Le directeur central de l’Innovation du géant du BTP revient pour Alliancy sur la politique du groupe en matière d’intrapreneuriat, une démarche relancée depuis peu, avec le soutien de toutes les directions métiers.
Alliancy. Vous venez de lancer votre nouvelle séquence « Intrapreneuriat » dans le groupe. Dans quel but ?
Christophe Lienard. Début février, en effet, nous avons lancé notre nouveau programme d’intrapreneuriat, appelé « Les Entrepreneur(e)s ». Ceci n’est pas nouveau dans le groupe, nous l’avons déjà fait plusieurs fois auparavant… Notamment il y a quatre ans avec le dispositif ICS, pour « Innover Comme une Start-up », qui avait pour but de développer des idées de solutions commerciales complémentaires à nos métiers.
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Quatre de nos cinq métiers avaient aussi mis en place leurs propres programmes d’intrapreneuriat, autour de thématiques précises avec New Value pour Bouygues Construction, Digital Makers pour Bouygues Immobilier et Business Lab pour TF1. Cette fois, nous avons voulu relancer la démarche à l’échelle du groupe, après dix-huit mois d’arrêt.
Pourquoi cette pause ?
Christophe Lienard. Nous avons souhaité approfondir la réflexion autour de ce qui avait fonctionné ou pas, de façon à poser clairement notre process. Ce nouveau programme « Les Entrepreneur(e)s » (pour lequel les candidatures internes sont ouvertes du 1er février au 8 mars) a été co-conçu aussi dès le départ avec l’ensemble des responsables Open Innovation du groupe, soit un représentant de Bouygues Télécom, de Bouygues Immobilier, de Bouygues Construction, de TF1, de Colas et un membre de mon équipe chez Bouygues SA.
Quelle est sa finalité ?
Christophe Lienard. Nous l’avons ciblé sur les « nouvelles » offres pour la ville de demain. Nous cherchons à réunir une tribu d’une soixantaine de collaborateurs dans la phase d’idéation autour des thèmes comme le divertissement, la mobilité, l’urbanisation… Soit tout ce qui touche à notre vie quotidienne et qui est très en lien avec la finalité du groupe.
Quels types de profils recherchez-vous ?
Christophe Lienard. Nous ne demandons pas aux intéressés de venir avec un projet déjà imaginé… C’est possible, mais pas obligatoire. S’ils ont juste l’idée, la phase d’idéation va nous permettre de la faire mûrir ensemble, de concrétiser le projet, de le tester, etc. C’est par exemple ce que nous avons déjà fait avec deux projets d’intrapreneuriat issus de nos programmes précédents et qui avancent très bien aujourd’hui, Com’in et My Living Bloom [lire encadré ci-dessous].
Pourquoi est-ce important l’intrapreneuriat ?
Christophe Lienard. C’est important pour la culture de chacun au sein du groupe. Aujourd’hui, nous passons d’une époque où l’on devait être « Best in Class » à un modèle « Best in Evolution »… Donc, comment amène-t-on une entreprise dont l’objectif principal a toujours été l’excellence en production ou en réalisation… à une phase où l’on doit être en plus agile sur la transformation. Souvenons-nous toujours qu’un poisson mort peut flotter en suivant le courant, mais que seul un poisson vivant peut nager en le remontant…*
Deux réussites intrapreneuriales issues des programmes menés précédemment chez Bouygues
Com’in développe des solutions numériques d’intelligence partagée pour l’environnement, s’appuyant sur l’IoT et l’IA. En premier lieu, un outil d’aide à la décision qui permet aux responsables d’opération d’être plus efficaces dans la maîtrise des impacts environnementaux liés aux chantiers (bruit, qualité de l’air, mobilité…) et de contribuer ainsi au « bien-vivre ensemble ». Des solutions qui favorisent l’information objective et l’écoute pour une meilleure acceptation des projets de construction ou industriels.
My Living Bloom, architecte-paysagiste, propose un service en ligne dédié à l’accompagnement des particuliers dans leurs travaux d’aménagements extérieurs (clôture, portail, allée, cour, terrasse, potager, jardin…). Le site guide simplement ses utilisateurs dans leurs projets d’aménagement en trois étapes : inspiration, conception et réalisation. Le suivi du projet est personnalisé par une équipe d’experts présente à chaque étape, capable ensuite de prendre en charge les différentes phases de travaux jusqu’à la livraison.
Comment va se dérouler « Les Entrepreneur(e)s » ?
