Fraunhofer. C’est d’autant plus primordial au regard de la pénurie de compétences sur ce secteur comparé à l’Asie. Il faudra évidemment trouver davantage de profils d’ingénieurs ou ouvriers spécialisés dans ce domaine stratégique pour l’avenir.
« Il faut inclure les semi-conducteurs dans les cursus de nos jeunes ingénieurs », propose Jens Drews. Et pour Frédérique Le Grèves, il faudrait même commencer dès le collège ! « L’image de l’industrie est mise à mal dès le plus jeune âge », déplore-t-elle. Elle espère donc voir l’industrie faire peau neuve pour mieux attirer les nouveaux talents, condition indispensable de son accès à plus de résilience.