Lionel Raffin, directeur général de GeoSat, est le vice-président du Club des Entreprises de Taille Intermédiaire (ETI) de Nouvelle-Aquitaine, en charge des sujets de transformation numérique. À l’occasion de la soirée spéciale organisée par Alliancy et ServiceNow à Bordeaux, il revient sur sa perception de la dynamique de transformation actuelle des entreprises dans la région.
Les préoccupations de l’écosystème bordelais sont-elles si différentes de celles des acteurs implantés à Paris en matière de transformation numérique ?
Je ne ressens pas de réel éloignement. Nous avons beaucoup de boîtes très technologiques à Bordeaux. Et je ne parle pas seulement de start-up. Certaines, comme (le spécialiste des paris en ligne) Betclic, sont des sociétés bien connues du grand public. À ce type d’entreprises, il faut ajouter que beaucoup d’acteurs qui sont membres du Club des ETI de Nouvelle-Aquitaine ont beaucoup numérisé leurs activités ces dernières années, même si cela est moins visible car ces organisations sont moins connues du grand public, avec des activités plus « BtoB » que « BtoC ».
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Quelle place prend la transformation numérique dans les échanges menés au sein du Club des ETI de Nouvelle-Aquitaine ?
J’anime depuis trois ans des rencontres thématiques sur les différents défis du numérique pour des organisations de notre taille. À chaque fois, elles rencontrent un franc succès. Et cela traverse tous les secteurs : que ce soient des entreprises très industrielles ou d’autres beaucoup plus tournées vers le service. La réalité de la numérisation a rattrapé tout le monde et nous ressentons la forte accélération.
En particulier, un atelier sur le risque cyber rencontre toujours son public : c’est criant dans l’actualité et la prise de conscience est très nette. On sait tous que des sociétés de notre taille peuvent fermer en moins de quinze jours à la suite d’une cyberattaque, justement parce que nous sommes dépendants du numérique.
Les ETI se sentent directement concernées ?
Tout le monde a eu connaissance d’entreprises locales qui ont été hackées… Certaines même parfois de façon improbable, en entrant par le photocopieur ! Ce sont des cas qui restent gravés dans la tête, car ils montrent que vraiment tout le monde peut être touché de façon très différente. Il y a également des cas inquiétants où l’attaque arrive par le biais d’un fournisseur, en rebond. Les ETI ont bien conscience de ce que cela implique dans leur chaîne de valeur.
Je pense également qu’aujourd’hui, tout le monde a compris que l’intelligence artificielle vient ajouter une couche de capacités supplémentaires à des cyberattaquants qui sont déjà très professionnalisés. Contrairement à il y a quelques années, les entreprises sont confrontées à un véritable marché de la cybermenace. Il y a un découpage très industrialisé des tâches des attaquants, et le risque est donc criant pour nos organisations. La prise de conscience des dirigeants et des collaborateurs sur le sujet joue fortement dans l’accélération numérique globale, car elle tire de nombreux sujets avec elle.
L’intelligence artificielle est-elle aussi vue de façon plus positive dans cette accélération ?
Oui, on sent tous que cela va changer beaucoup de choses dans nos habitudes, que ce soit sur l’excellence opérationnelle ou l’expérience client. Il y a des exemples d’innovations qui ne sont possibles qu’avec le rajout de l’intelligence artificielle aujourd’hui. Nous avons des entreprises industrielles qui ont déjà mené des transformations numériques importantes, on l’a dit. Elles vont maintenant chercher de l’optimisation supplémentaire, chaque point de pourcentage d’amélioration étant plus difficile à obtenir. En matière d’excellence opérationnelle, il n’y a parfois plus que l’IA pour aller chercher ces gains supplémentaires.
Quelle est votre propre expérience dans votre activité ?
Mon entreprise, GeoSat, est un cabinet de géomètres-experts de 600 personnes, spécialisé dans la cartographie terrestre, aérienne et maritime. Ce milieu professionnel est très exposé au numérique : la mesure de l’environnement, des corps de rue, des espaces publics, des bâtiments… permet de construire les projets de demain. Le partage d’une information fiable et de qualité y est clé. Par exemple, quand un utilisateur va dessiner une bouche d’eau particulière, il faut qu’elle puisse être qualifiée puis réutilisée de manière immédiate à l’autre bout de la France. L’intelligence artificielle apporte de nombreuses opportunités en la matière, pour fluidifier l’accès à l’information, son classement, son association…
Au-delà de ces cas qui concernent spécifiquement nos métiers, on voit très bien l’impact que l’IA va avoir en matière d’expérience client. Cela va arriver très vite pour tout le monde. Les gains de performance vont être notables. Les échanges que l’on peut avoir sur un outil de collaboration comme Microsoft Teams, par exemple, montrent déjà ce qu’il est possible d’avoir en termes de résumé de conversation, entre autres. C’est un aperçu de la puissance qui va se déployer un peu partout. Nos rapports, nos retours aux clients, nos capacités de synthèse, de partage de l’information vont être démultipliés. En particulier, nous commençons déjà à utiliser l’IA générative pour optimiser nos réponses aux dossiers attendus par les clients sur les marchés sur lesquels nous nous positionnons et qui demandent beaucoup de travaux de synthèse, rapports… Les gains de temps vont donc être très importants sur ces tâches orientées clients qui sont traditionnellement assez chronophages. L’enjeu derrière, c’est de parvenir ensuite à se concentrer sur les pourcentages d’activité où l’intelligence humaine est encore bien supérieure à l’IA. Il reste de très nombreux sujets sur lesquels un humain apporte une bien plus grande valeur.
Quel message jugez-vous important de faire passer à des entreprises de taille intermédiaire en France qui s’embarquent comme vous dans un « voyage IA » ?
Je dirais qu’il faut qu’elles prennent conscience que ce monde nouveau de l’IA, c’est aussi un monde où l’on peut être un peu trop tenté de confier ses données partout et à n’importe qui. En la matière, il y a des enjeux de sécurité, de confidentialité, mais aussi de géopolitique qui doivent tous nous concerner. Il faut bien se poser les questions sur les données que l’on confie à ces nouveaux outils et à l’usage qu’en font leurs éditeurs. C’est un message que je diffuse très largement, car je crois qu’on en est encore qu’au tout début de la prise de conscience sur les implications de ces enjeux de données. J’espère cependant que d’ici l’année prochaine la maturité aura vite augmenté au sein de nos entreprises. Cela peut être rapide : on l’a vu pour le risque cyber qui s’est imposé dans les discussions, alors qu’il était complètement ignoré il y a quelques années. La même diffusion va avoir lieu pour les sujets tractés par l’IA.