[Edito] De Choose France aux CSF : deux poids, deux mesures ?

Comment les acteurs français du numérique peuvent-ils bénéficier de l’élan en faveur de l’attractivité française ? La semaine qui vient de s’écouler a été l’occasion d’un rappel : malgré la grisaille géopolitique et les inquiétudes de la société française (pouvoir d’achat, environnement, dette…), l’Hexagone ne manque pas de convaincre les investisseurs. Le sommet Choose France a ainsi offert à Emmanuel Macron une occasion de se satisfaire d’une série d’annonces d’investissements étrangers majeurs, dont une grande partie menée par les champions du numérique comme Microsoft ou Amazon.

Quelques jours plus tôt, l’enquête annuelle EY sur l’attractivité des pays européens consacrait d’ailleurs pour la 5e année consécutive la France comme championne, en nombre de projets d’investissement recensés en 2023 (1194 ; devant le Royaume-Uni avec 985 projets et l’Allemagne, 733). Dit autrement, notre pays a été la destination de plus d’un cinquième de ces investissements en Europe l’an passé. Un chiffre en augmentation depuis 2019. Si ce sont les projets industriels qui portent cette dynamique, la France est aussi la première pour les investissements étrangers dans l’intelligence artificielle. EY souligne d’ailleurs de façon fort à propos « le paradoxe particulier d’une France qui doute de l’intérieur et séduit à l’extérieur », alors que la confiance dans l’avenir du pays est au plus haut chez les investisseurs hors-Hexagone.

L’autre paradoxe, c’est la coexistence de cette dynamique avec les efforts pour renforcer nos « filières souveraines ». Hasard du calendrier, le lancement cette semaine des travaux de la filière des solutions numériques de confiance l’illustre bien.

Les Comités stratégiques de filière (CSF) sont des instruments de la politique industrielle française qui visent à réunir l’État, les industriels et les organisations syndicales autour d’une feuille de route partagée pour le développement des filières stratégiques. Et en septembre 2022, le numérique de confiance avait été mis en avant par le ministre de l’Économie Bruno Le Maire comme l’une d’entre elles. Objectif : réunir les éditeurs de solutions cloud, IA, quantique et « immersives », pour faciliter la croissance dans un contexte de « compétition internationale exacerbée dans le domaine du numérique ». La mission de préfiguration de ce CSF a mis en avant plusieurs priorités, dont le développement de l’offre et des infrastructures numériques de confiance, la simplification de l’accès à la commande publique et privée et la facilitation de la croissance à l’international pour les acteurs français.

Pour Michel Paulin, directeur général d’OVHcloud qui conduit cette mission initiale, « la filière du numérique de confiance est l’une des filières les plus dynamiques et innovantes de l’industrie française. Pourtant, elle perd des parts de marché dans un environnement fortement concurrentiel, dominé actuellement par des acteurs non-européens. » Pour répondre à cette situation, de nouveaux travaux doivent donc maintenant définir comment déployer des « offres intégrées Cloud-Data-IA souveraines » et comment travailler « collectivement à des solutions collaboratives compétitives ». Au programme également, le développement de modules de formation communs à la filière ou encore des propositions pour « fluidifier le changement de fournisseur numérique » afin de rendre le marché plus ouvert aux entreprises européennes.

La secrétaire d’État au numérique, Marina Ferrari, s’est félicitée de ce premier point d’étape : « Aujourd’hui, le Gouvernement renouvelle son ambition numérique et son soutien à un écosystème français et européen ». Elle a également annoncé la tenue à Bercy le 14 juin prochain de rencontres de « matchmaking réunissant les écosystèmes cloud et IA », pour faciliter la mise en commun de projets et le développement de synergies.

On ne peut que saluer la volonté de créer des conditions qui permettront à nos acteurs hexagonaux du numérique d’être « plus forts ensemble ». Toutefois, l’enchaînement des deux sujets, entre le début et le milieu de la semaine, laisse songeur : d’un côté, avec Choose France, des milliards annoncés en Une de la presse généraliste, avec un véritable « show » pour pousser à l’enthousiasme. De l’autre, une « préfiguration » pour conduire à des travaux supplémentaires, sur un ton beaucoup plus bureaucratique, précautionneux, presque incantatoire.

Les deux sujets, les deux projets, ne s’opposent pas. Et il est peut-être encore trop tôt pour voir les résultats de la démarche CSF. Pour autant, on se prend à rêver d’un show tout aussi rutilant que Choose France, pour nos filières numériques, en particulier celle de la confiance. Est-ce que VivaTech, grand-messe de l’innovation qui se tiendra la semaine prochaine, suffit à jouer ce rôle ? Rien n’est moins sûr.