C’est à cette question d’importance que s’est attelé le Shift Project, dans son deuxième rapport daté d’avril dernier. Les préconisations touchent tous les postes d’émissions, mais aussi le système de santé dans sa globalité.
L’empreinte carbone du secteur de la santé est évaluée à 49 millions de tonnes de CO2e (CO2 équivalent), selon le dernier rapport du Shift Project intitulé « Décarboner la Santé pour soigner durablement » et publié en avril 2023, soit plus de 8 % de l’empreinte carbone de la France.
Plus précisément, le Shift Project estime que ce chiffre de 49 millions de tonnes de CO2e est soumis à une incertitude d’environ 20 %, ce qui lui permet d’affirmer que les émissions du secteur de la santé représentent entre 40 et 61 MtCO2e, soit entre 6,6 % et 10 % de l’empreinte carbone de la France.
Que ce soit les établissements hospitaliers (38 %), la médecine de ville (23 %), les établissements et services pour enfants et adultes handicapés (17 %) ou pour personnes âgées (21 %), toutes les entités qui appartiennent au secteur de la santé sont concernées par ces émissions de gaz à effet de serre.
Répartition des émissions de gaz à effet de serre du secteur de la santé par acteur (Source : calculs The Shift Project 2023) Cette répartition ne prend pas en compte les émissions associées aux achats de médicaments et de dispositifs médicaux
« Il est donc inévitable que ce secteur, à l’image de tous les autres, fasse sa part dans la nécessaire baisse des émissions de 5 % par an jusqu’en 2050 qui permet de rester sous les +2°C. Cela permet également de limiter sa dépendance aux énergies fossiles et les vulnérabilités qui en découlent, alors que l’approvisionnement pétrolier de l’Europe est sous tension. Décarboner, c’est aussi reprendre notre destin en main », peut-on lire dans le rapport.
Un cruel déficit de connaissances
Un des principaux constats ressortant des travaux menés dans le cadre du rapport d’étude du Shift Project est qu’à ce jour, le secteur de la santé manque cruellement de connaissances sur ses émissions directes et indirectes de GES. Une majorité de structures ne disposent pas de bilan de leurs émissions de GES, même lorsque la loi les y oblige. Environ un quart des bilans carbone rendus publics se limitent au minimum requis par la loi, c’est-à-dire la consommation directe d’énergie.
Parmi ceux qui vont au-delà, beaucoup n’évaluent pas les émissions liées aux achats, aux déplacements domicile / travail des professionnels ou aux déplacements des usagers du système de santé. L’analyse des émissions dues au numérique est quasi-inexistante. Or, tous ces postes d’émissions indirectes représentent, selon les estimations du Shift, 87 % des émissions totales du secteur. Un établissement de santé peut ainsi réaliser le bilan carbone de son activité en passant à côté de la grande majorité de ses émissions, tout en respectant la réglementation.
Répartition des émissions du secteur de la santé par scope, en MtCO2e (Source : calculs The Shift Project 2021).
« Ce défaut de connaissances est un problème pour s’engager sur la voie de la résilience : connaître ses dépendances énergétiques, c’est pouvoir identifier ses vulnérabilités et donc se préparer aux chocs énergétiques ou phénomènes météorologiques extrêmes qui vont augmenter dans les années à venir », analysent les auteurs du rapport.
Bâtiments, déplacements et déchets
Les recommandations présentes dans le rapport du Shift Project peuvent être classées en deux grandes catégories : celles portant sur les postes d’émissions et celles portant sur le système de santé dans sa globalité.
Les préconisations liées aux postes d’émissions s’adressent à l’ensemble des professionnels du secteur de la santé, mais aussi aux politiques et à l’industrie des médicaments et des dispositifs médicaux. Pour chacun des postes d’émissions (déplacements, achats, énergie/hors énergie et déchets), ces mesures ont été pensées dans un objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 5 % par an.
Concernant les bâtiments, le rapport du Shift Project préconise de massifier la rénovation thermique des bâtiments hospitaliers et médico-sociaux et de réaliser un passage systématique des systèmes de chauffage et/ou de production d’eau chaude au gaz et au fioul à des sources d’énergie bas-carbone, tout en formant les professionnels de santé afin de réduire les usages / consommations. L’ensemble des mesures préconisées par le Shift Project sur la partie liée aux bâtiments pourrait entrainer une baisse de 85 % des émissions associées à la consommation d’énergies comme le gaz, le fuel ou encore l’électricité.
En ce qui concerne les déplacements, le Shift Project met en avant les actions suivantes : co-construire, rédiger et déployer un plan de mobilité de l’établissement ou du groupe sanitaire / médico-social, faire la promotion des mobilités actives (vélo et marche à pied) et des transports en commun, inciter au covoiturage, faciliter le recours au télétravail pour le personnel administratif et les chercheurs, remplacer les véhicules thermiques (ambulances, véhicules sanitaires légers…) par des véhicules électriques en priorisant des véhicules d’occasion quand c’est possible, et développer la télémédecine pour les consultations pouvant être traitées sous forme de télé-expertise. 94 % des émissions de CO2 liées aux déplacements pourraient ainsi être évitées selon le Shift Project, en tenant compte de l’évolution des véhicules et particulièrement de l’électrification.
En matière de déchets, le Shift Project recommande de soutenir le développement de la production en France et l’usage de matériels / dispositifs médicaux réutilisables, de développer les filières de recyclage des dispositifs à usage unique, de réduire la proportion de Déchets d’Activité de Soin à Risque Infectieux (DASRI) et de faire appliquer et contrôler l’obligation de composter ou valoriser ses biodéchets, ce qui pourrait générer une baisse de 14 % des émissions sur ce poste.
Les médicaments et dispositifs médicaux également concernés
Sur le volet « médicaments », le Shift Project préconise de conditionner la délivrance ou le renouvellement de l’Autorisation de mise sur le marché (AMM) à la publication du contenu carbone du médicament, de mettre en place une politique d’achats éco-responsables (pour tous les équipements et services) et rendre obligatoire l’empreinte carbone par produit dans les appels d’offres, tout en diminuer le recours aux médicaments et en réduisant la quantité de Médicaments Non Utilisés (MNU). Les bénéfices en termes d’émissions pourraient être de 63 %.
Enfin, la partie relative aux dispositifs médicaux prévoit de conditionner la délivrance ou le renouvellement du marquage CE à la publication du contenu carbone du dispositif médical, d’impliquer des professionnels et sociétés savantes dans l’adaptation des pratiques moins consommatrices d’équipements et matériels médicaux et de diminuer le recours aux dispositifs médicaux, en encourageant leur réutilisation lorsque cela est possible. Les économies d’émissions pourraient se monter à 67 %.
Des mesures transverses pour le système de santé
Le Shift Project émet aussi des recommandations portant sur le système de santé dans sa globalité. Ces mesures ne s’attaquent pas directement aux flux physiques mais s’adressent plutôt au manque de connaissances du secteur sur ses émissions et au manque de formation des professionnels de santé aux enjeux énergie/climat. Il est donc très difficile de chiffrer le potentiel de décarbonation de telles mesures.
Ces mesures transverses portent notamment sur la formation des professionnels de santé à l’urgence climatique, à la transition bas-carbone et à l’écoconception des soins, sur le développement de la recherche sur la décarbonation et sur l’anticipation des changements climatiques dans le secteur de la santé, sur l’étiquetage progressif de l’impact carbone des biens et services nécessaires au système de soins, sur la meilleure structuration (et sur le financement) des acteurs de la promotion de la santé en France.