[Chronique d’Eric Barbry] Les victimes de contenus illicites et haineux sur les plateformes numériques peuvent se réjouir, la loi Avia vient de faciliter grandement leurs futures démarches.
Cette rubrique est supposée héberger mes coups de gueule comme mes coups de chapeau, et vous aurez observé qu’il y a jusqu’ici bien plus de coups de gueule #avocatencolere… Déformation professionnelle oblige ! Une fois n’est pas coutume, et après avoir piqué un coup de gueule sur le projet de loi Avia sur la lutte contre les contenus haineux sur internet dans un post du 29 octobre 2919, (que le temps judicaire est long) je voudrais lui adresser un coup de chapeau !
J’en ai rêvé, Madame Avia l’a fait… Alors merci !
Des plateformes incarnées en France
De toutes les dispositions de la loi Avia définitivement adoptées par l’Assemblée Nationale le 13 mai 2020, il en est une qui pourrait passer inaperçue et qui pourtant est fondamentale.
-« 10° Ils désignent une personne physique située sur le territoire français exerçant les fonctions d’interlocuteur référent chargé de recevoir les demandes de l’autorité judiciaire en application de l’article 6 de la présente loi et les demandes du Conseil supérieur de l’audiovisuel en application de l’article 17-3 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée ; »
« Ils » ne sont autres que les plateformes et les moteurs de recherche visés à l’article 6-2 nouveau de la loi pour la confiance dans l’économie numérique, cette vieille grand-mère du web adoptée en 2004 (16 ans déjà ! Et j’étais déjà là…).
Pour être précis, il s’agit des plateformes au sens de l’article L. 111-7 du code de la consommation qui proposent un service de communication au public en ligne reposant sur la mise en relation de plusieurs parties en vue du partage de contenus publics (essentiellement les réseaux sociaux donc) et les moteurs de recherche.
Tous nos amis Facebook, Twitter, Google et les autres seront donc tenus de désigner:
– (1) Une personne physique
– Mais (2) et c’est très important, située en France
Ayant pour fonction d’être l’interlocuteur référent chargé de recevoir les demandes des autorités judiciaires en application de l’article 6.
Et là je dois dire que je suis doublement C-O-M-B-L-E
Plutôt qu’un voyage en Irlande, la belle vie gauloise
Comblé car mes amis des Directions juridiques vont arrêter de me répondre « allez voir aux USA ou en Irlande » lorsque je cherche le nom d’un humain situé en Gaule, donc facilement accessible, pour faire exécuter mes ordonnances de suppression ou d’identification.
Aujourd’hui, si vous voulez obtenir la suppression d’un contenu, vous devez obtenir une décision devant un juge français, faire traduire la décision, la faire notifier par un huissier en Irlande et attendre, attendre et attendre encore que l’on veuille bien vous répondre.
Demain, je me contenterai d’obtenir une requête invitant le référent à me communiquer les mêmes informations. Elle n’est pas belle la vie ?
Ceux qui ont une lecture étroite du texte penseront sans doute que ce « référent » ne servira que pour les décisions de justice portant sur les contenus haineux, c’est-à-dire l’article 6-2.
Mais ce serait méconnaitre ce que dit la loi qui impose la désignation d’un référent pour l’application de l’article 6 en général, c’est-à-dire tous les enfants 6, 6-1, 6-2, 6-3 et 6-4, autrement dit pour toute décision judiciaire qu’elle porte sur des contenus haineux ou plus simplement « manifestement illicites ».
En d’autres termes, nos amis des réseaux sociaux et moteurs de recherche devront, sous peu, nous donner « enfin » le contact d’un être humain en charge de traiter les demandes des nombreuses personnes qui se voient malmenées, violentées, insultées, harcelées, en ligne.
Ce n’est pas faute de les avoir prévenu !
Alors merci Madame Avia, vous allez changer ma vie d’avocat et celle de mes clients victimes de contenus qu’ils soient « haineux » selon votre qualification ou tout simplement « manifestement illicites ».