La start-up française Unipile, qui propose d’unifier les différents canaux de communication d’une entreprise dans une même interface, vient d’annoncer sa première levée de fonds d’1,5 million d’euros. Ses deux fondateurs reviennent sur l’expérience et les changements des attentes des investisseurs.
Alliancy. Pourquoi vous êtes-vous lancés dans l’aventure Unipile ?
Julien Crépieux (CEO). Nous nous sommes lancés en juillet 2020. Avant cela, nous avions une autre entreprise avec Arnaud (Hartmann, le CTO, NDLR), où nous développions une activité BtoB centrée sur les SMS et la communication vis-à-vis des clients. On avait énormément de flux à gérer et de clients différents et on s’est rendu compte que l’on perdait énormément de qualité dans les traitements au fil du temps. Malheureusement, on ne trouvait pas non plus de solutions techniques pour nous aider vraiment. Donc nous avons décidé de la faire nous-mêmes.
Aujourd’hui, entre les emails, les WhatsApp, les Telegram, et autres applications de collaboration, on a besoin de tout à voir dans une entreprise. Nous avons donc développé pendant 2 ans et demi l’interface technique qui le permettrait, ainsi que les axes business. Nous sommes actuellement une équipe de cinq personnes pour cette aventure. Nous annonçons une levée de fonds d’1,5 million d’euros : la moitié en equity auprès de business angels et l’autre moitié avec BPIfrance qui nous a aidé dès le départ sur la partie innovation de notre projet. Plusieurs partenaires bancaires nous ont permis de compléter le tour.
Avez-vous ressenti un changement dans les attentes des investisseurs, au vu du durcissement en cours sur le marché de la tech ?
Arnaud Hartmann (CTO). Effectivement, au début on pensait lever seulement avec des fonds d’investissement. C’était la première fois que nous avions à traiter un sujet de levée de fonds et on savait qu’il y avait de l’intérêt car on avait eu des premières discussions avec des investisseurs à notre création. Mais quand nous sommes revenus vers eux en 2022, nous avons senti que nous n’étions pas près. Aujourd’hui, ils ont une attente forte sur les revenus et la rentabilité, ce que nous n’avons pas à notre stade. On a rapidement compris qu’il nous serait impossible de vraiment toucher les VCs (venture capitalists, NDLR) pour cette première levée. Il nous faudra plus de maturité dans l’optique d’une série A. C’est pour cela que nous nous sommes adressés aux business angels. Ils ne recherchent pas la même chose, ils fonctionnent plus au feeling : ils ont vu l’intérêt de la proposition de valeur, en se projetant sur leur propre expérience d’entrepreneur, etc.
Julien Crépieux. En parallèle, BPIfrance nous avait accompagné sur des prêts innovation, donc on a eu l’occasion de créer une relation de confiance qui perdure aujourd’hui. Ils ont été rassurés dès le départ par notre expérience dans le domaine du SaaS. Ce n’est pas notre première entreprise. Et ils ont également validé l’intérêt de notre technologie. Cela a rapidement créé une dynamique vertueuse, car BPIfrance propose des garanties vis-à-vis des banques et de leurs pôles innovation. On a privilégié de cette façon plusieurs petits montants venus de ces pôles innovation grâce à leur soutien.
Comme pour la majorité des start-up, cette levée de fonds doit notamment permettre votre développement à l’international. Avez-vous des atouts à faire valoir en la matière ?
Julien Crépieux. On le pense, car notre expérience a toujours été de travailler avec des clients distants, y compris pour de petites structures. Notre parti-pris quand on a monté Unipile, a été de créer dès le départ beaucoup de contenus tournés vers l’international, pour éviter le piège de l’entreprise qui reste franco-française. Cela fonctionne : la moitié de nos utilisateurs sont déjà à l’étranger. Cela a permis de valider que notre promesse et notre solution étaient bien globales.
Arnaud Hartmann. La levée de fonds permet de faire jouer de nouveaux leviers, à la fois sur le développement technique pour mieux correspondre aux attentes de ces clients où qu’ils soient ; et sur la partie business pour créer des contenus et toucher de nouveaux clients à l’étranger. Environ 70% de nos efforts d’investissement vont être sur le renforcement des postes marketing, technologiques et commerciaux. Nous voulons recruter 10 personnes cette année. Les 30% restant seront sur de l’acquisition pure avec des campagnes web et marketing pour faire connaître l’outil. L’objectif en 2023 est de dépasser la barre des 100 000 utilisateurs, tout en continuant à ajouter de nouvelles intégrations de messageries et de nouvelles fonctionnalités.
Votre solution propose d’intégrer des canaux de communication et collaboration très différents. Quelle expérience utilisateur proposez-vous ?
