JFD (Join Forces & Dare), anciennement Journée de la Femme Digitale, lance son programme 2025 “Women rAIsing” pour mettre en lumière celles qui façonnent l’intelligence artificielle. Sa dirigeante, Delphine Remy-Boutang, nous raconte la genèse de ce nouveau projet.
Vous avez fondé votre entreprise, The Bureau, mais aussi un accélérateur international de croissance, JFD, récemment renommée, sans compter une société d’investissement, Arver. C’était votre ambition professionnelle dès le départ ?
Mon métier initial, c’est la communication. Je m’occupe du « faire savoir ». Ce que j’ai appris durant mes quinze années passées dans une grande entreprise de la tech à Londres, c’est que, quoi qu’on fasse, si on ne le fait pas savoir, cela ne sert à rien. Et si JFD a été rebaptisée Join Forces & Dare, c’est pour mieux définir notre mission qui est d’unir les forces des acteurs publics et privés mais également des médias, pour faire émerger de nouveaux leaders afin que le monde de demain se construise avec les femmes.
Pourtant, vous êtes référencée sur Internet avant tout comme une entrepreneuse sociale française, c’est une étiquette qui vous convient ?
Je ne connaissais pas cette expression. Je me définis avant tout comme une entrepreneure et investisseuse engagée, avec une thèse d’investissement claire : 100 % tech, 100 % femmes. Parce que JFD a aussi une partie fondation avec la fondation Margaret, on a tendance à nous prendre pour une association. Mais on n’est certainement pas dans un milieu associatif et j’en tire beaucoup de fierté. On fait du business en faisant du bien. C’est ce qu’apporte aussi les femmes dans le monde, entreprendre avec un sens. Je suis à la tête d’une entreprise à mission qui conjugue performance économique et impact. C’est une entreprise engagée qui croît et réussit depuis 13 ans. C’est ce qu’apporte aussi les femmes au monde des affaires : entreprendre avec un sens.
Peut-on vraiment changer le monde quand on est entrepreneur ?
Oui, on peut changer le monde quand on est entrepreneur. Mon ambition, c’est de le changer avec cette idée de mettre en valeur plus de femmes qui réussissent. On parle trop souvent des problèmes des femmes, ça contribue à nous victimiser. L’univers de la technologie me fascine depuis toujours, il permet de montrer des succès féminins. C’est un outil d’une puissance incroyable, qui peut tout accomplir. Les humains ont marché sur la Lune grâce à la technologie et d’ailleurs, on oublie souvent de le dire, mais c’est une femme qui a rendu possible cet accomplissement. Lors de la mission Apollo 11, une erreur a été faite et la machine a pris le relais. Derrière le système embarqué du programme Apollo, il y avait une femme, Margaret Hamilton, d’où le nom de notre fondation et de notre Prix. Les Margaret est le seul prix tech féminin sous le haut patronage du président de la République française.
JFD annoncera d’ailleurs en mars les finalistes de la promotion 2025 nommée « Women rAIsing » du prix Les Margaret
Exactement. La cérémonie aura lieu par la suite à Paris avec de grands acteurs économiques européens, africains et canadiens. Nous récompenserons une femme entrepreneure, une intrapreneure et une jeune femme âgée de 14-22 ans pour la catégorie Junior, qui portent des projets innovants centrés sur l’IA. Les candidatures sont encore ouvertes sur joinjfd.com ! Les 3 lauréates bénéficieront pendant un an du programme d’accélération de croissance de JFD, d’une valeur d’un million d’euros. Conçu en collaboration avec nos partenaires (Allianz, Carrefour, Epitech, EuraTechnologies, Eurazeo, IBM, le groupe La Poste, L’Oréal, Meetic Europe…), le programme comprend mentorat, coaching, visibilité média, aide au financement et des opportunités business.
L’IA s’impose comme l’un des bouleversements majeurs de notre époque, transformant nos vies bien plus que ne l’a fait Internet. Il est impératif que les femmes en soient aussi les architectes, et non des spectatrices. C’est pour cela que JFD en fait son thème en 2025 : “Women rAIsing”. D’ailleurs, le 10 février 2025, nous lancerons, avec EY Fabernovel et nos partenaires stratégiques, le premier baromètre européen de l’IA à l’occasion du Sommet pour l’action sur l’IA qui se tiendra les 10 et 11 février sous la Présidence de la République. Dix pays seront scrutés avec 8 secteurs représentés pour évaluer l’impact de l’IA sur notre société et économie, afin de formuler des recommandations concrètes pour faire de l’IA une technologie aussi responsable que performante.
Aussi, nous continuerons de fédérer notre communauté autour d’événements IA du JFD Club, notre réseau international d’affaires. Chaque mois, nous rassemblerons nos membres et partenaires pour explorer les enjeux liés à cette technologie par secteur, comme ce 21 janvier en partenariat avec Veolia, où nous explorerons l’intersection entre IA, environnement et inclusion.
Vous insistez souvent sur l’importance d’avoir des rôles modèles féminins, Margaret Hamilton en est un, vous en avez d’autres ?
Les rôles modèles sont importants, ils permettent de changer les idées reçues. Les femmes ont en partie raté le virage du numérique parce que, dans l’imaginaire collectif, le profil d’un professionnel dans la technologie, c’est “Jean-Michel, patron de la DSI”, qui est au sous-sol avec une grosse doudoune parce qu’il est près des serveurs. Pourtant, il ne faut surtout pas que les femmes ratent le virage de l’IA, si on n’est pas au rendez-vous pour créer des entreprises autour de l’IA avec un autre regard, on laisse les biais sexistes se reproduire.
