Cet article a été publié originellement sur mydatacompany.fr
Être « data rich », c’est bien, mais pas suffisant. Les entreprises font en outre souvent l’erreur de privilégier uniquement les données dont elles disposent dans leurs systèmes. Ce n’est pas le seul faux-pas possible. Témoignages et conseils d’Orange, Suez Recyclage et Ekimetrics.
Présent dans le B2B et le B2C, l’opérateur historique commercialise une large palette de services de télécommunications dans 28 pays. Il est aussi présent dans les contenus et plus récemment dans les services financiers au travers d’Orange Bank et de produits de paiement en Afrique depuis 5 ans.
« J’ai la chance d’être dans une entreprise qui a beaucoup de data ou data riche, comme on dit en bon français » note Ludovic Lévy, en charge de la stratégie data chez Orange. Les multiples activités du groupe lui permettent de « brasser énormément de données, dont parfois très personnelles. »
Les données, des leviers de croissance et d’optimisation
Suez aussi, du fait de ses métiers, est amené à traiter de grands volumes de données et à en optimiser l’exploitation, notamment pour la gestion des réseaux de distribution d’eau. Dans le domaine du recyclage, où il est présent au travers de sa division Recyclage et Valorisation, la transition vers une culture de la donnée est plus récente.
Pour cette dernière, la « data c’est parfois des freins majeurs à l’accélération de la transformation de nos métiers et aussi des leviers de croissance et d’optimisation » explique son chief digital officer, Antoine Le Feuvre.
Fin 2018, Suez Recyclage a ainsi crée une joint-venture avec une startup autour de l’utilisation des technologies BIM, c’est-à-dire la modélisation des données des bâtiments. Objectif : la valorisation de l’ensemble des ressources lors de la déconstruction d’un bâtiment.
« L’enjeu principal, pour toutes les entreprises, c’est comment devenir plus agile »
Ludovic Lévy, Orange
Chez Orange également, la data, combinée à l’IA, est décrite comme un pilier de la transformation de l’entreprise, et plus précisément la « transformation vers un modèle agile ». Car Ludovic Lévy le souligne, « l’enjeu principal, pour toutes les entreprises, c’est comment devenir plus agile. »
Plus spécifiquement pour Orange, la stratégie data doit répondre à quatre grands objectifs que sont l’amélioration de l’expérience client (qualité réseau, déploiement d’interfaces numériques dont des assistants personnels…), l’efficacité opérationnelle des équipes (y compris pour déterminer les investissements à prioriser en termes de couverture réseau ou leur dimensionnement), la création de nouveaux business (gestion d’identité, mise à disposition de statistiques pour le retail ou l’aménagement du territoire) et enfin l’expérience salarié.
Les enjeux autour des données sont donc considérables pour l’opérateur historique, ne serait-ce que pour décider où implanter sa prochaine antenne de téléphonie mobile ou du prochain quartier à fibrer.
Concilier valorisation et protection des données
« Les investissements, notamment en matière de génie civil, sont considérables et pour lesquels nous utilisons énormément de données et d’intelligence artificielle » insiste le responsable de la stratégie Data. Mais attention, une approche pérenne suppose de concilier valorisation et protection des données. Le programme transverse d’Orange est à cet effet, et dans une démarche de conformité au RGPD, copiloté avec les DPOs du groupe.
La régulation n’est cependant pas le seul point d’attention à prendre en compte dans une optique « data driven » et pour atteindre cette ambition d’une « data company », comme le rappelle Jean-Baptiste Bouzige, PDG Ekimetrics, société de conseil en data science. « Il y a encore un décalage entre la promesse, très technologique, et la réalité terrain. »
Des freins persistent, y compris pour ces fameuses entreprises « data rich ». Le consultant observe ainsi que des acteurs tendent à ne mobiliser que les données présentes dans les systèmes, laissant de côté des données plus stratégiques.
