Cet entretien est issu du Guide à télécharger Alliancy Insights Data Management « L’entreprise augmentée par la Data et l’IA »
Les comités de direction sont conscients du potentiel apporté par les données et leurs usages. Mais attention cependant à ne pas céder à l’effet de mode de l’IA et à s’appuyer avant tout sur des cas d’usage testés et de la gouvernance, recommande Véronique Sinclair, DSI et membre du French Women CIO.
Des témoignages que vous pouvez recueillir, quelle place est accordée à la data dans les entreprises ?
C’est une certitude, la volonté d’exploiter et de valoriser les données est présente dans les organisations. Pour autant, celles-ci se heurtent à une réelle difficulté dans la manière de mettre en oeuvre cette ambition. Certaines entreprises se désespèrent encore de recruter les bons data scientists. Or, elles n’ont pas encore mis en place les moyens nécessaires à la collecte et à la gouvernance des données, par exemple.
Il reste indispensable de prendre les étapes l’une après l’autre. Et cela ne vaut pas seulement pour les grandes entreprises. Les plus petites ont aussi à gagner à se préoccuper de la valeur de leur patrimoine.
Aviez-vous mis en place une stratégie data dans vos précédentes entreprises, comme chez Edenred notamment ?
La mise en qualité des données client y était une forte préoccupation. Quelques années plus tôt, je suis notamment intervenue au travers d’un projet d’implémentation d’un master data management. Il s’agissait d’organiser les données liées aux clients.
Dans une société qui gère également de très importants volumes de données transactionnelles, il est également possible de mener diverses initiatives sur ce capital, y compris au travers du recours à l’intelligence artificielle.
La compréhension du sujet de la data et de l’IA par les dirigeants est-elle au rendez-vous ou est-on encore au stade de la data à tout prix comme pour le cloud ?
Sur le cloud, cela reste le cas. Globalement, je dirais que le sujet de la data est compris des dirigeants. Ceux avec qui j’ai eu l’opportunité de m’entretenir ont bien saisi l’intérêt de manipuler les données, toujours dans le souci de la réglementation.
Bien sûr, tous ces dirigeants aimeraient également faire de l’intelligence artificielle. Car oui, cela tient aussi du buzzword, et les décideurs voient leurs homologues d’autres sociétés mener des projets IA.
Attention donc à ne pas simplement céder à la mode. Il est nécessaire d’identifier les bons usages et surtout pas de faire de l’IA pour de l’IA. À défaut, les démarches déboucheront sur une série de PoC et d’investissements sans création de valeur.
Le sponsoring par le métier est-il aussi un moyen d’éviter ce piège ?
Disposer d’un cas d’usage avant de se lancer dans la dépense est, à mon sens, la première étape. Bien sûr, cela suppose de mener au préalable des tests et de travailler de concert avec le métier à l’identification du bon use case.
C’est seulement une fois ce cas d’usage identifié qu’il convient de dépenser pour monter en production. Si la valeur est bien là, les directions marketing et commerciale, notamment, pourront directement sponsoriser et contribuer budgétairement.
Ce sponsoring a-t-il pour condition la création d’un poste de CDO ? Et où le situer ?
Le chief data officer peut, indifféremment, être situé au sein de l’équipe IT ou non. Tout dépend de l’organisation. L’élément prépondérant, c’est qu’une personne remplisse la fonction d’architecte de la donnée et soit visible au niveau de l’ensemble de l’entreprise. Le profil idéal, c’est un individu qui soit également doté d’une appétence business avec ainsi la capacité d’identifier les usages business du patrimoine de données.
CDO ou architecte data, sa mission est double : organiser la donnée, notamment au travers de référentiels, et l’utilisation de ce trésor pour servir les lignes métier.
« Tous les dirigeants aimeraient également faire de l’intelligence artificielle. »
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Quelle est la place de la DSI dans cette transformation data ?
Son rôle est, entre autres, d’augmenter la maturité digitale du business. La raison est simple : la data ne doit pas être la seule affaire de la DSI. Dans le cas contraire, on aurait tout raté. Les métiers doivent impérativement s’approprier les sujets. Et c’est seulement la combinaison DSI et métiers qui permettra des réalisations créatrices de valeur pour l’organisation.
La DSI ne peut pas se cantonner à des missions de réalisation et de sponsoring. J’insiste, elle doit aussi s’assurer que ses partenaires business sont au bon niveau de maturité. Cela passe par de l’évangélisation, par exemple en faisant intervenir des personnes de l’extérieur.
Bien sûr, la DSI aura aussi besoin de trouver les bonnes compétences et les bons partenaires pour réaliser les tâches liées au traitement de la data. Mais c’est presque le plus simple aujourd’hui. La difficulté réside d’abord au niveau des métiers.
Justement, pour beaucoup de collaborateurs des métiers, la data reste un sujet IT.
La data est d’abord leur actif. Mais oui, j’ai dû batailler dans le passé pour localiser par exemple le data steward. Les métiers s’opposaient à ce qu’il intègre leurs équipes, estimant que ce poste relevait de la DSI. C’est une erreur. Des sujets comme celui de la qualité ou de l’ownership de la donnée relèvent avant tout du métier.
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Pour faire bouger les lignes en interne, le DSI a un rôle d’évangélisation à mener. Il doit convaincre, et nécessairement s’emparer du sujet. Ce travail n’est pas à mener seulement au niveau des comités de direction. Je recommande d’agir dans les équipes opérationnelles, et en particulier au travers d’exemples, qui permettent d’illustrer concrètement ce qu’il est possible de faire.
Créer une direction de la data ne résoudra donc pas toute cette problématique de l’appropriation ?
Quelques années auparavant, il était à la mode de créer des directions du digital. Le point de départ d’une transformation data ne passe pas nécessairement, et de la même façon, par la création d’une direction de la data. Il est plus important d’inculquer une culture de la data à tous les étages et de suivre une approche data first.
Créer une direction à part ne contribuera pas à une amélioration spontanée. Il est plus critique de mettre en place un guichet unique en matière de technologies et de prioriser. Parallèlement, le réflexe data doit s’installer dans tous les esprits.
La gouvernance de la donnée, c’est aussi en assurer la protection. La prise de conscience cyber est-elle enfin là ?
Les comités de direction sont à présent bien sensibilisés aux risques cyber, tout comme à la nécessité de se conformer au RGPD. On peut juste regretter, malheureusement, la rapidité avec laquelle ce sujet de la cybersécurité peut être oublié lorsque d’autres priorités surgissent. C’est alors au DSI de jouer son rôle d’aiguillon et de rappeler l’enjeu de la cybersécurité.
Néanmoins, et parce que les témoignages de victimes ne manquent pas, les Comex sont alertés. Dans les métiers, il en va différemment. Là aussi, la DSI doit agir sur la sensibilisation et sur les bonnes pratiques permettant de protéger les assets de l’entreprise, dont en particulier la data.