Mon premier rôle modèle a été ma grand-mère, une féministe et une grande avant-gardiste. Elle s’habillait en pantalon et divorçait dans les années 50. Aujourd’hui, dans le monde du numérique, j’en ai 34 autres, que j’ai toutes rencontrées lors de l’écriture de mon livre « Athlètes de l’innovation » (Ed. Flammarion).
Justement, dans ce livre, vous constatez qu’il existe huit aptitudes communes entre les sportifs de haut niveau et les entrepreneurs dans la tech. Il y a, entre autres, l’endurance, la discipline, l’adrénaline, mais aussi la capacité à se dépasser. Parmi ces huit aptitudes, quel est votre point fort ? Laquelle vous fait défaut selon vous ?
Mon point fort, c’est peut-être la discipline. Je suis fille de militaire donc je trouve le mental très important. Je me lève tôt, à 5h du matin pour faire une heure de sport et je me couche tôt aussi. Avoir un rythme sain et stable m’aide à tenir la charge mentale d’être une cheffe d’entreprise. Sans mental, on n’y arrive pas. Et puis, celle qui me caractérise le moins, c’est peut-être l’adrénaline, parce qu’elle est un faux ami. Cette notion que tout se fait dans l’instant est totalement fausse. Il m’a fallu 13 ans de persévérance pour arriver jusqu’ici. Treize ans sans jamais rien lâcher, même si parfois j’ai eu envie d’arrêter. Se faire confiance est essentiel, en se dépassant, on peut accomplir des choses. Il faut de l’audace, c’est une des choses que l’on tente de transmettre chez JFD.
Et vous, de l’audace, vous en avez au quotidien ?
J’ai su en montrer, oui. En 2017, le magazine Capital a publié une double-page sur la startup nation. Sur la photo, onze hommes en chemises blanches et aucune femme. Très vite, on a publié un article riposte dans Challenges, avec 14 femmes habillées de la même façon en jean et en chemises blanches. C’est ainsi que naissait le Mouvement des Chemises Blanches, devenu le symbole de l’entrepreneuriat féminin ! Mais ce n’est pas tout, on a aussi créé une ligne de chemise blanche avec La Redoute. En décembre dernier, nous avons ouvert le second chapitre du Mouvement avec EuraTechnologies et lancé notre club européen dédié aux femmes entrepreneures de la Tech, car nous ne pouvons plus laisser l’avenir s’écrire au masculin.
Plus récemment, j’ai remis mon livre à Xavier Niel. Lors d’un salon sur l’IA à Marseille dont JFD était partenaire, il disait qu’il fallait des rôles modèles. Je ne trouvais pas normal que son consortium IA ne compte aucune femme, alors je lui ai remis mon livre “Athlètes de l’innovation”. Il a relevé le fait qu’il n’y ait que des femmes. Pourtant, ça ne devrait plus être un sujet ! On ne devrait plus être catégorisée comme « la femme » dans ce monde-là en 2025. Selon moi, c’est un avantage d’être une femme dans un milieu très masculin, on est meilleures, puissantes et efficaces.
Cette audace du quotidien, elle a payé, vous avez reçu plusieurs récompenses. La dernière, c’était officier de l’Ordre national du Mérite, en octobre, félicitations. Vous avez également été décorée Chevalier de la Légion d’honneur. Qu’est-ce que ça vous a apporté ?
Alors Chevalier de la Légion d’honneur, c’était en 2016. Je me souviens, j’allais à un cours de yoga et on m’appelle pour me dire « Acceptez-vous la Légion d’honneur ? » Je croyais à une blague alors j’ai raccroché. Et pendant mon heure de cours, j’ai paniqué à l’idée qu’ils puissent penser que je refusais, j’ai vite rappelé et accepté. Mon père était officier dans l’armée, donc c’est très important pour moi.
Mon dernier prix, c’était aussi de la reconnaissance pour tout un travail, pour des années covid très difficiles où j’ai dû réinventer le modèle. Cette période m’a rappelé qu’on n’a rien sans rien et surtout que rien n’est jamais acquis dans le business. Ça n’apporte pas plus de facilité de recevoir des prix, derrière il faut transformer. Être officier de l’Ordre du mérite ne rapporte pas plus de commandes. Cependant, cela apporte une nouvelle motivation pour les fois où on a envie de lâcher, de dire “j’arrête, j’en peux plus”. Ce qui me définit, c’est mon travail. Je mets vraiment toute mon énergie et ma passion à travers ce que je fais. Je suis totalement au service de mon entreprise.
Vous remettez aussi des prix avec JFD, quelles significations ces distinctions ont-elles pour vous ?
C’est le principe derrière ce que j’ai fondé, la réussite d’une personne doit être la réussite de plein d’autres personnes. Sinon, ça n’a aucun intérêt. La réussite de soi, c’est se vouloir libre. C’est ce que disait Simone de Beauvoir. C’est aussi vouloir les autres libres. À mes yeux, cela passe par la liberté d’entreprendre, au sens large, dans la création d’entreprise comme dans les études.
Pour moi, les distinctions, c’est le symbole de la méritocratie. Il ne faut pas que ce soit un idéal perdu, c’est formidable que chacun ait sa chance. C’est une chose à laquelle je continue de croire, malgré des milieux d’entre soi, contre lesquels il faut lutter. La méritocratie est une belle valeur de la République.
Lors de mon discours, quand j’ai été décorée par Clara Chappaz, j’ai dédié cette distinction nationale à toutes les femmes extraordinaires et ordinaires qui ont montré que leur force, leur persévérance, et leur talent peuvent transformer notre société. Pour moi, cela va au-delà de ma personne. C’est le combat que je mène. On est toutes des Marianne.
crédit photo : JFD / François Tancré