Christophe Lienard. Nous avons trois étapes dans ce programme. La phase d’idéation pour générer des projets. Ensuite, la sélection avec un Action Tank pour aboutir à 15 % environ de la promotion qui passera ce cap pour rentrer dans la phase de maturation. Puis, viendra l’accélération des projets après une nouvelle phase de sélection…
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Sur la soixantaine de personnes au départ, entre 10 et 15 seulement passeront le cap final. Mais tout le monde aura en retour acquis de l’expérience dans l’agilité, les méthodes Lean Start-up, le travail collaboratif, l’intelligence collective… Les collaborateurs retourneront donc dans leurs métiers d’origine avec ces connaissances supplémentaires, qui leur serviront différemment. Notre finalité n’est pas seulement de sortir des « super » projets… S’il y en a, tant mieux évidemment. Notre but est aussi d’acquérir de l’agilité sur tous ces sujets au sein du groupe.
Comment se passera l’accompagnement des quelques projets sélectionnés ?
Christophe Lienard. L’Action Tank, qui encadre la démarche, est présidé par Olivier Roussat, le directeur général du Groupe et est composé de deux à trois patrons de chaque Métier du groupe. Ils seront d’ailleurs les « Executive Sponsors » des projets sélectionnés. .Nous sommes enfin accompagnés par des conseillers internes et externes pour durcir les projets dans la phase de maturation. Axeleo par exemple a été l’un de nos partenaires précédemment [les partenaires pour le programme actuel sont en cours de sélection, NDLR].
Premier sponsor de la démarche d’innovation chez Bouygues…
Olivier Roussat, directeur général du Groupe
« La confrontation permanente à des défis de toute nature constitue un terrain propice pour faire naître chez les collaborateurs des idées de business en marge de nos activités principales.
Aussi, afin de bénéficier en mode agile d’un développement d’activités commerciales complémentaires à nos métiers associées à ces nouvelles idées, le groupe encourage et facilite une dynamique intrapreneuriale, en profitant notamment des synergies entre ses métiers. »
Qu’est-ce qui est complexe finalement dans le montage de tels projets ?
Christophe Lienard. La partie génération d’idées n’est pas si compliquée, on arrive à générer facilement de nouvelles idées, y compris disruptives. Par contre, faire vivre un projet disruptif dans un grand groupe structuré comme le nôtre est beaucoup plus difficile…
Pour quelles raisons ?
Christophe Lienard. Dans l’entreprise, et ce n’est pas particulier à Bouygues, la population est composée d’opérationnels qui ont réussi brillamment dans leurs métiers à tous les niveaux (on pourrait les appeler « Optimize The Core »). A l’autre extrême, l’on trouve des profils très créatifs et agiles qui, selon une étude américaine, correspondraient à 2,5 % environ des collaborateurs. Ces deux populations ne se comprennent pas toujours… Au milieu, il existe une troisième catégorie d’individus que l’on appellerait « Reshape the Core Business », capable d’échanger avec tous et, en quelque sorte, qui ont le bon profil pour être des patrons de l’innovation…
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Tout ceci, pour dire qu’il faut bien mettre les bonnes personnes aux bons endroits de manière à ce que les programmes puissent fonctionner autant au niveau RH, finances ou assurances. C’est aussi pourquoi nous avons monté un GIE au niveau de Bouygues SA, qui « héberge » les projets en accélération. C’est un cocon en quelque sorte pour que ces projets puissent évoluer facilement hors de nos structures habituelles. Les sponsors, y compris sur l’aspect financier, restent toujours les métiers, mais nous leur facilitons tout ce qui tourne autour.
Quel est le temps d’incubation accordé à ces projets ?
Christophe Lienard. La partie idéation, c’est trois mois. La partie maturation, 6 mois et l’accélération, 6 mois encore au sein du GIE. Si un projet marche très bien, il peut devenir soit une offre commerciale intégrée à l’un des métiers du groupe, soit une structure spécifique dédiée et, dans ce cas, il quitte le GIE.
Y a-t-il un « profil » des collaborateurs plus intéressés par l’intrapreneuriat ?
Christophe Lienard. Nous avons plutôt ciblés quelques qualités que sont l’agilité, la maturité stratégique, le goût du risque… Ce programme est également un des éléments pour conserver certains talents dans la maison, voire en attirer de l’extérieur. Les plus réceptifs en général se situent dans la tranche d’âge 35-45 ans.
Comment communiquez-vous en interne sur ce programme ?
Christophe Lienard. Pour lancer l’opération le 1er février dernier, nous avons réalisé une vidéo avec Olivier Roussat (voir ci-dessus), qui a été diffusée sur la boîte mail des 129 000 collaborateurs du groupe. Ensuite, les patrons opérationnels ont été mis à contribution pour relayer le message, et bien sûr, les communicants de chaque filiale. Enfin, nous avons impliqué les ressources humaines par métiers et les participants aux sessions précédentes… En fait, tout l’écosystème de l’innovation du groupe a été embarqué, sachant que nous voulons arriver à constituer une « tribu » la plus large et diverse possible, représentative de tous nos métiers et des différentes fonctions.
* citation de W.C. Fields.