Julien Crépieux. Notre principe est de fournir une boite de réception globale pour toutes les communications et d’éviter d’avoir d’un côté une fenêtre ouverte avec Outlook et de l’autre, une seconde avec Slack, puis une troisième avec WhatsApp, etc. Chaque information qui entre doit être traité comme une « tâche », qui peut être gérée à partir de la même interface. L’idée c’est de ne perdre aucune information, et de proposer un même usage et une même organisation des flux pour toute l’entreprise.
Arnaud Hartmann. Pour tenir cette promesse, il faut notamment une gestion très précises des tags et des titres sur les communications, afin que l’utilisateur puisse afficher uniquement ce qu’il veut au moment où il le veut. Qu’il puisse aussi rechercher l’information comme il le souhaite, gérer l’équilibre pro-perso intelligemment, etc. L’écueil que nous voulons éviter, c’est la sensation de « trop plein d’information », dans laquelle on se noie. A l’inverse, un cas d’usage courant en entreprise aujourd’hui, c’est d’avoir des échanges avec une même personne mais à travers plusieurs canaux différents, et donc de rencontrer des difficultés à rechercher une information précise car on ne sait pas par quel biais elle nous a été communiqué. Le but est d’éviter ces silos.
L’intelligence artificielle tient-elle une place centrale dans votre proposition de valeur ?
Arnaud Hartmann. Plus aucun outil ne peut se passer de l’IA, c’est une fonctionnalité de base même si beaucoup de changements ont eu lieu récemment. La question est plutôt : à quelle fin utiliser l’IA ? Dans notre cas, nous pensons que quand un utilisateur reçoit un message, il sait en général ce qu’il va vouloir répondre, mais il va avoir besoin de formaliser la réponse et le sujet selon son interlocuteur. L’outil doit donc proposer une forme de brouillon et faciliter cette production du message qui est la partie la plus longue pour un professionnel. Une IA fera rarement 100% du message, mais elle apporte les 90% de base qui vont permettre à l’utilisateur de mieux travailler. Les possibilités évoluent vite, comme l’a montré l’exemple de ChatGPT d’OpenAI. Dans notre cas, l’opportunité est que toutes les communications professionnelles accumulées laissent beaucoup de données à disposition, qui sont spécifiques à chaque interlocuteur. Il sera donc sans doute bientôt possible de franchir un cap, en amenant automatiquement de la personnalisation vis-à-vis de chaque interlocuteur d’un utilisateur, en fonction de tous les échanges passés qu’ils ont pu avoir.
Julien Crépieux. ChatGPT est seulement une fonctionnalité parmi d’autres. Notre idée est surtout d’enrichir les messages, à partir de toutes les sources d’informations sur les différents canaux, plutôt que silo par silo. Le croisement de l’information présente un intérêt supplémentaire, de la même façon que le fait de réunir tous les contacts issus de canaux différents.
L’European Innovation Council estime que ces dernières années en Europe, les porteurs de projets innovants intègrent mieux les sujets de responsabilité et de diversité, les investisseurs étant plus attentifs à ces problématiques. Est-ce que vous ressentez cette évolution ?
Julien Crépieux. Lors de la préparation de la levée de fonds, nous n’avons pas senti que ces sujets feraient fondamentalement la différence entre un oui et un non de la part de nos interlocuteurs. Ce sont des questions qui nous ont plutôt été posées à la marge des échanges.
Nous avons tous conscience qu’il faut être attentif à ne pas tomber dans des discours de type greenwashing, en prétextant que toutes les innovations peuvent changer le monde sur les sujets de responsabilité. Mais par ailleurs, il nous faut avoir une idée claire en tant que dirigeant de start-up sur les implications que ces thèmes peuvent avoir pour notre développement.
En la matière, la parité est sans doute l’un des sujets très difficiles à notre niveau. Sur deux cents CV nous avons environ dix postulantes et il est très compliqué d’attirer, même si on veut pousser en ce sens. Nous sommes très contents d’être parvenu à recruter une femme dans notre équipe récemment. Mais on se rend bien compte que c’est difficile de faire des choix forts sur ce sujet tout en avançant sur les attentes normales du développement d’une start-up.
D’autres sujets de responsabilité sont cependant plus simples, comme la gestion de la privacy. Pour une start-up, il est important de pouvoir apporter des garanties, sur le chiffrement, l’hébergement des données, leur non-revente, etc. Toutefois, à l’international, tout le monde ne porte pas la même attention au sujet. Nos utilisateurs américains ne sont pas très attentifs à ces questions contrairement aux européens. Cela ne nous empêche pas d’en faire un point très important pour notre entreprise : si nous subissons une cyberattaque, nous voulons être irréprochables.