Nourrir les systèmes de décision avec les données les plus pertinentes représente déjà un important chantier. Et le CDO a un rôle fondamental à jouer. Or, observe Jean-Baptiste Bouzige, en particulier aux Etats-unis, « beaucoup de CDO sont là pour faire de la technique, du complexe, acheter des outils et ils ne sont pas au service des métiers. »
Le CDO ?« Dès le début une expertise transverse au service des métiers »
Jean-baptiste bouzige, ekimetrics
Et d’insister sur la nécessité pour le CDO « d’être dès le début une expertise transverse au service des métiers », avec un effet immédiat sur les usages, points d’entrée des projets data. « Si vous ne choisissez pas une ligne éditoriale pour votre donnée, elle-même reliée à la stratégie de l’entreprise, vous ne faites pas une transformation data. Vous mettez un coup de peinture sur les murs pour dire ‘j’en fais comme tout le monde’. »
Si Antoine Le Feuvre concède que les projets peuvent prendre une dimension très IT, il estime néanmoins indispensable chez Suez de moderniser les systèmes d’information. « On a terriblement besoin de les APIser et de les faire dialoguer. »
Une vision industrielle, unifiée et éminemment transverse
Pour le CDO, le digital et la data doivent être appréhendés de manière industrielle. « Il faut une vision industrielle et unifiée (…) Et c’est aussi éminemment transverse. Vous ne pouvez pas adresser la question des référentiels sans toucher au cœur de métier. Et vous ne pouvez pas toucher aux référentiels sans attaquer d’une certaine façon l’organisation et la culture. »
Au niveau organisationnel (mais aussi des systèmes et des processus de décision), il importe ainsi de casser les silos. Et cela passe notamment par des passerelles. « Tant qu’on rentre par les sources de données et les méthodologies, on obtient des bout de preuves disséminées » prévient le patron d’Ekimetrics.
Autre incontournable, les référentiels communs. Dans le retail, par exemple, les référentiels produit sont un « véritable frein à l’utilisation de la donnée parce qu’on n’a pas le langage » commun le permettant.
Il encourage également à une rapide décentralisation des initiatives. La création d’un datalab, souvent centralisé, permettra au départ de créer une dynamique, mais « très vite », il importera de « décentraliser pour garder la datascience et les usages de la donnée, au plus proche des métiers. »
Le digital, une ligne business « porteuse d’un P&L »
Gare ainsi à ne pas créer une armée mexicaine de datascientists travaillant de manière centralisée, cause de l’échec de nombreux datalabs. La mission du datalab doit plutôt être l’animation, la découverte de nouveaux usages et l’acculturation. La forme prise par le datalab varie en effet d’une entreprise à l’autre (lire : Quel datalab et où le positionner dans l’entreprise ?).
Antoine Le Feuvre le reconnaît, toute société recherche le graal en termes d’organisation et s’opèrent fréquemment des mouvements de centralisation, décentralisation. Suez Recyclage a fait le choix de faire du digital, en charge de la data, une ligne business, « porteuse donc d’un P&L. »
Le groupe a aussi fait le choix de la transversalité et de l’expertise. Les BU peuvent de cette façon s’appuyer sur l’expertise d’un pôle de datascientists pour accélérer les projets identifiés comme créateurs de valeur.
Ludovic Lévy d’Orange souligne en outre que la mutualisation présente un avantage en ce qui concerne les coûts, notamment au niveau de l’IT, mais aussi de l’efficacité des algorithmes d’intelligence artificielle.
Mutualiser IT, compétences, données…
« Plus on a de données et plus les algorithmes sont performants » résume-t-il. Une mise en commun des données, au travers par exemple d’une mutualisation des datalakes, contribuera à l’élaboration d’algorithmes efficaces. La mutualisation, globalement (IT, données, compétences…), accélère le time-to-market.
« Ce qu’on observe de plus en plus, c’est des équipes assez conséquentes de data analystes dans les métiers. En revanche, on essaie de mutualiser les spécialistes allant au cœur de la donnée comme les datascientists ou data engineers, mutualisés au travers d’un centre d’excellence au niveau d’une BU, qui peut être complété par des centres d’excellence groupe. »
Les compétences sont essentielles à la conduite d’une stratégie data, mais attention à ne pas se tromper. Jean-Baptiste Bouzige observe une erreur récurrente chez nombre d’entreprises, privilégiant au départ le recrutement de datascientists juniors.
« Il vaut mieux un profil un peu plus expérimenté, même s’il ne connaît pas les derniers algorithmes. Ce n’est pas un problème, il pourra l’acquérir plus tard. » Sa recommandation : attirer des datascientists qui connaissent le métier, capable à la fois de parler organisation et de concevoir des algorithmes.